Violences pénitentiaires : "Nous ne laisserons plus les morts tomber dans le silence"

La mère d’Idir Mederess, dont le suicide le 9 septembre 2020 est considéré comme suspect, avait appelé à se réunir pour la première journée nationale contre les violences carcérales. Photo : Johan Jrd

La mère d’Idir Mederess, dont le suicide le 9 septembre 2020 est considéré comme suspect, avait appelé à se réunir pour la première journée nationale contre les violences carcérales. Photo : Johan Jrd

A l'initiative de familles endeuillées, plusieurs rassemblements se sont tenus à travers la France ce dimanche 30 mai 2021, dans le cadre de la première journée nationale contre les violences carcérales. A Lyon, en soutien à la famille d'Idir Mederess, d'anciens détenus se sont insurgés contre la fréquence des "suicides suspects" dans les quartiers disciplinaires. Une journée pour briser l'omerta, entre confidences sur les conditions de détention et souvenirs du "couloir de la mort".

"Laissez-les sortir vivants" : c'est sous ce mot d'ordre que l’association Idir Espoir et Solidarité avait appelé à se réunir pour une première journée nationale contre les violences pénitentiaires, ce dimanche 30 mai. Iels ont été rejoints par le Réseau d'Entraide Vérité et Justice -réunissant des familles de victimes de violences policières et des mutilé-es du maintien de l'ordre- qui luttent contre les violences d’Etat. Dans plusieurs villes, des hommages ont été rendu aux personnes qui ont perdu la vie lors de leur passage en détention. 

A  Paris, un rassemblement s'est tenu en hommage à Jimony Rousseau, décédé des suites d'un arrêt cardio-vasculaire après avoir été passé à tabac à la prison de Meaux (77) en février dernier. 

A Lyon, où le portrait d'Idir Mederess trônait sur la place Bellecour, une centaine de personnes ont fait fit du soleil cuisant pour répondre à l'appel de la mère du jeune homme. Najet Kouaki milite depuis septembre 2020 pour faire la lumière sur le décès de son fils, et mettre fin aux quartiers disciplinaires.

Rassemblement à Lyon à l’appel de l’association Idir Espoir et Solidarité. Photo : Johan Jrd

Rassemblement à Lyon à l’appel de l’association Idir Espoir et Solidarité. Photo : Johan Jrd

"Le No man's land de Lyon-Corbas"

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"Il n'allait jamais se coucher sans m'avoir dit bonne nuit, et il m'avait promis qu'il me rappellerait dès qu'il serait sorti du quartier disciplinaire", glisse Najet Kouaki. Le 9 septembre 2020, pourtant, son fils incarcéré à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas perd la vie, quelques jours seulement après avoir été placé au "mitard" (cellule du quartier disciplinaire, NDLR) et deux semaines avant sa remise en liberté. Rapidement, une vidéo circule et atterit sous les yeux de Madame Kouaki : un prisonnier de Lyon-Corbas s'y filme et dénonce un crime maquillé en suicide. "Le jeune homme qui a fait la vidéo est actuellement au mitard, en guise de punition", alerte-t-elle. 

Rares sont les confidences de prisonnier-es qui réussissent à traverser les barreaux. Alors, des témoignages de personnes incarcéré-es ou de proches sont exposés place Bellecour, lettres noires sur fond rouge : "brutalement ou à petit feu : la prison tue", "la guillotine a disparu mais la mort est toujours là", etc etc.

Des anciens détenus, en chair et en os cette fois-ci, ont fait le déplacement en signe de solidarité. Pour ceux qui sont passés par la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, c'est l'heure annoncée du suicide d'Idir qui interpellent, tout autant que le comportement des gardiens. "Il n'y a plus d'humanité dès que tu franchis la porte de la prison", avertit Mohamed Ali, sorti fin décembre. "A Lyon-Corbas, les matons tolèrent la drogue afin que l'on reste calme, mais ils sont très stricts au sujet des téléphones avec une caméra. La prison, c'est comme une grosse famille où tout ce qui se passe dedans doit rester dedans", lâche-t-il, les yeux dans le vague. 

