PROCES POUR LA FAMILLE KEBE A VILLEMOMBLE (93): CIRCULEZ Y'A RIEN A REDIRE, OU L’ERREUR INAVOUABLE

La famille Kebe intervenait en soutien aux côtés du combat pour Gaye Camara en février dernier. ©LaMeute - Naje

La famille Kebe intervenait en soutien aux côtés du combat pour Gaye Camara en février dernier. ©LaMeute - Naje

Depuis jeudi 5 mars, deux policiers sont sur le banc des accusés, jugés en appel par la Cour d’Assises de Paris pour des faits de violence qui remontent à 2013 ; un appel fait à la demande du parquet, suite à l’acquittement des trois policiers initialement mis en cause, en juin 2018 devant la Cour d’Assises de Bobigny ; la Cour avait alors retenu la légitime défense. Ces deux premiers jours, où des témoins policiers se succèdent à la barre, donnent à voir une vision policière, binaire du monde.

[RAPPEL DES FAITS : voir ce papier de Désarmons-les - ]

Cela fait sept ans que la famille Kébé attend que la Justice soit rendue dans cette affaire. Mme Kébé, qui a perdu son œil gauche suite à cette violente intervention policière (47 ans à l’époque des faits) est décédée l’année dernière, sans que Justice ne lui soit rendue de son vivant. Ce sont ses fils et ses filles qui poursuivent le combat à présent. Avec force.

« Ça fait 24H qu’on est assis, on parle de nous et on ne peut rien dire » lâche Makan, 27 ans aujourd’hui, d’un ton calme, en analysant sa frustration en cette fin de deuxième jour de procès.

Les faits remontent au 25 juin 2013 à Villemomble, en Seine-Saint-Denis (93) – cité de la Sablière. Makan n’a alors que 20 ans. Alors que les policiers interviennent pour mettre un terme à un rodéo vers la gare de Bondy, ils croient arrêter l’un des auteurs du rodéo ; ce dernier aurait alors agressé l’un des policiers avant de prendre la fuite. Les policiers arrêtent alors Makan, à tort, et violemment, alors qu’il rentrait tranquillement chez lui. Son aîné, Mohamed, voyant son frère interpellé sans raison descend pour prévenir la police qu’il y a erreur. Mohamed reçoit, pour seul échange, un grand coup de gazeuse et un tir de flashball par l’agent M.S (aujourd’hui sur le banc des accusés), peu réglementaire puisque tiré de très près et en visant la tête (ce qui est interdit).

La balle touche son oreille. Alors que son frère est embarqué par la police, il s’approche de la voiture et de rage, brise la vitre.

« En trois secondes, il y a le jet de gaz lacrymogène et trois détonations, deux de flash-ball et une grenade à main de désencerclement (GMD)  »
— Me Honegger, avocat de la famille Kébé

Mme Kébé, descendue après avoir vu ses fils en prise avec la police et violentés, s’approche avec sa fille. Rejointe par un élu, un dialogue tente d’être mis en place alors que Makan est amené vers la voiture de police. Les passant•es s’arrêtent, observent ce qu’il se passe. C’est alors que trois policiers passent à l’action, au milieu des femmes et des enfants, profitant du dehors en ce soir d’été : « En trois secondes, il y a le jet de gaz lacrymogène et trois détonations, deux de flash-ball et une grenade à main de désencerclement (GMD) » rappelle Me Honegger, l’un des deux avocats de la famille Kébé.

Mme Fatouma Kébé, la maman des deux garçons, reçoit un éclat de GMD lancée par Antoine C. (l’autre policier mis ici en cause) dans l’œil gauche; la blessure la laisse éborgnée pour le restant de ses jours.  

En 2018, la Cour d’Assises du Tribunal de Grande Instance de Bobigny (93) avait reconnu ces trois policiers coupables de violences volontaires (dont la perte à vie de l’œil de Mme Kébé) tout en retenant la légitime défense et donc, prononçant leur acquittement ; ce, alors que le parquet lui-même [des magistrats rattachés au Ministère Public, chargé de faire respecter la loi au nom du respect des intérêts fondamentaux de la société, NDLR] avait requis de la prison avec sursis et des interdictions temporaires de travailler.  

Seul condamné en première instance pour outrage et rébellion, Mohamed Kébé, le frère de Makan, avait été dispensé de peine, comme l’avait plaidé son avocat.

