Marche des libertés : Et la police chargea

A l'appel du collectif du 10 novembre contre l'Islamophobie, la manifestation parisienne du samedi 12 décembre entendait lutter contre les lois liberticides créées sous couvert de lutte contre le terrorisme : loi contre les séparatismes, de Sécurité Globale, LPR. Envers ceux et celles qui demandent plus de liberté, le gouvernement n'a répondu qu'à travers la force. 

"J'ai l'impression que les forces de l'ordre testent de nouvelles choses chaque semaine", lance -cinglante- une journaliste que l'on reconnaît à travers la foule. La marche parisienne -qui a réuni entre 10 000 et 12 000 participant-es, a enduré son lot de charges policières, scindant le cortège pour procéder à 142 interpellations en une seule journée. Elle en traversera plus d'une douzaine en une heure et cinq minutes. 

Lois vaseuses

Plus tôt dans la journée, sur la place du Châtelet, la banderole "Séparatisme, Sécurité Globale : Stop aux lois liberticides, Stop à l'Islamophobie", qui ouvre le cortège, est encerclée de toutes parts par des canons à eau [5 au total, NDLR]. Les organisateur-trices rappellent que l'article 18 [anciennement article 25, NDLR] prévu dans le projet de loi "confortant les principes républicains" ressemble, à s'y méprendre, à l'article 24 de la loi sur la Sécurité Globale. Plusieurs organisations, collectifs antifascistes et associations féministes avaient appelé à rejoindre la marche, dénonçant par ailleurs "l'islamophobie croissante dans notre société". 

"Tous les collectifs cultuels ou culturelles proche de l'Islam sont dans le collimateur", craint Omar Slaouti du collectif du 10 novembre contre l'Islamophobie. "Le texte de loi est rédigé de telle manière que le flou et l'arbitraire seront partout", poursuit-il. En germe depuis l'assasinat de l'enseignant Samuel Paty par un terroriste, les dispositions -depuis reprises dans le projet de loi- ont permis la dissolution de plusieurs associations musulmanes, "sans qu'il y ait de lien avec le terrorisme" pour le militant, qui siège également au conseil municipal de la ville d'Argenteuil. Trois écoles privées ont également été fermées. Ainsi, profitant de l’émoi de l’opinion publique, et face à la montée de l’islamophobie, le gouvernement a préféré conforter ses intérêts électoraux plutôt que de répondre par des politiques publiques pertinentes et ciblées. 

"A partir du moment où on attaque une minorité, on s'attaque à toutes les autres", fait remarquer timidement Emi-elle*, du mouvement féministe Les Colleuses. Encouragée par ses amies dans un bloc en non-mixité, elle (s')affirme:

"C'est la base de l'intersectionnalité". 

En somme, "le rendez-vous du jour, c'est la jonction des luttes. La loi Sécurité Globale, la loi contre les séparatismes et la loi sur les universités grâce à laquelle l'occupation d'un amphithéâtre vous emmène en prison : ces trois lois sont en ligne de mire", affirme Omar Slaouti. Collectif de sans-papiers, Gilets Jaunes, avocat-es  et "teuffeur-ses" sont de la partie. Comme depuis le début de la mobilisation contre le projet de loi de Sécurité Globale, les jeunes ont pris la rue. Iels luttent également contre le "délit d'entrave" prévu par la loi de Programmation de la Recherche (LPR). Les manifestant-es "ne s'inscrivent plus dans ce pays qui est la France d'aujourd'hui", comme le résume Jérôme Rodriguez. 

Le cortège revisite pour l'ocassion un slogan traditionnel : "On est là, qu'on soit musulman ou pas on est là". Sous sa pancarte, "Arrêtez de brasser la peur", Linamou -une Syrienne en France depuis cinq ans- n'est pas musulmane mais, tout de même, elle s'inquiète. "Le gouvernement syrien utilise la propagande contre le terrorisme pour mieux contrôler le peuple. Macron fait cela également', explique-t-elle en anglais. Linamou avoue n'avoir pas lu l'analyse du maintien de l'ordre faite par l'un de ces concitoyens mais pour elle, pas de doute : "il ne faut pas donner plus de pouvoir à des gens qui ont des armes". 

