« Assa, tu n’es pas seule! Nous sommes et serons à tes côtés »
La soirée de mardi 3 décembre dernier, dans le 2eme arrondissement de Paris, au centre municipal Jean Dame, était dédiée à Assa Traoré. Une soirée au centre de la capitale, avec une guest-lists impressionnante et variée, ainsi qu’une salle plus que comble pour soutenir le combat pour la Justice et la Vérité dans la mort d’Adama Traoré, suite à son interpellation, le 19 juillet 2016 - jour de son anniversaire, à la gendarmerie de Persan (95, Val d’Oise). Mais aussi pour soutenir Assa Traoré, la soeur du défunt, face à la répression qui s’abat sur elle et le combat qu’elle porte : pas moins de 4 plaintes ont été déposées contre elle depuis septembre 2019.
La salle n’a pas encore ouvert ses portes et déjà la foule remplit le hall d’accueil du centre municipal Jean Dame du deuxième arrondissement de Paris, rue Léopold Bellan. Les près de 300 places assises ne suffiront pas ; le public s’adosse contre les murs des deux allées qui mènent à la scène. Toustes sont venu-es en soutien à Assa Traoré. Donner de la force. Renforcer les liens. En créer de nouveaux. Et observer la puissance du travail réalisé par le comité pour Adama. Assa, loin d’être intimidée, n’aura de cesse de le répéter toute la soirée « Je pense que je suis la fille de quartier qui a le plus de plaintes sur le dos. Il faut les prendre comme une force aujourd’hui. Nous avons appuyé là où ça fait mal, on va peut être le payer. Mais il faut surtout continuer ! Il faut continuer à s’organiser ! Il faut faire en sorte qu’on en parle encore dans 100 ans. Aujourd’hui, ce combat il vous appartient à toustes, à vous toustes ! ».
Cela fait 3 ans déjà qu’elle a cette force; celle de raconter inlassablement la mort de son petit frère. De l’humaniser face à la bestialité de celleux qui ne veulent le présenter que comme une jeune homme de plus des quartiers populaires, mort entre les mains des FDO (forces de l’ordre). « Nos frères ont une histoire, nos parents ont une histoire ! Mon frère, son histoire commence le 19 juillet 1992 avec sa soeur jumelle; elle commence avec mon père qui part avec son sac à dos en cachette pour venir fonder sa famille en France. C’est aussi l’histoire de nos grand-parents qui ont fait la guerre de 39/45, qui y ont laissé leurs corps. Nous ne venons pas juste de certains quartiers ! Notre histoire vient de très loin, de nos ancêtres. »
C’est aussi l’enjeu de ce soir. Replacer Assa et Adama dans des lignées, celle de la famille Traoré mais aussi celle de l’histoire de France. « Est-ce que tu sais d’où vient le nom Traoré? » questionnera l’un des maîtres de cérémonie de cette soirée. « C’est une famille de nobles, de guerriers, issue de la région de Kayes, au nord-ouest du Mali. Les Traoré sont des chefs de villages et Assa, ainsi que toute sa famille, tirent cette puissance de là. De ses aïeux. Assa est Soninkée; les Soninkés ont régné sur 8 pays d’Afrique. ».
Comme le dira Youcef Brakni, membre du Comité pour Adama, lors de sa prise de parole : « Ce qui permet cette déshumanisation, ce sont des siècles de mauvais traitement et d’inégalités pour les jeunes hommes noirs et arabes dans les quartiers en France. » Et d’ajouter : « La victime c’est la famille Traoré ! C’est Adama qui a été asphyxié par la clé d’étranglement des gendarmes. Selon leurs déclarations, il a dit qu’il n’arrivait plus à respirer. Ce soir, il faut rappeler que l’emprisonnement des frères et les 4 plaintes ne sont qu’une diversion pour éviter la mise en examen des gendarmes. Et cette question : pourquoi un citoyen français est mort entre leurs mains ? »
L’autre enjeu, c’est de rendre hommage à ce travail, à ce chemin parcouru : du local à l’international, de Beaumont à Montréal. Car une autre soirée de soutien à lieu ce soir là également, de l’autre côté de l’Atlantique. Et le comité pour Adama annonce un voyage aux USA où déjà plusieurs artistes et personnalités publiques (telle qu’Angela Davis) leur ont apporté leur soutien. Un teaser du prochain film de LaRumeur, dont la sortie est prévue pour 2020, qui retrace le Combat Adama est également projeté.