Un milieu fermé où les interrogations reçoivent peu de réponses de la part de "la Pénitentiaire". Les familles de prisonnier-es officiellement suicidé-es dénoncent des "doutes" autour de ces décès, vécues comme "des humiliations supplémentaires".

Si la version officielle autour du suicide d'Idir ne reçoit pas l'approbation des Lyonnais-es, c'est qu'il ne s'agit pas de la première affaire suspecte à la maison d'arrêt Lyon-Corbas. Au micro, la famille de Sofiane Mostefaoui, un autre enfant du pays, prend également la parole. 

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"Quand j'entends la mère d'Idir, j'ai l'impression d'entendre ma mère", souffle très émue l'une des sœurs de Sofiane. Le lieu, le contexte sont en effet les mêmes : seules les dates changent. Le 10 mars 2013 au soir, Sofiane est au téléphone avec son frère. "On parlait de tout et de rien. Surtout de nos enfants respectifs. Il devait sortir dans deux semaines, lui aussi", nous confie-t-on. "Et puis, il a raccroché rapidement car il a entendu des gardiens se rapprocher", décrit son frère. Sofiane Mostefaoui est décédé le lendemain. "On nous a dit qu'on l'avait retrouvé pendu au lavabo. Puis à son lit", s'insurge la famille.

"Une mafia dans une montagne"

"On nous a raconté une histoire qui ne tenait pas debout : c'est pour cela que les versions ont changé", dénoncent la fratrie Mostefaoui, 8 ans plus tard. "Pour nous, la prison ne nous faisait pas peur : on savait que notre frère était fort mentalement même s'il avait déjà eu des problèmes avec des gardiens au sujet d'un DVD retrouvé dans sa cellule". 

Un briquet, un téléphone ou un DVD sont autant d'objets interdits en prison qui peuvent, à tout moment, déclencher la colère des gardiens, d'après les anciens détenus qui enchaînent les anecdotes dès qu’on les abordent. "En prison, tout est fait pour te faire perdre ton calme et que tu sois sous pression permanente. Par exemple, si tu oublies l'horaire exacte pour demander une douche, les gardiens se vengent et peuvent te laisser sans possibilité de te laver plusieurs jours", raconte Mohammed Ali. "C'est un système pour détruire, pas pour nous punir de nos bêtises", analyse-t-il. 

Un autre ancien détenu, à Meaux (77) cette fois-ci, explique avoir fait une crise d'épilepsie après avoir été étranglé par des gardiens. "J'ai déposé plainte quand je suis sorti de prison, avec mon certificat médical. Depuis, j'attends", souffle-t-il. "Je ne pouvais pas en parler avant d'être sorti car il peut toujours y avoir des répercussions. Les gardiens, c'est une mafia dans une montagne". 

Un homme, qui écoutait patiemment les prises de parole, finit par craquer d'émotion : "J'en ai perdu des shabs ("amis" en arabe, NDLR) !". Le rassemblement lyonnais sert d'exutoire.

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La prison dans la prison

Sur la place Bellecour, les membres d’Idir Espoir et Solidarité ont reconstitué une cellule en quartier disciplinaire : un matelas au sol, des toilettes, une table. Des conditions de vie sommaires mais encore loin de la réalité. "C'est un Cinq étoiles ça", s'exclame le natif du 77. "Au mitard, il n'y a pas de drap, les toilettes sont beaucoup plus près du matelas, la table est fixée au sol et surtout il y a trois portes ! L'entrée des matons et deux grilles supplémentaires", explique-t-il.  

