Occupation de la Sorbonne : Récit d’un premier sursaut dans l’entre deux tours

Nous à LaMeute, bah on aime bien l’histoire - surtout quand elle nous fait de ses petits clins d’oeils malicieux. Parfois, on n’y songe pas tout de suite ; on ne voit pas le lien entre les choses. Et puis, dans une rue bondée, nassée par les flics, on se souvient de tout, et l’on se surprend à sourire naïvement.

C’est exactement ce qui s’est passé devant les portes de la Sorbonne occupée, ce mercredi 13 avril 2022. On a souri, fort souri, parce qu’il y a quatre ans jour pour jour, nous racontions déjà la précédente occupation de cette fac emblématique des luttes sociales.

Le contexte a clairement changé : ce n'est plus contre Parcoursup – l’échec de la mob’ est passé par-là. Il y a eu les Gilets Jaunes aussi. Et puis la réforme des retraites, la Loi Sécurité Globale en plein COVID. Et les manifs contre le pass sanitaire… Le mandat d’Emmanuel Macron se termine sans doute dans ce qui le résume le mieux : une occupation politique, portée par une jeunesse irrévérencieuse. 

Reportage.


Le premier tour de l’élection présidentielle avait insufflé un large regain d’espoir auprès des sympathisant-es de gauche. Rassemblé-es derrière Jean-Luc Mélenchon, une large partie de la population, et notamment la jeunesse (à qui l’on explique à longueur de journée que leur monde est foutu) attendait un duel de second tour entre la “tortue sagace” et n’importe quel pantin de la droite au sens large. La déconvenue de dimanche soir avait un peu laissé tout le monde aphone. Il faut toujours un petit temps avant que la gueule de bois ne passe. 


SORTIR DE LA GUEULE DE BOIS

Il a fallu attendre le lendemain pour que le post du Comité Antifasciste Inter-Universitaire (CAIU, prononcer “Cailloux”) se fraye un petit chemin à travers les stories de tout le monde. Et on ne va pas se mentir, quand on lit "ASSEMBLÉE GÉNÉRALE”, personne ne comprend autre chose que “OCCUPATION”. Le rendez-vous était pris.


Il était donc 13 heures lorsque les étudiant-es se sont aperçu-es que l’administration ne voudrait pas les laisser rentrer pour faire l’AG. En effet, un imposant dispositif de vigiles, dans leur uniforme bleu clair un peu daté, filtrait l’entrée principale de la fac. Les vigiles ne retenaient pas les coups de pression et les invectives envers la grosse centaine d’étudiant-es, dont le nombre ne faisait que s’agrandir au fil des minutes. En panique, l’administration fit tout simplement verrouiller la grosse porte en bois bicentenaire.

Il n’en fallait plus pour décourager la foule, qui décida alors de faire le tour pour trouver une autre entrée, rue Saint-Jacques. Un peu d’agitation, une promiscuité bien voulue, et hop : 400 personnes finirent par s’engouffrer dans l’entrée, après une mêlée générale durant laquelle les vigiles frappèrent tout azimuth. 

Toujours pleins de bagarre, les vigiles se rendirent à l’évidence : la bataille était perdue, et les étudiant-es avaient déjà investi amphis, couloirs et salles de cours.

“ON N’AIME RIEN – ON VEUT TOUT”


Aux alentours de 17h30, le décor était déjà bien installé. A raison d’une ouverture toutes les vingtaines de minutes, une petite porte en bois montrait la voie depuis la rue Cujas, d’où entraient et sortaient des petits groupes de soutiens. On débouchait alors sur l’impressionnant Amphithéâtre Oury (ou “amphi de Gestion”, pour les initié-es) dans lequel on discutait, non sans une certaine passion, des négociations en cours avec les instances dirigeantes de la fac. A 19h, une nouvelle AG devait se tenir pour décider de la ligne à tenir lors de la reprise des négociations à 20h (heure de fermeture de la fac). Quelques minutes plus tôt, on avait reconnu dans la foule un média de fachos qui prenait soin de repérer qui était là et de publier des photos – il fut accompagné gentiment vers la sortie.