« C’est presque théâtral ! » ;  faire corps policier

« Ils ont totalement accordé leurs violons. »
— Assa Traoré, soeur d'Adama

Dans ce procès qui s’ouvre, il s’agit donc bien de juger la culpabilité de deux policiers : Antoine C. qui a lancé la GMD qui a coûté son œil à Mme Kébé et Mickael S. qui a tiré sur Mohamed, à bien moins de dix mètres (la distance réglementaire minimale) en direction de sa tête.

14 auditions des fonctionnaires de police ont été réalisées depuis juin 2013, rappellera l’un des témoins appelé à la barre, ce vendredi 6 mars 2020.

Ces deux premiers jours d’audience, se succèdent à la barre plusieurs fonctionnaires de police. C’est l’occasion d’observer le corps policier à l’œuvre ; « On a l’impression que c’est répété, c’est presque théâtral ! » fera remarquer Assa Traoré, la sœur d’Adama, présente en soutien de la famille Kébé ces deux premiers jours d’audience. « On voit très bien que les policiers ont bien ficelé le tout ! Ils sont dans une déni total. Ils ont totalement accordé leurs violons. Je trouve ça honteux ! ».

Des effets de scène il y en a : dans la formalité des uniformes déjà, dans la raideur des dos des témoins qui se succèdent à la barre, dans le vocabulaire très militaire, qui ne fléchit pas, jamais (à base de « affirmatif » et d’un champs lexical belliqueux : « on va au combat » dira le chef adjoint de la BAC de nuit du 93, Jean-Sébastien Q.).

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« Si j’avais menti en première instance sur une seule chose j’aurais été condamné » / Ne faire qu’une seule voix, coûte que coûte

Le déni dont parle Assa Traoré, c’est aussi ne pas pouvoir reconnaître ne serait-ce que la possibilité de l’erreur.

« Que l’IGS puisse dire que les policiers ont ‘’pu croire’’ que Mohamed était armé; alors que dans le rapport de l’IGPN, eux écrivent qu’il est absolument visible qu’il n’était pas armé  »
— Me Honegger, avocat de la famille Kébé

Plusieurs fois ce vendredi, LA version des personnes dépositaires de l’autorité publique sera mise en doute : LA version, au singulier, puisque, s’ils se succèdent à la barre, il ne semble être que la même voix d’un seul corps. En dépit des divergences dans leurs déclarations, tout doit coller. Tout doit s’aligner. Comme face à une boîte à formes, où l’on tape du poing sur un carré pour le faire entrer dans un triangle.

Il y a, par exemple, le nombre de personnes présentes et considérées comme menaçantes pour et par les policiers, qui expliquent ainsi le recours à la force. Ce nombre varie au fil des déclarations. Le dernier témoin de ce vendredi après-midi est celui qui a gazé à bout portant le groupe de personnes après l’interpellation de Makan et la blessure de Mohamed – gazage qui a lieu quelques secondes avant deux tirs de flashball et celui de la grenade de désencerclement qui éborgnera Mme Kébé. « Vous parlez d’une cinquantaine de personnes dans votre déclaration. Moi j’ai plus l’impression d’une dizaine de personnes, éparpillées ; un groupe assez hétérogène avec notamment Mme Kébé. » pointe l’un des avocats des parties civiles, Me Fourt. « Vous avez mal vu », répondra l’agent de police.

Autre exemple de changement de discours : Florian, alors chef du groupe auquel appartient le mis en cause pour le tir de flashball qui atteindra Mohamed à la tête (le policier, Mickael S.), est questionné sur son témoignage par l’autre avocat de la partie civile, Me Honegger : « Vous affirmez que Mohamed a ramassé la pierre et arme son bras alors que vous êtes de dos de la même manière que vous affirmez que vous êtes sûr que c’est Makan » relève l’avocat. Le policier tente d’expliquer qu’il n’était pas de dos mais « de trois-quart ». Preuve filmée à l’appui, l’avocat lui rétorque : « C’est le tir de flashball qui fait que vous vous retournez ! Pourquoi affirmer dans une première déclaration que vous êtes sûr que Mohamed était dangereux ? ». Et d’ajouter : « moi ce qui m’intéresse c’est la crédibilité de vos propos, leur cohérence avec ceux de vos collègues et la différence avec les vidéos. Pourquoi, par exemple, ne pas évoquer le gaz alors qu’on voit que le gaz fait que tout le monde s’enfuit et que c’est à ce moment-là qu’on utilise le flashball ? ».

