Prudence est mère de survie pour le mouvement lycéen
Pour la deuxième semaine du mouvement lycéen, les élèves du lycée Colbert à Paris ont tenté en vain de bloquer leur établissement, rejoint-es et soutenu-es ce mardi par le lycée Bergson. Sous les feux des projecteurs, et dans le viseur des autorités, les élèves prennent garde à leurs faits et gestes. Iels savent, qu'à l'instar de n'importe quel autre mouvement social, iels seront traité-es comme des grand-es.
Iels auront réussi à faire parler d'elleux. Une semaine après une opération policière violente, l'appel au blocus des lycéen-nes de Colbert de ce mardi 10 novembre a mobilisé nombre de journalistes. A notre arrivée, au petit matin devant le lycée, on se retrouve entre collègues sous une pluie incommodante. Les gouttes d'eau sur nos lunettes et le masque dissimule notre gène - du moins on l'espère : une voiture de police a beau être déjà là, pas une seule trace des lycéen-nes.
On les retrouve quelques mètres plus loin, sous le métro aérien de la ligne 2. Iels sont une trentaine à rassembler des poubelles qui permettront -du moins iels l'espèrent- à bloquer leur lycée, pour dénoncer l'absence de protocole sanitaire adéquat.
En fil indienne, iels filent à pas vifs devant leur bahut. La réponse de police sera tout aussi rapide. A peine 8h, et les lycéen-nes sont automatiquement rabroué-es par les forces de l'ordre, matraque et gazeuse en main [une tentative poétique pour dire "charge policière", NDLR].
Tuer dans l'oeuf un mouvement social
"Les policiers sont plus nombreux que la semaine dernière", observe Max*, une étudiante en 1ère à Colbert. En quelques minutes, les policiers présents aux aurores ont été rejoint par leurs collègues pour garder sous surveillance la porte d'entrée du lycée. "Il y a le plan Vigipirate à prendre en compte; le coronavirus bien sûr, et puis aussi, la France en ce moment...", analyse-t-elle , une grimace qui se devine sous son masque.
"Les policiers sont vraiment chauds", ajoute H*, élève en seconde.
Une banderole qui jonche le sol résume assez bien la situation: "On veut des mesures sanitaires, pas des violences policières". Le dispositif policier du jour signe l'échec cuisant de la tentative de blocus -et de l'expression de ses revendications- comme quelques jours plus tôt au lycée Turgot. Une charge, pas deux, pour ces élèves qui en profitent pour petit-déjeuner sur le pouce, tout en gardant une distance raisonnable avec les force de l'ordre.
C'est la même tonalité au lycée Bergson, plus au nord de la capitale. "Je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus", soupire une jeune fille en inspectant du regard une ligne de policier face à elle. La musique et la motivation ont beau être là, pas moyen de s'approcher du lycée non plus. Plus tôt dans la matinée, des élèves de Bergson ont voulu rejoindre leurs camarades de Colbert -du moins iels l'espéraient. Pendant quelques heures, un jeu du chat et de la souris s'est mis en place, au rythme des va-et-vient entre ces deux lycées.
A Paris, à quelques mètres d'un dispositif coercitif, Camille *remarque que "si la police n'instaure pas un débat, l'échelle de la violence augmente". A Saint-Nazaire, le même jour, un cap est franchi. Six personnes ont été interpellées en amont du blocus.
"L'image du blocus est en jeu"
Du côté des lycéen-es, on cherche à tout prix à ne pas envenimer la situation. L'un se définit comme "fondamentalement non violent"; une autre, "pacifiste". "L'année dernière, il y a eu des départs de feu. Cette stratégie n'a pas marché. Aujourd'hui, c'est hors de question que l'on rentre dans leur jeu", explique Noah, une élève de 1ère. "L'image du blocus est en jeu : plus personne ne viendra si cela se passe mal pour nous. On refuse d'être incriminé".
"On a surtout peur d'être embarquées", confirment deux amies. "Mais on est toustes très soudé-es", répètent unanimement les lycéen-nes interviewé-es. La cinquantaine d'élèves présent-es se refilent numéros d'avocat-es et conseil pour assurer en cas d'interpellation. Une solidarité courante lors des mouvements sociaux, alors que plusieurs lycéen-nes depuis le 3 novembre ont déjà reçu des amendes ou ont été placé-es en garde à vue.
S'iels n'ont pas atteint leur objectif, les lycées le garantissent : iels ne sont pas démotivé-es pour autant. "Lors du mouvement contre les E3C, on était même pas dix à se mobiliser le matin", constate Noah. "Aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui se mobilisent et les médias nous soutiennent". Les enseignant-es partagent également leurs revendications. Iels s’étaient donné-es rendez-vous dans l’après-midi pour manifester devant le Ministère.
Le mouvement face aux médias
Comme il est d'usage, l'incrimination des manifestant-es est tout autant médiatique que judicaire. A Compiègnes dans l'Oise au sujet des violences lors d’un blocus : "il ne s’agit pas du tout d’éventuelles revendications en lien avec le protocole sanitaire" affirme le rectorat, quand la procureure fait le lien avec les banlieues (lire notre série sur Zyed, Bouna et les révoltes). Un lycéen blessé au visage a porté plainte.
Si quelques lycée-nes refusent de nous répondre par méfiance, Max et H tentent de nous rassurer : "On sait que chaque média a sa propre orientation politique. Il faut faire avec. Si c'est TF1 ou Quotidien, le résultat n'a rien à voir", explique les jeunes filles, en admettant avoir une préférence pour l'émission de Yann Barthès.
De toute façon pour Noah, "on a pas d'autre place où l'on peut se faire entendre. Il faut bien faire passer le mot sur la situation sanitaire”. Elle n'a pas besoin d'être convaincue par une membre de la FCPE (Fédération de Conseil des Parents d'Elèves), présente en soutien, et qui tente de convaincre les jeunes de répondre aux micros tendus. "Aujourd'hui, tout se joue avec les médias", leur lance-t-elle.
Entendu à la volée, du côté de Bergson cette fois-ci, ce -malheureusement pas si vrai- "y'a les médias : les policiers ne vont rien nous faire !" nous rappelle aux journalistes que, tant qu'il y'aura des abus à documenter, nous les documenterons -aujourd’hui comme demain.
Lire la tribune sur l’article 24 du projet de loi de Sécurité globale dont LaMeute est signataire : https://reporterre.net/Interdiction-de-diffuser-les-images-des-policiers-le-droit-d-informer-est-en-danger
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