Diakité libéré et Nespresso occupé : les Gilets Noirs sont là, la peur a changé de camp !
[Portfolio photo en fin de reportage]
« On a pas peur ! Ni de la police, ni de la préfecture » clame un Gilet Noir au micro, ce vendredi 29 novembre, devant le Tribunal de Paris, porte de Clichy.
Ce jour-là, les Gilets Noirs se sont rassemblés contre l’interpellation de leur camarade Diakité, avec la CNT-SO (Confédération Nationale du Travail - Solidarité Ouvrière) et la Chapelle Debout.
Diakité risquait l’expulsion du territoire. Les Gilets Noirs dénoncent une « arrestation politique ». A., gilet noir, confie : « Diakité était ciblé, il était recherché. 8 policiers l’attendaient près du métro, au petit matin. » Diakité lui-même dira avoir entendu (dans une interview pour leMedia ) : « C’est bon, on a notre gars » de la bouche des forces de l’ordre . « Diakité est une figure importante des gilets noirs » détaille M., l’un des Gilets Noirs, à quelques pas du tribunal de Paris. « Oui Diakité il était souvent notre traducteur. » confirme Bouba, lui aussi Gilet Noir. « Aujourd’hui, on est là pour le soutenir pour son jugement car ce n’est pas que Diakité qu’on arrête, c’est nous tous, les Gilets Noirs ».
Les Gilets Noirs avaient donc pris décision de se rassembler devant ce tribunal, en solidarité, et pour montrer que la lutte se poursuivrait, coûte que coûte. Très vite, ils sont délogés par la police. Mais qu’importe, le rassemblement aura tout de même lieu, à quelques pas du Tribunal. « La peur a changé de camps! Les Gilets Noirs sont là! ».
Diakité est finalement libéré avant que le parquet ne fasse appel. La décision de libérer Diakité sera affirmée en appel le lundi 2 décembre. « La juge de la Cour d’Appel a confirmé l’illégalité de l’arrestation » se réjouissent les Gilets Noirs sur les réseaux sociaux.
Forts de cette nouvelle du 2 décembre, les Gilets Noirs ont a nouveau frappé avec surprise chez l’un des clients d’Elior le mardi 3 décembre dans l’après-midi : la cible n’était autre qu’un magasin Nespresso, place de l’Opéra à Paris.
Elior est une multinationale française, spécialisée dans la restauration collective (4eme mondiale). Elle est présente en France, en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Inde et aux Etats-Unis. Les Gilets Noirs avaient déjà occupé son siège en juin dernier, après avoir occupé un terminal de l’aéroport Roissy/Charles-de-Gaulle dix jours plus tôt. Les Gilets Noirs dénoncent Elior comme un esclavagiste des temps modernes; « Elior nous fait travailler comme deux personnes avec un seul salaire, paye 200 euros au lieu de 1200 quand il veut bien nous payer » relatait leur communiqué sur l’action du 12 juin dernier. Elior, comme d’autres entreprises françaises, profiterait de la précarité des personnes sans-papiers pour les exploiter à merci; cette situation administrative - dont la multinationale se fiche pourtant lorsqu’elle emploie ces personnes pour un salaire misérable - est ensuite brandie pour refuser un meilleur salaire et de meilleurs droits aux travailleurs-euses qui se révoltent de cette situation inacceptable.
Depuis, Elior s’était engagé à :
« donner des certificats de concordances pour les 203 travailleurs concernés, donner des CERFA pour les gens qui travaillent toujours chez Elior, faire pression sur les boîtes d’intérim et sur toutes ses filiales pour régulariser, payer la taxe Ofii sans retenue sur salaire, s’assurer auprès des préfectures qu’il n’y aura pas de mise à pied, payer les arriérés et les salaires impayés. » Mais depuis, rien n’a changé. C’est contre ces anormalités que se lèvent les Gilets Noirs.
« Nous sommes là pour dénoncer l’exploitation des travailleurs sans-papiers par Elior et la complicité de tous ses clients car aucun des clients ne peut ignorer cette exploitation pour faire le sale boulot! » dira l’un des Gilets Noirs au mégaphone devant la boutique Nespresso, client d’Elior.
Ce mardi, les consignes sont claires et tout est traduit : on entre vite, on occupe pacifiquement. « Nous avons toujours veillé à ce que rien ne soit dégradé ou cassé lors de chacune de nos actions » sougline A., gilet noir. « Déjà devant le Panthéon, c’est nous qui nous sommes faits tabasser. Mais nous connaissons la valeur des gens au Panthéon, nous connaissons l’Histoire. » poursuit-il, faisant référence à une autre action coup de poing du mouvement, cet été, à Paris. « Nous nous sentons abandonnés par les médias et les pouvoirs publics » conclue-t-il.
