Violences policières à Villeneuve-la-Garenne : « Le coronavirus, c’est l’Etat »

Au lendemain de l’accident de Mouldi, les traces de sang sont encore visibles. Les forces de l’ordre se sont rendues sur les lieux à plusieurs reprises d’après les témoins. ©LaMeute-Mes

Au lendemain de l’accident de Mouldi, les traces de sang sont encore visibles. Les forces de l’ordre se sont rendues sur les lieux à plusieurs reprises d’après les témoins. ©LaMeute-Mes

Dans la nuit du samedi 18 avril, un jeune de Villeneuve-la-Garenne (92) était horriblement mutilé aux jambes alors qu’il roulait en deux-roues. Certain·es témoins disent avoir vu la police ouvrir délibérément la portière de leur voiture banalisée, provoquant sa chute et une fracture ouverte à la jambe. Pour les habitant·es de la ville, il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé. Depuis plusieurs soirs, le vase déborde.

Certain·es parlent d’échauffourées. D’autres d’émeutes ou de révoltes. Depuis que Mouldi, un habitant de Villeneuve-la-Garenne, a été blessé aux jambes après avoir croisé la route de la police samedi soir, les nuits sont rythmées par le bruit de feux d’artifices d’une part, et ceux des tirs de flashball d’une autre.

Une injustice de trop, des manifestations nocturnes : nous ne sommes pas en 2005 après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, même si cela y ressemble. On en a des éléments : le contexte sécuritaire, l'enchaînement et l'accélération des violences policières sur plusieurs semaines, une communication gouvernementale diffamante à l'égard des quartiers, l'injustice omniprésente et la différence de situations vécues selon que l'on soit à Villeneuve ou à Paris. Il y a aussi la contagion de la révolte, de quartier à quartier, qui n'est pas sans rappeler 2005. Mais les temps sont différents, les réseaux sont différents, les technologies de l'information sont différentes. Pour l'heure, il est trop tôt pour affirmer un retour des révoltes comme celles de 2005.

Depuis le 16 mars, le pays est confiné –coronavirus oblige; les forces de police, présentes en sur-nombre, sillonnent les rues pour contrôler les attestations de déplacement dérogatoire. Et elle ne sillonne pas de la même façon les rues parisiennes que celles des quartiers populaires. Depuis le 16 mars, les réseaux sociaux bouillonnent de vidéos de violences policières. A ce jour, trois personnes [à Béziers, Rouen et Angoulême, NDLR] ont déjà perdu la vie dans le cadre d’une interpellation ou d’une arrestation policière depuis le début du confinement. On compte, par ailleurs, de multiples blessé·es -dont une fillette de cinq ans à Chanteloup-les-Vignes (78).

L’accident de Mouldi, jeune homme dans la trentaine, a eu lieu devant une station essence, au 37 avenue de Verdun. Le lendemain, le sol était encore jonché de traces de sang.

Le poteau sur lequel s’est cogné Mouldi a été retiré plus tôt dans la matinée. ©LaMeute-Mes

Le poteau sur lequel s’est cogné Mouldi a été retiré plus tôt dans la matinée. ©LaMeute-Mes

Les vidéos de ses cris de douleur et de sa blessure impressionnante au genou gauche ont créé l’émoi –à juste titre- ici, à Villeneuve-la-Garenne, mais aussi dans d’autres quartiers de France. Il faut jeter un œil sur le média l’Echo des Banlieues pour se rendre compte que la colère n’est pas limitée aux frontières de cette ville des Hauts-de-Seine (92).

« C’est trop… », répète plusieurs fois Malika, une habitante de La Caravelle –un ensemble de bâtiments formant un carré qui donne sur un bel espace vert à Villeneuve-la-Garenne.

« Ils ont brisé une vie, même s’il récupère sa jambe ! », ajoute-t-elle.

Au lendemain de l’accident, en dépit du calme apparent, du soleil qui tape et des oiseaux qui chantent, les conversations ne tournent autour que d’un seul sujet : les violences policières.

Un constat partagé, de 13 ans à plus

Y’a-t-il plus de violences policières en ces temps confinés ou plus de témoins aux fenêtres pour filmer ? Pour les habitant·es de la cité du Blanc –situé au Nord de la ligne 1 du tramway, la réponse ne fait pas de doute : les abus commis par les forces de l’ordre ont bien augmenté.