Car c’est cet emploi disproportionné de la force qu’il s’agit de démontrer : « Il n’y a pas d’autre moyen que le tir sur Mohamed ? », questionne l’avocat des parties civiles. « C’est le moyen le plus proportionné. A distance, comme ça, je ne vois pas quel autre moyen. On doit s’extraire », répond Florian. « Pourquoi ne pas interpeller ? » ;  « A ce moment-là, il fallait partir. » ; « Je suis d’accord avec vous » conclue Me Honegger pour clôturer l’échange, avant de retourner s’asseoir.

«  Il faut que la culpabilité de Makan soit avérée, sinon il faudrait admettre qu’ils aient fait une erreur ;  et que tout ce qui s’est passé suite à cette interpellation est le résultat d’une erreur.  »
— Me Honegger

L’avocate générale, elle aussi, interrogera le témoin sur les « infléchissements » entre ses deux déclarations de 2013, à deux mois d’intervalle. Elle insiste notamment sur le fait que la « pierre » qu’aurait soi-disant tenue Mohamed devient un simple « objet » dans la seconde déclaration. « On ne vous demande pas de vous adapter aux vidéos » souligne le parquet à l’adresse du témoin.

Le Président de la Cour l’interroge sur les éléments d’identification de Makan comme l’individu recherché : « grand et de type africain, c’est un critère léger non ? » . L’agent répond : « Je l’ai vu longer la barre d’immeuble et passer sous le porche et je le vois partir, je le désigne; C’est lui ». Le Président insiste, ouvrant une porte de sortie secours, une occasion d’avouer la possibilité d’une erreur :  « On peut se tromper sur l’identification… ». L’agent répond à nouveau : « le grand ne part pas en courant, il marche, il prend la barre d’immeuble». Cette fois-ci, le Président tique. Il ‘’marche’’ ? « Mais ça vous ne l’aviez pas dit ?! Ce n’est pas du tout la même chose ! » s’exclame le Président.

Dans tous les cas, Makan a été acquitté pour cette affaire. Comme le fera remarquer son avocat, Me Honegger : « Il faut que la culpabilité de Makan soit avérée, sinon il faudrait admettre qu’ils aient fait une erreur ;  et que tout ce qui s’est passé suite à cette interpellation est le résultat d’une erreur. Encore une fois, on voit que cette interpellation est totalement disproportionnée ! Surtout quand on sait qu’il est innocent».

Pourtant, les policiers tentent encore de le criminaliser et s’appuie sur cette version, pourtant caduque aux yeux de la justice. Le policier appelé à comparaître comme témoin continue d’être sûr ; il est sûr malgré le fait qu’il ait perdu ses lunettes (il souffre d’une myopie légère et ne peut distinguer un visage à plus de 4/5 mètres sans lunettes) « J’ai pris un coup de pied, mais je continue à être sûr » s’obstinera-t-il.

Les jurés le questionnent ensuite, sur le groupe en face d’eux lors du tir de GMD qui atteindra Mme Kébé : « sur la vidéo, on a l’impression qu’il y a des femmes et des enfants… ». « Non, c’est le même groupe », lance Florian. L’agent, malgré sa voix tremblante et le fait qu’il décrive ce soir-là comme un chaos absolu dans lequel lui et ses collègues sont « débordés »,  semble sûr de lui. A la question des raisons du recours aux armes, à nouveau, c’est l’ombre de la légitime défense qui plane ; « mon collègue discute avec quelqu’un de la municipalité et des individus en profitent pour essayer de porter des coups » invoque-t-il. Il évoque également à nouveau des jets de projectiles (dont un tricycle selon Florian), qui sont invisibles sur les vidéos jointes au dossier. « Vous entendez le bruit de la vaisselle », argueront les policiers tandis que l’avocat générale s’amusera de la distance qui sépare les policiers des bâtiments, les mettant hors de danger, sauf pour un « lancée d’assiette olympique ».

