Marches féministes des 7 et 8 mars : Ce que le jour doit à la nuit
Le week-end qui vient de s’achever à Paris, a été fort, physiquement, émotionnellement, et politiquement. Les différents événements féministes organisés sur la capitale ont consacré les idéaux d’un féminisme intersectionnel. Une brèche s’est ouverte. Les oubliées telles que les travailleuses du sexe, les personnes transgenre les racisées et les femmes non-valides rappellent néanmoins qu’elles « attendent beaucoup plus ».
Il fait bon, on se croirait presque un soir d’été. Samedi 7 mars, à la veille de la journée internationale pour le droit des femmes, la place des Fêtes -située dans le nord de Paris- se remplit peu à peu. Une manifestation nocturne, en non-mixité et en direction de la place de la République, a été organisée sur le tard. Qu’importe, le succès est retentissant. Ce soir-là, nous étions plus de 10.000 -au bas mot- à faire du quartier de Belleville, le quartier des femmes qui se sentent exclues du féminisme institutionnel.
« Et la rue elle est à qui ? Aux putes ! », scande le bloc qui réunissait les militantes du Strass (Syndicat du Travail du Sexe), d’Acceptess-T et d’Act Up. Iels tiennent fermement la banderole qui rend hommage à Jessyca Sarmiento, femme transsexuelle assassinée dans la nuit du 20 au 21 février. Elle ne fait pas partie du décompte des féminicides tenu par le collectif Féminicides par compagnons ou ex. Pour information, 17 femmes ont déjà été tuées en 2020.
Un chiffre, auquel il faut donc ajouter Jessyca Sarmiento.
A quelques mètres de là, les antifascistes de Paris-Banlieue rappellent bruyamment le souvenir de Zineb Redouane -tuée à sa fenêtre par un éclat de grenade de lacrymogène- et de Vanessa Campos, travailleuse du sexe assassinée d’une balle dans le thorax. Toutes deux sont mortes en 2018.
Rapidement, les curieux-ses se penchent aux fenêtres. Les parents sortent du lit les petit-e-s pour qu’iels puissent observer ce qui est en train de se passer dans les rues de Paris. Des milliers de femmes, toutes différentes mais toutes unies, s’accaparent le quartier, avec joie et panache. « Je n’ai jamais vu une manif aussi bruyante », analyse une manifestante que l’on croise pourtant régulièrement depuis des années sur le terrain.
En effet, à aucun moment les militantes n’ont laissé le silence s’abattre sur cette nuit. Elles ont fait trembler les barrières disposées sur le parcours, ont chanté, couru, dansé. Un luxe pour beaucoup d’entre elles, comme le rappelle une fille venue avec ses copines. « La nuit, c’est le moment où l’on se sent le plus vulnérable. On nous répète tout le temps de ne pas sortir ».
Rage, Sororité, Riposte
L’actualité de ces derniers mois a poussé les manifestantes à sortir, en nombre. La pancarte « On se lève et on casse tout » évoque le sacre de « Violanski » lors de la cérémonie des Césars et la tribune de l’écrivaine Virginie Despentes. En masse, et à l’unisson, les filles reprennent le slogan « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes, et radicales et en colère ». Sur le parcours de la marche –respecté contrairement à ce que la Préfecture de Police et Marlène Schiappa ont déclaré- les rues paraissent trop étroites pour contenir la foule et la colère.
La circulation n’a pas été coupée comme il est d’usage de le faire afin de ne pas mettre en danger les manifestant-e-s. La préoccupation des forces de l’ordre se portait visiblement ce soir-là sur autre chose. Face à cette désorganisation, certaines remarquent au contraire « la déter » des militantes présentes.
Rue du Faubourg du Temple, un gigantesque « Siamo tutti anti fascisti » (« Nous sommes tous-tes antifascistes ») est lancé devant une ligne de CRS. Entre 22h40 et 22h50 –et non pas deux heures plus tard comme l’insinue la Préfecture de Police dans son communiqué, ces mêmes CRS décident qu’il est temps de rentrer à la maison. Lacrymogènes, frappes, interpellations : la furie s’abat, celle des forces de l’ordre, qui tentent de faire reculer sur la place de la République les militantes. Ils semblent bien s’amuser et frappent même sur leurs boucliers pour provoquer la peur. Poings levés et une pancarte « Dures à queer » dans l’autre main, les manifestantes résistent pendant un certain temps aux coups. Obligées de reculer, elles sont finalement encerclées et repoussées jusqu’à une bouche de métro. Les forces de l’ordre continueront de s’amuser en frappant les manifestantes jusqu’à l’entrée de la station de métro.