Loin des récits romantisés, le confinement à La Caravelle est synonyme d’augmentation des contrôles d’identité et des arrestations policières. ©LaMeute-Mes

Loin des récits romantisés, le confinement à La Caravelle est synonyme d’augmentation des contrôles d’identité et des arrestations policières. ©LaMeute-Mes

Surnommé « cameraman de la cité » par ses ami·es, Tarik* est catégorique. « On m’envoie tous les jours des nouvelles vidéos depuis qu’il y a le coronavirus. Et puis, je vois tout de mon appartement », déclare-t-il, son portable à la main, un sac de courses dans l’autre « au cas où » il se ferait contrôler.

Malika, qui vit ici depuis 30 ans, témoigne également de l’augmentation des violences policières depuis ces dernières semaines : « ils rentrent dans les cités en motos pour nous frapper, ils nous contrôlent alors même qu’on promène notre chienne ! ».  Malika fait pourtant partie de la « première ligne » : elle travaille à mi-temps dans une maison de retraite, mais le week-end venu, elle a « peur de sortir de chez [elle] ».

La conversation défile, les anecdotes de violences policières aussi.

« Regarde, lui, l’autre jour il a frappé à ma porte en panique ! Il pleurait : Madame, madame, y’a la police !», se rappelle-t-elle en montrant un enfant qui passe.

Le jeune garçon explique en effet avoir été contrôlé puis fouillé la semaine dernière par la police, alors qu’il rentrait chez lui. Il a 13 ans, mais il en parait moins.

Des gamins, c’est des crottes de nez, mais ils se font courser par les flics !
— Malika, habitante de la cité des Blancs

« Des gamins, c’est des crottes de nez, mais ils se font courser par les flics ! », s’indigne Malika. « Tu vois bien qu’ils ne sont pas méchants pourtant ! », poursuit-elle. Sa fille, Rahma, évoque elle aussi des histoires de contrôles abusifs à la pelle. « Le premier jour du confinement, on m’a dit de dégager alors que je rentrais simplement chez moi. Quand je promène le chien, ils me lancent des regards insistants, mais je sais que je suis dans mon droit », indique-t-elle en désignant le bosquet où a eu lieu son contrôle le plus récent. « A 13 ans, iels ont déjà peur de la police”, poursuit sa mère. “Le coronavirus, c’est l’Etat », conclut-elle. 

« Je ne peux plus travailler, je ne peux plus sortir et maintenant, ils veulent me faire partir”

« On ne fait rien, on cherche juste à s’en sortir », déclare Tarik en agitant des bras autour de lui pour signaler le calme de la cité. Le 26 mars dernier, Tarik a été arrêté par la police alors qu’il rentrait de l’épicerie. Sur les vidéos qu’il a pu récupérer de son interpellation, on le voit presser le pas, sans plus, suivi de quelques policiers. « Ils m’ont suivi jusqu’à l’intérieur de mon appartement pour me frapper avec la matraque. Quand ils ont vu que je n’étais pas seul (il vit avec deux oncles, NDLR), ils sont partis pour chercher du renfort ». D’après les vidéos, jusqu’à 14 policiers s’engouffrent alors dans son bâtiment.

« On aurait dit que j’étais un terroriste », explique-t-il, encore halluciné.

« Quand ils sont descendus, j’ai entendu les policiers dire : on a les trois colis », glisse Rahma, avec un regard appuyé.

Tarik passe alors une nuit en garde à vue, « sans couverture »,  au cours de laquelle on lui refuse le droit de voir un avocat. « Sous prétexte que c’était le confinement », précise-t-il. La veille, à 15h05 -comme indique le document qu’il sort d’une pochette jaune bien remplie- la préfecture des Hauts-de-Seine lui lit une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Tarik est de nationalité marocaine, mais cela fait 16 ans qu’il vit en France. Mais depuis le 26 mars, c’est désormais la préfecture qui détient son passeport. « Monsieur X ne peut quitter immédiatement le territoire français mais son éloignement reste une perspective raisonnable », peut-on lire. Il est donc obligé de se rendre au commissariat trois fois par semaine, en plus d’être assigné à résidence selon des horaires précis.