De son côté Makan Kébé observe tout cela d’un regard désabusé : « on a l’impression qu’ils se couvrent tous entre eux. Alors que moi si j’avais menti en première instance sur une seule chose j’aurais été condamné. »

La perception de ce corps policier à l’œuvre est d’autant plus flagrante que l’avocat qui défend aujourd’hui les accusés n’est autre que Me Merchat, ancien commissaire aux Renseignements Généraux (RG), avocat des policiers mis en cause dans la mort d’Amine Bentounsi en 2012 et avant cela, de ceux mis en cause dans la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005. (cf : ce portrait de Libération  )

Ses prises de parole n’en finissent plus de vanter la police ; de remarquer, non sans humilité, l’exemplarité des forces de l’ordre, la force et le dévouement qu’exigent un tel métier.

Pourtant, dans ce mécanisme de défense du corps policier, l’IGPN pointe les anormalités d’usages des armes ce 25 juin 2013. Au départ cependant, c’est l’IGS (Inspection Générale des Services, NDLR) qui hérite de l’enquête (avant d’être dissolue dans l’IGPN en août 2013) : « L’enquêtrice de l’IGS, Mme Dubois, semble avoir un regard très favorable sur les agissements des policiers sur lesquels elle est censé enquêter; et c’est surprenant à voir » s’étonne l’un des avocats de la famille Kébé.  « Qu’elle puisse dire que les policiers ont ‘’pu croire’’ que Mohamed était armé alors que dans le rapport de l’IGPN, eux écrivent qu’il est absolument visible, qu’il n’était pas armé et qu’on ne pouvait pas ignorer qu’il n’était pas armé. Ce que l’IGS dit n’est absolument pas nuancé et c’est très étonnant ces différences entre ces deux services. »

Les bâtards, les adversaires, les hostiles et les collègues / Choisis ton camps, joue-là comme Lallement ?

L’avocat pointe un autre point du rapport de l’IGS : « En parlant de Mme Kébé, Mme Dubois de l’IGS parle de « dommage collatéral » à l’audience; c’est surprenant dans la mesure où il me semblait que la mission première des policiers est d’assurer la sécurité des citoyens et on se rend compte ici qu’en réalité c’est avant tout protéger leurs collègues contre ces mêmes citoyens même si certains ne peuvent être pour eux que des dommages collatéraux. »

On constate effectivement, au fil des témoignages que, ce 25 juin 2013, ce qui compte avant tout c’est la sécurisation de l’équipe policière, avant même celle du public.

Ce que ce procès laisse également entrevoir dans la stratégie de défense, c’est aussi celle de la vision binaire du monde par les agents des forces de l’ordre ; ceux-là même qui parlent de dommages collatéraux comme d’adversaires ou encore d’individus hostiles . Voire même de « bâtards » pour parler des jeunes. C’est ce que fera remarquer l’un des avocats de la famille Kébé, faisant référence à une communication radio ce soir-là : « il y a encore des bâtards dans le coin », se disent entre eux les policiers (comme le rapporte le média ACTA sur son thread du premier jour d’audience ) Ce vendredi matin, un terme choque l’assistance : celui « d’adversaire ». Lorsque l’on leur demande qui sont ces adversaires, la réponse est claire : tous ceux qui font face à la police sont potentiellement des adversaires.


Diabolisation du 93: « Ne soyez pas policiers dans ce cas là »

Cette vision d’un monde où les policiers sont seuls contre tous est aussi renforcée par le recours à la diabolisation du département du 93 dans les discours des policiers et de leurs avocats. D’ailleurs, le chef adjoint de la BAC de nuit du 93 a aussi exercé à Paris et n’hésite pas à comparer, soulignant comment il se sentait bien plus en sécurité à la capitale que dans le 93.

Me Merchat demandera d’ailleurs au témoin Florian, agent du même groupe de police que Michael S. : « Pensez-vous que l’opinion publique puisse comprendre la réalité de la police en Seine-Saint-Denis ? ». Réponse: « Non, faut le vivre. »

Assa Traoré revient sur cette caricature : « ce n’est que des généralités qui sont dites sur le 93 : un lieu « sensible », qui ferait peur ; j’ai envie de leur dire ne soyez pas policiers, dans ce cas là ! »

La Seine-Saint-Denis est dépeinte comme un territoire dangereux, composé d’une délinquance hors-norme qui n’attendrait que l’occasion de « se faire deux flics facile’» et d’une population qui serait malveillante, presque intrinsèquement. Comme dans un reportage d’Enquêtes Exclusives. Ce tableau dressé permet ensuite de justifier le recours aux armes et l’extrême vigilance (voire bravoure) des forces de l’ordre. Et de faire mine de s’étonner : « pourquoi filmer la police ? », « pourquoi ne pas avoir confiance en nous ? » , comme si aucun passif, aucune histoire des actions de la police dans les quartiers ne venait ici expliquer la situation.