“La question c’est de savoir quelle forme on veut qu’elle ait, cette occup’...”, lance une étudiante à la tribune. “Est-ce qu’on veut qu’elle soit ouverte, c’est-à-dire avec des cours à côté, une vie étudiante et la possibilité de convaincre ; ou est-ce qu’on veut qu’elle soit fermée, qu’il n’y ait plus cours et que ce soit un conflit ouvert et affirmé?”. Une autre étudiante, qui déboulait tout juste du taff : “La question c’est pas ouverte ou fermée il me semble. Non, la question, c’est à quoi on veut qu’elle serve cette occup’ ? Est-ce qu’on veut que ce soit une action coup de poing, un acte symbolique ? Ou est-ce qu’on veut y organiser précisément l’inverse de ce que nous proposent les deux candidats Macron et Le Pen ? En fonction de la réponse, l’organisation de l’occupation se fera toute seule…”, prédit-elle.


Pendant ce temps-là, dans les couloirs, c’était la fourmilière. Aux quelques 600 personnes entassées péniblement sur les bancs en bois de l’amphi, des centaines d’autres s’accaparaient la moindre salle de cours, le moindre bureau, la moindre fenêtre, la plus minuscule des bibliothèques, le plus petit coin d’escaliers poussiéreux, la moindre trace d’amphithéâtres abandonnés par les vigiles, la première cour que l’on trouvait, les quelques toits accessibles depuis les fenêtres… Un cauchemar de ministre, de chargé de com’, et d’officier en civil. 


JUSQU’AU BOUT DE LA NUIT

Au fil des négociations entre la délégation des occupant-es et la direction de la fac, cette dernière avait promis : “il n’y aura pas d’évacuation par la police cette nuit”. Promesse qu’elle sembla tenir (et que, techniquement, elle a tenu…). 


A la ferveur des débats de l’AG succédèrent les questions pratiques quant à la tenue de l’occupation dans la durée. On organisa des tours de garde (contre la venue d’éventuels fachos, ou bien pour savoir si la police débarquait), mais aussi l’accueil des retardataires et le flot incessant des réapprovisionnements. Vers 21h, un camion avec trois policiers vint se poster devant une des portes de la fac. A chaque fois que la police tenta de bloquer une entrée, il s’en trouvait une autre pour accueillir les plus téméraires des retardataires. 

Au fil de la nuit, l’ambiance se décontractait tout logiquement après de longues heures d’AG et de batailles – tant physiques que politiques, fussent-elles seulement différentes. 

Au petit matin, quelque 200 personnes tenaient encore l’occupation de la Sorbonne. Un exploit.

MATCH RETOUR


Le réveil s’était donc passé sans trop de soucis. On avait dû supporter les velléités de quelques “courageux” fachos (pardon… des “anti-antifas”), venus casser quelques vitres et jouer aux durs aux environs de 5 heures. A 6 heures, il était encore possible de sortir de la fac.

Les choses se sont corsées à l’approche de midi, alors qu’un rassemblement devait se tenir sur la Place de la Sorbonne, en soutien à l’occupation et pour se rendre à l’AG une heure plus tard. 


A 13 heures en effet, il n’était plus possible d’accéder à l’enceinte de la fac. Les CRS avaient installé des cordons et des grilles tout autour, et s’étaient postés aux entrées, lourdement équipés. Pendant plusieurs heures, le rassemblement tenta fébrilement de trouver un moyen d’entrer. Depuis les fenêtres et les toîts de la Sorbonne, les occupant-es se sont battu-es comme iels pouvait, jetant dans la mêlée tout ce qui tombait sous la main : beaucoup de papier, quelques appareils, de l’eau et le contenu d’un extincteur. Scène surréaliste où, sous les confettis, le slogan “Poussez les barrières, poussez les barrières” résonnait depuis les fenêtres.