Les prisonnier-es peuvent (officiellement) rester jusqu’à 30 jours dans une cellule du quartier disciplinaire, sans meuble. La promenade se fait dans une petite cour, sans contact avec les autres. Photo : Johan Jrd

Les prisonnier-es peuvent (officiellement) rester jusqu’à 30 jours dans une cellule du quartier disciplinaire, sans meuble. La promenade se fait dans une petite cour, sans contact avec les autres. Photo : Johan Jrd

Le quartier disciplinaire, où sont envoyés les prisonnier-es en cas d'indiscipline, a plusieurs surnoms : le mitard, la prison dans la prison ou le couloir de la mort. C'est dans ce lieu qu'historiquement le taux de suicides (suspects ou réels) est le plus grand. Dans un rapport de la Direction de l'Administration Pénitentiaire de 1996, il est dit que "la mise au quartier disciplinaire accroît de façon majeure le risque de suicide (ou constitue en elle-même un facteur de risque)". 

Entre 1982 et 1991, 50 % des suicides au quartier disciplinaire interviennent dès la première journée de placement en cellule de punition.

Parmi ces 46 suicides, 12 (soit plus de 25 %) sont perpétrés avant la fin de la première heure.

"Les prisonnier-s peuvent être envoyé-es au mitard de 7 à 30 jours, pour des motifs des plus triviaux comme ne pas avoir ranger sa cellule ou des motifs plus graves comme des bagarres", explique Lili* du collectif Fracas. Né d'une scission avec Genepi Lyon, le collectif intervient dans les collèges et lycées de la région pour changer de regard sur la prison. Officiellement, un-e déténu-e ne peut passer plus de 30 jours consécutifs dans une cellule disciplinaire. "Mais on a déja vu des gens au mitard pendant 92 jours", glisse la jeune femme. "J'y suis resté du 5 janvier au 1er juin. Je m'en souviens très bien car c'est mon anniversaire", raconte un ancien détenu. "J'avais dessiné une télé au mur. Cela faisait rire les matons, mais cela m'occupait l'esprit".

La question des suicides en prison est un sujet bien connu, qui ne date pas d'hier. En 1996, le terme de "sursuicidité carcérale" est même évoqué. En septembre dernier, le Ministre de la Justice commandait une nouvelle mission d’inspection pour renforcer la prévention du suicide en prison. Attendu pour le mois de décembre 2020, nous ne trouvons à ce jour aucune trace de cette mission d'inspection sur le site du Ministère. 

"En prison il existe déjà l'humiliation, les privations, les brimades, les souffrances, le manque de respect: nous ne voulons pas la mise à mort de détenus en plus de tout cela", résume Najet Kouaki en conclusion de cette journée lyonnaise et nationale, qui est voué à se reproduire tous les derniers dimanches du mois de mai. 

"Après le non-lieu dans l'affaire de notre frère, nous avons lâché une partie du combat: la page Facebook, le collectif, les marches. Trop de pression, trop de peine. Mais nous sommes toujours restés en contact avec notre avocate. La vérité, on la connait : mais nous souhaitons que Justice soit faîte. De voir des gens qui ne lâchent pas le combat, cela redonne de la force. Aujourd'hui, on envisage d'aller devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme", confie l'une des sœurs de Sofiane Mostefaoui, les larmes aux yeux. 

Au micro, Najet Kouaki réclame un dernier hommage aux personnes "décédées au nom de la discipline; effacées au nom de l'omerta", sous les applaudissements nourris. 

*Nom d’emprunt

©LaMeute - Mes

LIENS UTILES

La pétition pour fermer les quartiers disciplinaires :

https://www.mesopinions.com/petition/politique/petition-radier-cartier-disciplinaire-devastateur/108213?fbclid=IwAR38fhulTTrzTCQHwt5DQgUaY4g2hojWy3C0mzWXscllOS8IEtK-_1uAiMs

La cagnotte de soutien pour la famille d’Idir Mederess:

https://www.cotizup.com/pour-idir-mederres?fbclid=IwAR3TtEw35Md0Zh62Vnh7nZkW_xqE5s6B23x804JnALD3HqM5EcGK7HSjfo4

Fermer les mitards, une série de vidéos :

https://fermerlesmitards.over-blog.com/2021/04/fermer-les-mitards-1-le-mitard-pourquoi-et-comment.html


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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 17h de travail.

- Texte et mise en page : Mes

-Photos : Johan Jrd