Pourtant, Makan lui-même le dit au sortir de cette audience de vendredi : « moi la première fois que j’ai eu peur dans ma vie, c’était de la police. Elle avait tiré sur un grand du quartier… On avait quoi, 8 ans, tu te souviens ? » demande-t-il à son meilleur ami, présent à ses côtés qui acquiesce d’un signe de tête.  

Me Merchat, l’avocat des policiers, revient sur l’expression, volontairement marquante, d’un témoin policier à la barre ce vendredi après-midi : « se faire deux flics facile » ». Il s’exclame : « une quinzaine d’individus qui veulent vous tabasser alors que vous n’avez rien fait ! ». Ce à quoi répondra l’agent : « on représente l’État… ». L’avocat de la défense enchaîne, lapidaire : « bon, c’est comme ça en Seine-Saint-Denis quoi. »

Éloge et exemplarité, sans faille ?

Face à ce sombre tableau, il s’agit alors de souligner le travail exemplaire des forces de l’ordre pour la défense. Ce que ce procès laisse aussi entrevoir, c’est aussi l’image d’une police qui ne se remet pas en question.

« A force de s’habituer au danger, on n’est pas forcément plein de sang-froid ?  »
— Me Merchat au chef adjoint de la BAC de nuit du 93 à la barre

Avec son lot de contradictions : à la fois, il s’agit d’expliquer que cette situation était inédite, et extrêmement tendue, sur un territoire dangereux impliquant du stress, pour justifier le recours aux armes et plaider la légitime défense ; et, dans le même temps, il faut pouvoir expliquer que les agents ont agi avec discernement, avec du sang froid et ont fait preuve d’expérience et de maîtrise.

Le chef adjoint de la BAC de nuit 93, Jean-Sébastien Q.,  insistera : « c’est l’expérience et le discernement » qui comptent. Mais que faire lorsqu’il y a trop de stress ?

La remise en question des pratiques policières semble inatteignable : lorsque le Président demandera à J-S Q. de revenir sur le debriefing suite aux évènements violents du 25 juin, la réponse est bornée : « Aucun problème » ;  « Je ne vous demande pas de porter une appréciation mais est-ce que vous discutez, est-ce que vous réfléchissez sur comment faire autrement, etc ? » précise le Président. « Si [Antoine C., mis en cause pour le lancer de GMD qui a causé l’éborgnement de Mme Kébé] l’a fait, c’est que la situation le demandait. »  

Pourtant, ce n’est pas faute de tendre des perches. L’avocate générale, par exemple, reviendra sur la déclaration de Fabien, autre témoin de ce vendredi : « « vous exhortez vos collègues à partir mais Mickael S. [mis en cause pour le tir de LBD non-réglementaire sur Mohamed] fait feu. En lisant la déposition, j’observe que vous préconisez de partir mais Mickael S. fait autre chose(…). Le lien de cohérence n’apparaît pas dans l’audition ; vous dîtes ‘’on part’’ puis vous prenez acte que Mickael a tiré ». Pourtant lorsque Me Merchat demandera au même témoin « si les rôles étaient inversés, auriez-vous perçu la même menace ? » , il répondra sans hésiter : « oui j’aurais fait la même chose. » arguant qu’il percevait une menace à ce moment précis.

L’avocate générale insistera également auprès du chef adjoint de la BAC de nuit du 93, J-S Q., à laquelle appartient Antoine C.  : « Comment A.C vous dit-il qu’il a utilisé la grenade ? » ; « il m’a dit qu’il est arrivé sur une situation dégradée et qu’il a utilisé la GMD » ; « Donc vous ne savez pas comment il l’a utilisée ? » questionne à nouveau le parquet. « Sur le moment il m’a dit qu’il a jeté la GMD et je lui fais confiance, je sais qu’il a fait comme il faut. » La confiance est presque aveugle, puisque ce témoin n’était pas présent le soir des faits.
 « Il a le sens du service public, il correspond le mieux à ce qu’on demande à un policier de BAC de nuit » dira-t-il, aux côtés de nombreuses autres éloges  (« expérience », « performant », « motivé », « dynamique »), pour parler de son collègue, qui lui a d’ailleurs servi de « guide » lorsqu’il arrive à la BAC. Les avocats de la famille Kébé commencent à perdre patience : « en fait vous n’avez connaissance de rien, vous n’étiez pas sur le terrain, mais vous affirmez que ça s’est passé dans les règles ? ». La réponse est encore la même : «  confiance » , « force de l’unité ».


