Marche Blanche pour Selom et Matisse : La lutte dans la chair

Les Lionnes de Lille mènent la Marche Blanche organisée à la mémoire de leurs fils, tués par la police le 15 décembre 2017. ©LaMeute - Moulinette

Il y a quasiment deux ans jour pour jour, Selom (20 ans) et Matisse (18 ans) étaient percutés par un train suite à un contrôle de police, probablement sur fond de délit de faciès. Ce vendredi 14 décembre, une centaine de personnes ont marché en leur mémoire jusqu'aux grilles donnant sur les rails où les deux jeunes garçons ont perdu la vie. Malgré le refus de la reconstitution demandée par Peggy et Valérie, les Lionnes de Lille, les mamans des jeunes garçons, elles ne s'annoncent pas vaincues et continueront de rugir jusqu'à ce que justice soit rendue. Récit en images d'une belle marche dans le respect et la dignité :

Au départ de la place de la République, la marche menée par les Lionnes de Lille, les mamans de Selom et Matisse, s'élance à 14h. Les pancartes jaunes se hissent au dessus de la foule; on y voit les deux garçons et leurs mamans tout sourires, les yeux pétillants. Sur la banderole, un seul message unificateur : « Hier Zyed et Bouna, aujourd'hui Selom et Matisse ». Le cœur en berne et les poings tendus haut vers le ciel, les Lionnes et leurs soutiens réclament une nouvelle fois la reconstitution des événements qui ont coûté la vie à Selom et Matisse (pétition en ligne ici). Car sans justice, impossible d'atteindre la paix.

Les personnes présentes à la marche reproduisent le geste imposé par la police à 151 jeunes de Mantes-la-Jolie en décembre 2018. ©LaMeute - Moulinette

Escortée par quelques policiers en moto, la marche pénètre dans les rues de la ville en direction de Caulier. Sur le Boulevard de la Liberté, Valérie, maman de Matisse, demande qu'une minute de silence soit observée « pour toutes les mamans et toutes les soeurs qui se battent pour la justice. ». Elle évoque Amal Bentounsi, Kery James et le Collectif de Défense des Jeunes du Mantois avec lesquels elles ont battu le pavé le week-end dernier à Paris, à l'occasion de la « Marche des Mamans ». Genoux sur le béton mouillé, mains sur la tête, regards sombres, chacun.e reproduit ce geste devenu symbolique après l'humiliation par la police de 151 lycéens de Mantes-la-Jolie il y a un an.

Crever les cieux

Les sourires reviennent peu à peu sur les lèvres à la reprise de la marche. Les slogans fusent à nouveau : « Zyed, Bouna, Théo, Adama, Henri Lenfant, on oublie pas, on pardonne pas ! », « Vérité et justice pour Selom et Matisse ! ». Au micro, Valérie fait savoir sa reconnaissance aux journalistes et médias qui soutiennent leur combat depuis deux ans. Bastamag, LaMeute, France 3, France Bleu, La Voix du Nord, Collectif Œil... La liste est variée et non exhaustive. L'esprit de la marche est à l'union pour ces femmes qui portent la lutte à bout de bras. Dans un écho aux mobilisations actuelles, les Lionnes ajoutent : « Nous voulons rendre hommage aux pompiers qui luttent en ce moment. Ils ont tout fait pour essayer de sauver nos enfants il y a deux ans. »

Entre pluie et soleil, la marche avance d’un pas déterminé vers Caulier. ©LaMeute - Moulinette

La centaine de personnes s'engage sur le pont des Flandres, derrière la gare Lille Europe. La banderole est suspendue au dessus des rails; aucun train à l'horizon. Soudain, le ciel se pare d'un étrange voile lumineux, la pluie se met à tomber. Valérie déploie un parapluie noir sur lequel sont écrits les noms de Selom et Matisse. Dans un moment de poésie rare, un double arc-en-ciel apparaît au-dessus de nous. Toutes le têtes se tournent vers le ciel, comme pour acquiescer de la bonne réception d'un message.

La maman de Matisse tient un parapluie sur lequel est écrit le nom de son fils. En arrière plan, un double arc-en-ciel sublime la scène. ©LaMeute - Moulinette

Pour que fleurisse la paix

La marche marque une pause place Madeleine-Caulier, là où tout a commencé pour Peggy et Valérie, là où tout s'est arrêté pour leurs enfants. « Nos enfants avaient l'habitude de venir ici. ». Peggy, maman de Selom, prend la parole : « J'aimerais lancer un appel en cette période de fêtes, pour que nous soyons solidaires. Si vous pouvez faire un geste pour celleux qui en ont besoin, faites-le, ça ne coûte rien. ». Valérie enchaîne le pas : « La mairie enlève nos affiches en permanence. Que l'on colle dans les rues de Lille, ça dérange ! ». Avec beaucoup d'humilité, chacun.e observe une minute de silence. Les Lionnes s'entrelacent, des larmes coulent sur leurs joues.

Peggy et Valérie émues après un discours sur la place de Caulier où leurs enfants avaient l’habitude de se réunir. ©LaMeute - Moulinette

Bien qu'au bout du parcours autorisé, les mamans décident de continuer la marche sur quelques mètres pour déposer deux bouquets de roses blanches un peu plus loin, là où leur vie a été fauchée. Au bout d'une courée typique de la région, un grillage sépare les habitations des rails de chemin de fer. C'est ce grillage que Selom et Matisse ont escaladé ce 15 décembre 2017 pour échapper à la police. C'est ici, au bout de ce couloir de briques rouges, qu'ils ont poussé leur dernier souffle.

Peggy caresse du bout des doigts le bouquet de roses sur lequel est écrit le nom de son fils avant de l'accrocher au grillage, Valérie l'accompagne. Sur les murs, leurs noms sont inscrits à la craie. En se retournant avant le départ, le petit passage en brique a des allures de monument. Fleurs et messages de couleur ornent ce lieu autrefois anodin, aujourd'hui devenu un espace de mémoire et de recueillement pour toutes les victimes de violences policières.

Peggy tient un bouquet de roses blanches sur lequel est inscrit le nom de son fils. ©LaMeute - Moulinette

A l'issue de cette marche blanche, Peggy et Valérie incarnent plus que jamais la force de toutes les femmes qui se battent pour la Justice. Elles sont les mamans de la lutte, les Lionnes infatigables et fièrement déterminées. Elles font planer un vent d'espoir pour tout.es celleux que l'on aimerait faire taire, ici ou ailleurs. Elles diffusent ce puissant cri de détresse populaire, celui-là même qui fait s'illuminer le ciel sur leur passage.
Pour ces belles âmes, la lutte continue en collectif et ne faiblira jamais. Pour elles, pour leurs enfants et pour toutes les autres personnes dont la vie a basculé, soyons solidaires et indivisibles. Portons l'espoir comme elles portent la vie au delà de la mort. N'oublions pas cet adage qui s'est matérialisé au-dessus de nous en ce vendredi 14 décembre 2019 ; après la pluie, vient le beau temps.

Les mauvais jours finiront.

©LaMeute - La Moulinette

Peggy et Valérie, les mamans de Selom & Matisse, exigent qu’une reconstitution soit faite : Cliquez ici pour signer la pétition pour la demande de reconstitution