« Le féminisme ne peut pas se faire sans nous! »
La répression, sans doute, s’est montrée équivalente à la force de l’évènement. Le Strass, notamment, s’était enthousiasmé qu’une « prise de conscience dans les milieux féministes [ait] lieu ». Giovanna Rincon, présidente d’Acceptess-T, déclare quant à elle en pleine manifestation nocturne que cette récente prise en compte des exclues « va sans doute créer des convergences ». Son débit est rapide, comme pour rattraper le temps perdu. « Le féminisme ne peut pas se faire sans nous! On est en bas de l’échelle de la pyramide ».
Ces dernières semaines ont été marquées par les propos transphobes tenus par Marguerite Stern, à qui l’on doit la naissance du mouvement des colleuses.
D’ailleurs, des colleuses inclusives étaient présentes en nombre ce samedi soir. Néanmoins, Giovanna Rincon reste prudente et déterminée. « On en attend beaucoup plus. On sera encore là demain », prévient-elle. D’autres manifestantes déclarent quant à elles qu’elles ne se rendront pas à la marche du lendemain organisée par le collectif Nous Toutes. « Trop putophobe », « trop lisse ».
Sortir de l’obscurité
Le jour s’est levé. Nous retrouvons les collectifs féministes qui s’inscrivent dans une démarche intersectionnelle au Centre Internationale de la Culture Populaire où se déroule un « Village des féminismes » pour « se découvrir et échanger ». Les différentes salles sont pleines à craquer.
A l’appel du collectif afro-féministe Mwasi, près de 25 organisations féministes ont répondu présentes : collectif queer, anti-carcérale, d’aide aux travailleurs-ses du sexe, pour la visibilité de la communauté des sourdes queer… « Nous n’avons jamais eu autant besoin des luttes (…). Pour cela, il ne faut surtout pas être raisonnables », déclarent conjointement une membre du collectif Mwasi et une interprète en langue des signes des Mains Paillettes. Discussions et débats vont rythmer la journée.
« Nous Toutes bataille sur un terrain qui n’est pas suffisant », résume une bénévole de la revue Les Ourses à Plume. « Elles nous invisibilisent en parlant à notre place », précise une militante de Mwasi. Le collectif Afro-fem n’est pas aussi catégorique. «En novembre, on était avec Nous Toutes. Aujourd’hui nous sommes là. Cela ne nous pose pas de problème de faire les deux », détaille une bénévole. Son regard fait le tour de la salle et se pose sur la multitude de stands présents. « Mais c’est vrai qu’ici c’est plus diversifié ».
Ici, comme lors de la manifestation nocturne, on « love gaze » Aïssa Maïga et son discours engagé lors de la cérémonie des Césars. On trouve la tribune de Despentes « intense » mais on déplore qu’elle ne prenne pas en compte « les femmes sous emprise ou celles qui ont des contraintes économiques. Les termes employés par Aïssa Maïga étaient tout aussi puissants, mais elle décrit la même situation qu’il y a 20 ans », nous explique-t-on au stand Afro-fem. Retour en 2000 : le cinéma français n’avait pas inclus l’actrice antillaise Darling Légitimus lors de son hommage annuel aux artistes décédé-e-s. A l’époque déjà, l'écrivaine Calixthe Beyala et le comédien antillais Luc Saint-Éloy avaient dénoncé sur scène cet "oubli".
La manifestation nocturne et le village du CICP ont permis de sortir de l’obscurité les invisibilisées. « Le but à terme de la non-mixité, c’est la mixité ! Mais va faire comprendre ça à quelqu’un qui ne s’est jamais intéressé au féminisme…», indique une militante. La veille, une manifestante remarquait : « on voit enfin les colleuses, on voit les grapheuses… Elles sont toujours là mais d’habitude, on ne les voit pas ».
Ombre et Lumière
Changement d’ambiance lors de la manifestation qui a battu le pavé de la place d’Italie jusqu’à la place de la République. Le cortège est mixte. La tête du cortège est donc forcément…masculine. Des slogans « Gilets Jaunes » prennent le pas sur les chants féministes. Rapidement, des grévistes de la Ratp et de la Sncf se rendent compte de la situation et laissent passer les femmes et un cercueil revêtu du drapeau transgenre devant eux sans problème.
Certain-e-s ne sont pas de cet avis et le font savoir à base d’insultes et menaces. Les esprits s’échauffent jusqu’à la place de la Bastille, où les femmes du cortège de tête font bloc et arrivent enfin à faire partir les manifestant-e-s en question.
A quelques mètres de la place de la République, cette fois-ci c’est une banderole de Nemesis, un collectif « féministe » anti-immigration qui provoque l’ire des militant-e-s antifascistes.
Dans le reste du cortège néanmoins -fourni et qui malgré la pluie a réuni 60.000 personnes, l’esprit festif ne s’est pas éteint. Les femmes grévistes du premier jour et les manifestant-e-s ont montré, comme la veille, que la solidarité est une affaire de femmes.
©LaMeute - Mes
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