Me Merchat, lui, met presque les arguments dans la bouche de ses témoins : « A force de s’habituer au danger, on n’est pas forcément plein de sang-froid ? » demande-t-il au même témoin appelé à comparaître.

L’avocat de la défense compte bien s’appuyer sur l’encart du texte faisant état des usages de la GMD, qui explique que la « légitime défense dispense du jet au ras du sol ». Me Merchat entend démontrer que la situation a requis le recours aux armes parce que trois agents décident, à quelques secondes d’intervalles, d’utiliser leurs armes : un gazage (à tout va, même sur un collègue policier, dans une situation où certaines personnes s’étaient approchées dans une tentative d’instaurer un dialogue pour faire redescendre la pression), deux tirs de LBD. Si les policiers agissent ainsi c’est qu’ils sont en danger, c’est « qu’ils ont la même analyse de la situation ». A supposer que dans la tension de cette situation (puisque les policiers la décrivent parfois ainsi), l’analyse puisse être atteignable et rationnelle ; Me Merchat évince d’un coup de manche la possibilité que ces trois agents de police aient paniqué au même moment. Il balaie la possibilité d’un « effet tunnel », d’une réaction en chaîne liée à la pression ambiante. L’erreur est bel et bien inconcevable.  

Le procès se poursuivra demain à partir de 9H30 à la Cour d’Assise numéro 3 du Palais de Justice de Paris (métro Cité – ligne 4 / St Michel – RER B).

Poursuivre le combat / « On est loin d’être à la hauteur de l’événement; on ne peut pas laisser les enfants Kébé affronter seule la Justice et la police. C’est notre histoire à tous•tes »

« Mme Kébé ça pourrait être notre mère » souffle Assa Traoré, toujours déterminée à ne rien lâcher. Elle est surprise de constater le peu de soutiens présents depuis jeudi au tribunal. A l’heure où les violences policières en manifestation alimentent désormais les médias, alors que les manifestations des Gilets Jaunes ont permis de questionner médiatiquement la dangerosité des armes sublétales dont le lanceur de balle de défense (LBD) dont a été victime Mohamed et les grenades de désencerclement (la GLI-F4 a été interdite, après épuisement des stocks, pour laisser la place à la GM2L), la surprise est grande de ne constater aucun•e journaliste dans la salle.

« Je ne comprends pas, on est dans un cas concret là, les gens devraient être là ! » s’insurge Assa Traoré.

Samir Elyès, militant des quartiers populaires (ancien du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues -MIB-) était déjà présent aux côtés de la famille Kébé en 2013 ; il constate avec un goût amer la présence des mêmes soutiens qu’à l’époque, comme celle d’Almamy Kanouté (acteur et militant des quartiers populaires), « alors que les enfants Kébé ont fait un travail extraordinaire ».

Il poursuit : « je me demande où sont celleux qui représentent les quartiers popualires ? Cette situation méritait vraiment un rapport de force, avec une présence et des soutiens des quartiers ! Si y a pas de soutiens en face, la famille se retrouve toute seule alors que c’est la partie civile ! Y a plus de soutien pour les accusés, ce n’est pas normal. Surtout que les accusés ont crevé l’œil d’une maman».

Samir regrette de ne pas être « à la hauteur de l’événement » : « Si on avait été à la hauteur on aurait complété, archiver l’histoire. Il faut en faire quelque chose politiquement de cette histoire-là. La famille Kébé mérite un soutien sans faille parce que non seulement elle a perdu la vie, ses enfants ont continué à se battre et on a pas le droit de laisser ces enfants seuls au tribunal. C’est politique. Parce que cette histoire nous sert à tous•tes. Ça montre qu’on est capable de ramener des policiers devant un cour d’assises !! Il reste trois jours. On ne peut pas laisser une famille comme ça, seule devant institution comme la police et la Justice. Ou alors c’est pas des luttes qu’on mène, c’est des slogans ! ».

Une cagnotte a été mise en ligne pour soutenir les enfants de Madame Fatouma Kébé dans leur combat.

©LaMeute - Jaya

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