L’idée de cette action, c’est donc aussi de sensibiliser l’opinion publique à l’illégalité dont fait preuve Elior et ses clients. A l’extérieur du magasin Nespresso occupé par les Gilets Noirs, des personnes distribuent d’ailleurs des communiqués aux passant-es.
« L’ami de mon ennemi est mon ennemi » s’affiche en gras en titre du communiqué. Les Gilets Noirs dénoncent des négociations qui n’ont abouti à rien depuis l’été 2019, à part, comble du comble, le licenciement de 3 camarades. « Ils ont trahi, ils ont menti. Nous ne voulons pas du cas par cas, nous voulons des papiers pour tous. Elior nous a attaqué en licenciant nos camarades. On va attaquer par la force » écrivent-ils.
« Les Gilets Noirs cherchent le Premier Ministre, on ne veut plus parler avec Elior car ils nous ont menti ! » s’exclame un Gilet Noir. « Ou bien on change le système, ou bien on change la devise liberté-égalité-fraternité. Nous voulons changer ce système et nous avons besoin du Premier Ministre pour cela. On ne nous écoute pas, ou alors on nous oublie 30 minutes plus tard. Mais nous on ne lâchera pas !» enchaîne une autre personne.
Une cliente, visiblement venue pour acheter du café, tente d’entrer dans la boutique. Elle se voit rétorquer clairement : « Madame, tant que nous n'aurons pas nos papiers, vous n’aurez pas votre café. » Sourires dans la foule. Une autre cliente s’avance : « Aujourd’hui, c’est nous les chefs! » ironisent les Gilets Noirs. « Et on veut des papiers pour tout le monde! »
S’il y a des regards de dédain parmi les passant-es de la place de l’Opéra, une passante s’approche d’une jeune femme qui distribue des communiqués et lui glisse, une main sur l’épaule : « donnez m’en plusieurs, je vais prendre le RER, j’en distribuerai! »
Les exigences sont claires : « la réintégration de tous nos camarades licenciés par la répression d’Elior; la signature d’un protocole de négociation pour qu’Elior donne tous les documents nécessaires à tous nos camarades pour trouver les papiers; la fin immédiate de la collaboration d’Elior avec les lieux de tortures de immigré-es (CRA -centre de rétention administrative; prisons; commissariats; tribunaux; etc).
« Nous réclamons juste des droits qui nous reviennent » explique A. , Gilet Noir. «Quand on est sans -papier, on a la peur au ventre tout le temps. On peut être licencié sur le champs alors qu’on est un bon travailleur, ponctuel, etc. On peut ne pas toucher de salaire alors qu’on a travaillé. On se bat aussi pour que nos trois camarades licenciés retrouvent leur travail. Il reste 197 dossiers ! Dont près de 50 personnes qui travaillent encore pour Elior… Et Elior n’est jamais sanctionnée ! Alors qu’il y a bien une loi qui interdit notre exploitation donc il faut aussi appliquer cette loi bien qu’elle ne favorise pas ce genre d’entreprise riche… »
Un homme prend la parole : « On a sauvé la France dans les années de grandes guerres; on ne parlait pas de sans-papiers à ces époques là ! Aujourd’hui, tout le monde a le droit d’être respecté-e! » Les applaudissements retentissent.
La police rapplique assez vite mais accepte de laisser les négociations se faire avant de déloger tout le monde. Dans l’enceinte de la boutique, des coups de fils fusent. Finalement, après quatre heures d’occupation, les négociations n’aboutissent pas; mais les Gilets Noirs auront réussi à occuper plusieurs heures la boutique conformément à ce credo : « On leur fait perdre leur argent comme ils nous font perdre notre temps ». Le mercredi 4 décembre, les Gilets Noirs et la CNT-SO ont déposé 5 dossiers de plus aux prud’hommes, à ajouter aux 7 autres déposés dans une première série de plaintes, en octobre. Car cette lutte n’est pas uniquement contre Elior, mais bien contre tous les patrons exploiteurs de la situation des sans-papiers en France.
De quoi également leur donner de nouvelles envies d’actions. « Ce n’est qu’un début! » préviennent les Gilets Noirs au porte-voix. « On va visiter tous les clients d’Elior un par un. On va continuer de se battre pour avoir rendez-vous avec le Premier Ministre. » D’ailleurs, les Gilets Noirs étaient présents dans le cortège parisien ce jeudi 5 décembre, marquant le premier jour d’une gréve générale et illimitée.
Et de reprendre en choeur : « Des papiers ! Des papiers ! Pour qui ? Pour tous-tes !! Pour qui ? Pour tous-tes!! » avant d’entamer ce chant : « En laissant nos amis… En laissant nos familles… En parcourant le monde… En laissant nos enfants… En traversant la mer… La peur a changé de camps! »
©LaMeute - Jaya , pour le récit