Bruxelles : Repenser la lutte pour la journée internationale contre les violences policières
A l’occasion de la journée internationale contre les violences policières, environ 300 personnes ont manifesté ce mardi 15 mars sur un parcours allant de la future place Lumumba située dans le quartier Matonge, à la place de l’Albertine dans le centre de Bruxelles. Familles de victimes et leurs soutiens ont scandé à l’unisson slogans et noms des (trop) nombreuses personnes décédées suite aux crimes racistes de la police bruxelloise.
Une journée internationale aux résonances locales
A l’origine de cette mobilisation, plusieurs organisations et collectifs dont les JOC (Jeunes Organisés et Combatifs), Outils Solidaires contre les violences policières, les Acteurs et actrices des temps présents ou encore la Ligue des droits humains. Ces militant.es d’horizons divers ont voulu, en ce jour, mettre à l’honneur les familles des victimes des violences policières et systémiques pour exiger la justice pour toutes et tous.
Comme point de départ de la manifestation, la future place Patrice Lumumba (1925-1961) située rue de l’Athénée au cœur de Matonge, le principal quartier congolais de la capitale et portant le même nom qu’un quartier populaire du nord de la province de Kinshasa. Un choix loin d’être anodin au regard de la lutte qui s’opère depuis 2008 pour qu’une place soit baptisée au nom du leader de l’indépendance du Congo, sauvagement assassiné en 1961 avec la complicité de la CIA, du MI6 britannique et de l’État belge.
En 2018, un square faisant face au métro Porte de Namur avait déjà été inauguré au nom de Patrice Lumumba suite au combat acharné de plusieurs associations de la diaspora congolaise bruxelloise. Pour le bourgmestre de la commune Bruxelles-Villes Philippe Close, ce geste était compris dans une démarche de « réconciliation » quant au passé colonial de la Belgique.
Un acte symbolique certes, mais grandement insuffisant pour prôner une quelconque « réconciliation ». A quelques kilomètres de là, place du Trône, est encore érigé l’imposant monument Léopold II (1865-1909), ex-roi colonisateur et responsable de plus de 10 millions de morts au Congo.
Car il est impossible de dissocier le racisme structurel de la société belge de son histoire coloniale, il est primordial pour nombre de citoyen.nes de faire exister ce récit dans l’espace public ainsi que d’y imposer les noms de celleux qui luttent, ont lutté, en ont été et en sont encore les victimes.
Repenser la lutte contre la violence policière
Tenant fermement la banderole sur laquelle on peut lire « Justice pour toutes les victimes », plusieurs familles ayant perdu un proche suite à des crimes racistes s’époumonent au rythme des slogans répétés avec ardeur par la foule. On reconnaît notamment les sœurs d’Ibrahima Barrie, 23 ans, décédé le 9 janvier 2021 au commissariat de Bruxelles-Nord après avoir filmé une interpellation avec son téléphone portable dont LaMeute parlait ici. A leurs côtés, des membres du collectif pour Lamine Moïse Bangoura, 27 ans, étouffé à mort par 8 policiers pour un défaut de paiement de loyer le 7 mai 2018. Son corps sera retenu près de 3 ans à la morgue du funérarium Benhammou avant d’être rendu à sa famille en décembre 2021.
Défilent également le grand frère de Mehdi Bouda, 17 ans, percuté à mort par un véhicule de police qui roulait à contre-sens, à plus de 100 km/h et sans gyrophare le 20 août 2019 place de l’Albertine, le père de Sabrina Elbakkali, 20 ans, elle aussi percutée à mort par la police avec Ouassim Toumi, 24 ans, le 9 mai 2017 sur l’avenue Louise. D’autres noms, comme ceux de Karim Cheffou, 23 ans, Jonathan Jacob, 26 ans, Adil Charrot, 19 ans, Ilyes Abbedou, 29 ans ou encore Mawda Shawri, 2 ans sont lisibles sur les pancartes et sont criés par les manifestant.es. Une liste macabre qui révèle la cruauté, l’ignominie et l’acharnement insoutenable d’un racisme institutionnel dont police et justice sont font les bras armés en Belgique et dans le monde entier.
Tant de noms que de familles brisées, endeuillées et endettées à vie pour que vérité soit reconnue. Au terme du parcours place de l’Albertine, Véronique Clette-Gakuba, chercheuse à l'Institut de sociologie de l'ULB, et membre du Comité Justice Pour Lamine prend la parole : « Le combat contre les violences policières ne se fait pas dans la rue, c’est un combat du quotidien, au plus près des familles et collectifs. ». Elle rappelle aux soutiens l’importance de contribuer financièrement aux frais de justice colossaux engendrés par les combats judiciaires souvent étalés sur de longues années. Rien que dans le cas de Lamine Moïse Bangoura, le funérarium ayant séquestré son corps demandait plus de 30.000 € à la famille pour qu’elle puisse récupérer leur défunt. De quoi franchir une étape de plus dans la déshumanisation des victimes et de leurs familles, dont le processus de deuil est relayé à la signature d’un chèque au montant exorbitant.
Ce sont là les conséquences de la ségrégation raciale et de classe qui a encore bel et bien cours en Belgique et ailleurs et qui n’a de cesse de nourrir le système post-colonial d’impunité et de domination policière. Selon Véronique Clette-Gakuba, il est essentiel de repenser la lutte contre les violences policières en ces termes, afin d’annihiler l’usage des termes « bavures » et « DES violences », qui sous-entendraient une exceptionnalité et une analyse au cas par cas de ces crimes issus d’un système raciste.
De même, une mobilisation molle, ponctuelle et axée sur la seule détestation de la police ne saurait, en réalité, que dépolitiser et vider de toute substance l’essence même de cette lutte.
Un point de départ vers une nouvelle convergence ?
Cette journée internationale contre les violences policières est à l’origine des collectifs canadien et suisse respectivement nommés « Collective opposed to police brutality » et « Black Flag». Elle a été mise en place en 1997, après que des policiers suisses aient violemment battu deux jeunes enfants de 11 et 12 ans le 15 mars 1996.
A Bruxelles, elle s’illustre comme l’opportunité nouvelle d’une convergence entre les collectifs et familles de victimes. Un désir d’unité déjà énoncé par Samira Benallal du collectif pour Sabrina et Ouassim lors des dernières audiences au Palais de justice, mais aussi par les collectifs pour Lamine Bangoura ou pour Mehdi Bouda, comme bien d’autres.
Si la majorité des affaires ont été jusqu’ici conclues par des non-lieux, des audiences à venir laissent encore entrevoir un espoir de justice, notamment pour la famille de Mehdi, qui donne rendez-vous à leurs soutiens devant le Palais de justice de Bruxelles le 6 mai prochain. Il en va de même pour les familles de Sabrina et Ouassim, en attente d’un procès pour le mois de septembre 2022, et pour lesquelles le prochain rassemblement aura lieu le 8 mai devant le même Palais de justice.
Pour soutenir les collectifs :