13'12 contre les violences policières : un son rap, à l'unisson

Les visuels ont tous été réalisés par l’artiste Sly2.

Les visuels ont tous été réalisés par l’artiste Sly2.

33 rappeurs et rappeuses se sont uni-es, le temps d'un morceau, pour dénoncer les violences systémiques commises par la police française. Initié par l'artiste L’1consolable, le projet est sorti ce dimanche 13 décembre à 13h12, et s'inscrit dans la lignée des grandes œuvres collectives du rap francophone. Explications de texte.

Un son de 13 minutes et 12 secondes, "pour des raisons symboliques évidentes" : c'est le moyen qu'a trouvé L’1consolable -Naïm à l'état civil- pour apporter son soutien aux victimes de violences policières. "Je me console en musique et en luttes", se justifie-t-il.

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Le choc de l'affaire Théo, en 2017, lui donne envie de fédérer des artistes autour de ce sujet, "pour ne pas tomber dans le piège de croire qu'une éthique personnelle suffirait". Le projet se concrétise lors du premier confinement. Les rappeurs Skalpel et Nada, le graffiste Sly2 sont de la partie : les invitations sont lancées. "Quand Naïm a précisé que les fonds seraient versés aux familles de victimes, j'ai dit oui tout de suite", explique Erremsi -présent à la onzième minute du morceau. "Cela va dans le sens de ce que l'on fait déjà". Avec Elodia Mottot et Eve Caristan à l'interprétariat, il a filmé les prises de paroles en langue des signes française lors des manifestations monstres du Comité pour Adama des 2 et 13 juin 2020.

"Je suis de ceux qui pensent que le salut sera collectif ou ne sera pas", plaide L’1consolable. Les fonds récoltés grâce à la vente -physique ou sur les plateformes numériques- seront reversés à l'association On n'a qu'un visage qui regroupe plusieurs collectifs de famille de victimes de violences policières et de mutilés.

33 MC’s ont finalement répondu à l'appel, rassemblés autour d'une analyse particulière des violences policières. "Avec des lanceurs de balles, on ne fait pas dans la dentelle/et les "bavures" ne sont jamais vraiment accidentelles", clame le rappeur VII. "La fonction de la police n'est pas de protéger mais de normaliser des comportements via des contrôles", souligne Naïm.

"C'est cette vision de la police qui nous a réunis".

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La puissance du collectif

Alors forcément, "on s'est retrouvé entre gens très militant-es", explique celui qui est à l'origine de 13'12 contre les violences policières. "Avec Skalpel et Nada, on voulait inviter des artistes dont on estimait le travail et qui soient également habité-es par cette cause". Avec huit mesures par MC, Erremsi n'a pas pu tout dire mais, "avec ce qu'il se passe en ce moment, il y a des choses qui remontent aujourd'hui du fond des égouts", confie-il. "Au cours de ma vie, cinq fois on a pointé une arme sur moi : les cinq fois, c'était des forces de l'ordre. J'avais intériorisé comme normales certaines choses comme de se faire bien plus contrôler quand je suis en jogging que lorsque je porte un jean et des lunettes". Pour autant, "on ne fait pas que rapper 'nique la police' dans le morceau : il y a des arguments", alerte L’1consolable.

« La colonne vertébrale de ce que l’on vit, c’est le rapport entre dominant et dominé, y compris le rapport hommes/femmes »
— erremsi

Un son de 13 minutes et 12 secondes peut sembler court pour faire le tour du sujet. Et pourtant. Les "bourreaux de longue date" de Tideux s'inscrivent dans une lecture postcoloniale de l'action de la police. Saluons ici, le préfet Pierre Bolotte qui a supervisé la mise en place de la BAC en Seine-Saint-Denis aux débuts des années 70, après avoir travaillé en Algérie et en Guadeloupe lors du massacre de 1967. L’1consolable opte pour une analyse structurelle -pointant du doigt la complicité de la Justice, quand Skalpel appelle à une alliance des luttes ("Anticapitalistes, antifas, anti-porcs!/Ensemble, on peut conjurer le mauvais sort"). Erremsi, lui, dénonce dans son couplet le color blindness de certains. "Le nombre de gens qui m'ont dit qu'ils ne voyaient pas les couleurs : ça m'a rendu ouf! La colonne vertébrale de ce que l'on vit, c'est le rapport entre dominant et dominé, y compris le rapport hommes/femmes", précise-t-il.

Plusieurs grilles de lecture cohabitent, au sein d'une même chanson. "La puissance vient du collectif", tranche ainsi L’1consolable. Des analyses politiques acerbes et des vers mémoriels pour bien signifier que le problème ne date pas d'hier. "J'en ai noirci des pages depuis ma première marche blanche/ il y a déjà 20 ans à Lille, un triste mois d'avril/d'une balle dans la nuque un brigadier tue Riad Hamlaoui", évoque le rappeur Ywill. "La liste des victimes de la police est si tristement longue que nul-le ne peut toutes les connaître. Ça fait partie des avantages de croiser des regards autour d'une même préoccupation: les expériences uniques de chacun-e viennent enrichir le souvenir collectif", confie le meneur du projet.

13 juin - 13 décembre

"Une des motivations pour ce morceau, c'était de rendre hommage aux grands projets du rap français", poursuit-il. Et de citer le morceau collectif 11'30 contre les lois racistes, composé en 1997 en réaction à la loi "portant diverses dispositions relatives à l'immigration" du ministre de l'Intérieur Jean-Louis Debré. Les fonds étaient reversés au profit du MIB (Mouvement de l'Immigration et des Banlieues), comme l'écrivait un certain David Dufresne à l'époque. Deux ans plus tard, le rap français s’engage une nouvelle fois contre la censure avec un son de 16 minutes 30.

1997-2020 : le rap français tourne-t-il en rond? "Ce n'est pas parce que la police est critiquée régulièrement dans les sons que l’on y trouve une critique structurelle", nuance Naïm. "Des personnages gravitent autour des familles, comme Youssoupha et le comité pour Adama, mais le milieu du rap va au-delà des rappeurs. Pourquoi Skyrock n'a pas offert une semaine Planète Rap à Assa Traoré pour qu'elle puisse inviter les artistes qu'elle aime ?", commente Erremsi. "L'idée était d'exprimer une parole différente de celle la plus audible dans l'espace médiatique : celle qui affirme qu'il n'y a pas de problème systémique", pour Naïm.

Pas de "bavure", ni de "brebis galeuses" dans 13'12 contre les violences policières, signe d'une prise de conscience généralisée. "En quelques mois, on a vraiment vu la différence", témoigne Erremsi. "Lors de la manifestation du 13 juin, j'avais l'impression qu'on était encore en train de faire passer le message. À la dernière mobilisation à République [du 28 novembre, NDLR], on n'essayait plus de se faire entendre, mais de faire plier les institutions".

De fait, le collectif ne cache ni son opposition à l'article 24 du projet de loi sur la sécurité globale -ou l'article 18 de la loi dit sur les séparatismes- ni son soutien aux autres formes de lutte. C'est en manifestation que L’1consolable a rencontré pour la première fois Ramata Dieng, la sœur de Lamine, qui signe l'introduction du morceau.

"J'ai pensé tout de suite à son timbre de voix, et à sa grille d'analyse".

©LaMeute-Mes

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La réalisation de ce reportage a nécessité 1 personne et environ 8h de travail cumulées.

Texte et mise en page: Mes;

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