« Depuis le confinement, j’ai tout perdu : je ne peux plus travailler, je ne peux plus sortir et maintenant, ils veulent me faire partir mais ils n’ont pas le droit. J’ai tous les justificatifs ! », clame-t-il. Tarik souffre d’une maladie chronique qui rend vitale sa présence ici. Le traitement qu’il suit, en effet, n’existe pas au Maroc. Il tend un certificat allant dans ce sens signé par une docteure de l’hôpital Bichat, à Paris. « S’ils me font partir, ça s’appelle pas de la mise en péril d’autrui ?! ».

Un autre document daté du 27 mars 2020 –soit le lendemain de son interpellation- décrit une « fracture de l’arc antérieur de la 7ème côte droite »: « j’ai encore mal quand je respire », précise Tarik. Le jeune homme de trente ans est en arrêt de travail depuis ce jour, où les matraques ont plu.

Encore une histoire de violences policières parmi beaucoup d’autres à La Caravelle. « Y’a beaucoup d’injustices ici ! Je cherche à partir », confie Malika en balayant du regard les alentours. « J’ai peur quand je promène ma chienne… mais chez moi, y’a des rats ! », plaide-t-elle. Alors, à la cité des Blancs, le dehors se confond avec le dedans. Les voisins papotent avec des masques, des familles sortent rapidement avec leurs enfants, deux-trois jeunes parlent de l’accident de la veille. La Caravelle, c’est l’extension de l’appartement trop petit. Sans les rats cette fois-ci. Même si le confinement n’est pas moins respecté qu’ailleurs, ici, il est vécu plus âprement qu’à d’autres endroits.

La Caravelle, c’est l’extension de l’appartement trop petit. Sans les rats cette fois-ci. ©LaMeute-Mes

La Caravelle, c’est l’extension de l’appartement trop petit. Sans les rats cette fois-ci. ©LaMeute-Mes

 « Vous avez snap ? »

Malika, Rahma et Tarik remarquent tous·tes les trois qu’à presque 24h du drame, le quartier semble étrangement plus calme que d’habitude. Moins de contrôles, moins de police en ce dimanche. Comme un air de “circulez, y’a rien à voir”. Le gérant de la station essence, devant laquelle Mouldi a été blessé, a pourtant reçu la visite de policiers à plusieurs reprises depuis le début de la journée.

« Ils sont passés cinq fois pour récupérer les vidéos de caméra de surveillance. Elle ne marche pas… depuis des mois. Ils le savent pourtant », souffle-t-il.

A l’extérieur, le poteau sur lequel Mouldi s’est cogné n’est plus. De quoi attiser la suspicion des habitant·es. « Les policiers cherchent à cacher les preuves », lâche un passant. Sur Snapchat, la vidéo des policiers récupérant le poteau au petit matin circule déjà, comme celles –nombreuses- des évènements de la veille. « Heureusement que des jeunes filment, sinon y’aurait pas eu d’affaire », ajoute-t-il. Sur Snap ou sur Whatsapp, c’est une tout autre sorte de JT qui circule : vidéos de violences policières, appels à se mobiliser ou au calme.

A quelques mètres de là, un couple de personnes âgées assis sur un banc lance : « Vous direz dans votre article qu’on a plus de kiosque à presse depuis 5 ans ! ». Si cette différence de problématique, entre la population blanche de Villeneuve-la-Garenne et la population racisée peut paraître absurde, elle révèle tout de même l’ostracisation médiatique -en plus de sa criminalisation systématique- des habitant·es des villes de banlieues dans son ensemble.

“ Avis aux journalistes, ne refaites pas les mêmes erreurs qu’en 2005. Vous avez une responsabilité particulière ”, plaidait sur Twitter le journaliste Taha Bouhafs, présent également à Villeneuve-la-Garenne hier soir (pour un reportage au cours duquel il a momentanément été interpellé par les forces de l’ordre et amendé).  

Avant de partir, Tarik, « le cameraman de la cité », nous lançait : « Hé Lameute, vous avez snap ? ».

 

©LaMeute - Mes

*Le prénom a été modifié

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