Peine perdue, très clairement – c’en était déjà fini de l’occupation. A l’intérieur (et à l’extérieur), d’après des occupant-es qui réussirent à s’échapper un peu plus tard, des membres du NPA Jeune appelèrent parfois explicitement à abandonner l’occupation et à s’en aller.


Au-dehors, la foule adopta petit à petit une stratégie d’affrontement et de diversion, cherchant à éloigner le plus possible la police des entrées de la fac. Dans le joyeux bordel occasionné, une poignée d’occupant-es parvint à s’exfiltrer littéralement dans le dos de la police tandis que le reste se retrouva bloqué à l’intérieur, derrière une porte cadenassée. Ce groupe-là ressortira des heures plus tard, avec relevé d’identité par la police. Une plainte sera sûrement déposée par l’université, sans que l’on sache pour le moment plus de détails.

Très vite, tout le quartier se retrouva inondé de flics, de gaz, et de manifestant-es les fuyant.


“UN AUTRE MONDE EST POSSIBLE”


De la fin de cette occupation, on voit en arrière-plan se dessiner de quelle manière vont se passer les cinq prochaines années, quel que soit le pantin qui sera élu-e au soir du 24 avril. Ce sont encore / déjà / toujours les matraques qui s’abattent là où elles ne devraient même pas avoir droit de cité. Car quoi qu’on pense de lui, Mitterrand avait raison sur ceci : “Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort”. Et en l’occurrence, il est difficile de donner tort à la jeunesse qui, rouage par rouage, est en train de se mettre en branle dans cet entre deux tours catastrophique. 

Imaginez deux minutes : vous avez 20 ans. Cela fait deux ans que vous allez de sacrifice en sacrifice pour protéger les plus anciens d’une maladie qui, à vous, ne vous fait pas grand chose. Deux ans que vos études tombent en lambeaux, que vous faites régulièrement la queue à l’aide alimentaire ; deux ans que vous vivez entre les quatre murs de votre appart’ étudiant insalubre, que vous galérez à rassembler quelques sous à cause des couvre-feux et confinements qui sabotent les petits boulots; deux ans que vous ne bouffez que des pâtes (dont le prix ne fait qu’augmenter d’ailleurs), que vous ne sociabilisez plus qu’à travers des écrans ; deux ans que vous consentez à repousser votre jeunesse à plus tard, pour le bien commun. Et un soir, le 10 avril, un électorat plus âgé que vous, avec leurs vies bien installées, leur vieille morale de boomer et leur mode de vie périmé, reconduisent au pouvoir les mêmes saboteurs qui vous ont mis dans cette galère. Au moins 69% des +65 ans auraient voté de Macron à Zemmour…

Oui. Il y a de quoi se révolter.

Et l’embrasement de la Sorbonne,de Sciences Po Paris et l’ENS Jourdan dans les mêmes jours, ne sont qu’un début. Ce vendredi 15 avril, des AG se sont tenues à Nanterre, à Paris 8 et dans d’autres établissements. Samedi 16, des manifestations auront lieu un peu partout en France pour refuser le scénario cauchemardesque du deuxième tour. Mardi 19, les lycées comptent entrer dans la mobilisation en annonçant une grosse journée de blocages et de manifestations.


Si les partis de gauche et les organisations syndicales en ont encore quelque chose à faire des prolos, il est de leur devoir d’entendre le cri d’une partie de la jeunesse qui leur a pourtant fait confiance le 10 avril. Il est clairement question de construire un front commun dans la rue et aux législatives – et pas l’une sans l’autre, au risque de condamner tout le monde à la nuit, aux horreurs qu’appelle l’obscurité fasciste. 


Après tout, “un autre monde est [toujours] possible”.

©LaMeute

PORTFOLIO

 

MERCI DE VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 6 personnes et environ 2 jours de travail.

- Photos : Graine, Jeanne Actu, Tulyppe

- Texte : Graine

- Relecture : Mes

- Mise en page : Rabcor

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