Répression douteuse

Entamant sa marche par le boulevard de Sébastopol, le cortège croise les hommes armés et cagoulés. Mais la tactique des forces de l’ordre ne se limite plus à l’intimidation, et donne lieu à de violentes charges sur les manifestant-es dès le début de la manifestation. La préfecture de police affiche ainsi sa volonté de ne pas laisser se former un Black Block, quitte à provoquer le désordre. "Si jamais cela se passe mal, ce n’est jamais de notre faute", décrypte un membre du collectif La Vérité pour Angelo. Derrière nos reporters, un commissaire ordonne à ses hommes d'arrêter un manifestant : "Le parapluie, là ! Lui ! Le parapluie !". En quelques secondes, une quinzaine de policiers s'enfoncent brutalement dans le cortège, à coups de matraques et de boucliers, pour un simple parapluie… Un jour de pluie. Huées, incompréhension et hallucination se mêlent. "C'est vraiment des ordures aujourd'hui", s'exclame un manifestant. Il n'empêche, il faut faire fi de l'angoisse et continuer à marcher. 

Le cortège avance fébrilement. Y aura-t-il une nouvelle charge au prochain carrefour? (Spoiler : oui). "Déjà qu' aujourd'hui on a la peur au ventre, demain on ne pourra plus manifester du tout", prophétise une jeune fille tenant fermement son portable à la main. "Je filme pour informer mes ami-es qui vivent à l'étranger. Ce qui les choquent le plus, c'est que les grands journaux ne parlent pas de ce qu'il se passe en manifestation".

Une charge policière plus tard, on observe les Street Medic. Iels soignent un manifestant blessé à la tête. "Je ne m'attendais pas à ce qu'iels soient des bisounours mais là…", souffle Damien -coupé dans sa phrase par la vue d'un lanceur Cougar. Damien confie qu'un Street Medic a été matraqué, un autre gazé à bout portant. 

La marche sur le boulevard Saint-Denis offrira aux Street Medic un peu de répit avant l'arrivée sur la place de la République, peu après 17h. "Ne courez pas", crient-iels à la volée lorsque les forces de l'ordre -après avoir activé le canon à eau- se mettent à charger la place. "Quand on court, on risque de tomber. Et c'est là qu'on a le plus de blessé-es par les coups de la police", explique une Street Medic. 


Sur la place, c’est le même déchaînement de violence de la part de la police. Seuls les phares des camions à eau éclairent la scène, et l’on voit la BRAV-M faire de brutales incursions dans la foule, tapant sur tout ce qui bouge. Nous ferons nous-mêmes les frais de l’usage du camion à eau sur les manifestant-es.

Tactiques fumeuses

Suite à la manifestation houleuse du 28 novembre, et à une mobilisation qui s’inscrit dans la durée, la préfecture de police a donc changé de stratégie. Aux risques et périls des manifestant-es qui demeurent pacifiques. Déjà le 5 décembre, le dispositif policier en place avait été qualifié de “politique de la terre brûlée" par certain-es opposant-es à la loi sur la Sécurité Globale. “Islam, Gauchisme, Séparatiste : Et toi t’es fiché pour quoi?”, s’amuse la banderole de la Brigade de Solidarité Populaire du 93, pour signifier qu’on est toustes dans le même panier.

En douce - peut-être pour éviter le tollé de l’annonce de la réécriture de l’article 24, l’IGPN a annoncé la création d’un futur comité de déontologie. Une annonce qui suscite plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. “Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait miroiter des choses mais qu’on a rien en retour”, balance d’un revers de la main une colleuse. 

A la nuit tombée, on risque de piétiner une pancarte tombée sur le sol : “Let’s go renverser le système”. Il faudra plus que quelques annonces gouvernementales - et une stratégie de criminalisation du ministère de l’Intérieur- pour apaiser les craintes et les colères. 

* Surnom

©LaMeute - Mes

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 6 personnes et environ 20h de travail.

- Photos : Corto, Graine, Ibnou, Smoke et Tulyppe;

- Relecture : Graine et Ibnou;

- Texte : Mes ;

- Mise en page: Graine.

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