Durant ces trois années, le Comité pour Adama a entreprit de « mettre à nu ce système » qui a arraché la vie d’Adama, et de trop d’autres avant et après lui. Assa, entourée des militants des quartiers comme Samir Elyes Baaloudj, Youcef Brakni ou encore Almamy Kanouté, s’est battue sans relâche quotidiennement contre ce qu’elle appelle la «Machine de Guerre » que sont l’Etat, ses forces de l’ordre, et les médias qui les soutiennent. Depuis la mort d’Adama Traoré, pas moins de 5 contre-expertises médicales ont été obtenues par la famille pour contredire un à un les mensonges sur l’état de santé d’Adama -, venant soi-disant expliquer sa mort. Parallèlement, des frères d’Adama ont été ou sont encore emprisonnés, maintenant la pression sur la famille. Comme Bagui, témoin clé dans la mort d’Adama, dont le procès se tiendra aux assises au mois de juin 2020. « Aujourd’hui l’Etat a peur quand il met mes frères en prison. Il se dit que cela va nous décrédibiliser mais quand je vais voir mes frères, je leur dis que les gens les aiment dehors, qu’ils sont des prisonniers politiques. Qu’ils ont le droit de participer à la construction de cette France. » Alors que le Comité pour Adama n’a de cesse de réclamer la mise en examen des gendarmes depuis 3 ans, c’est Assa qui va être mise en examen pour « diffamation » suite aux plaintes déposés par les gendarmes en lien avec la mort du jeune homme.
« Aujourd’hui, on vit dans un monde où les victimes deviennent coupables et les coupables se victimisent. C’est inacceptable. C’est inadmissible! » résumera une prise de parole à propos des plaintes qui ciblent Assa Traoré et son combat.
La même Nathalie Groux qui avait déjà porté plainte contre Assa pour diffamation en 2016 et qui avait osé demander à son conseil municipal que le budget communal dédommage ses frais de justice. La même Nathalie Groux qui avait relayé le 12 novembre 2016 un post de sympathisant du Front National (aujourd’hui Rassemblement National) : « "Mais que les citoyens de souche s'arment et viennent en aide à nos pauvres policiers sans recours !" » La même Nathalie Groux qui, le 21 juillet 2019 à l’occasion de la troisième Marche commémorative en l’honneur d’Adama, avait osé envoyer une lettre aux habitant.es les invitant à rester chez elleux. Dans un précédent article à propos de cette énième plainte, nous écrivions : « La maire revient ici sur un événement datant d’il y a plus d’un an. Une initiation à la boxe pour les petits et grands menée par l’ancienne championne du monde Aya Cissoko sur le terrain de foot du quartier de Boyenval, le 28 Avril 2018. LaMeute était présente ce jour là. Nous avions vu patrouiller les gendarmes accompagnés de 5 militaires de l'opération Sentinelle sur les lieux de l'évènement familial.
Les plaintes sont donc les suivantes : « DECLARATION INCOMPLETE OU INEXACTE DE NATURE A TROMPER SUR LES CONDITIONS OU L’OBJET D’UNE MANIFESTATION SUR LA VOIE PUBLIQUE » puis « ORGANISATION DE MANIFESTATION SPORTIVE SANS SOUSCRIPTION PREALABLE DE GARANTIES D’ASSURANCE » et « ORGANISATION D’UNE MANIFESTATION PUBLIQUE DE SPORTS DE COMBAT SANS DECLARATION PREALABLE CONFORME » et enfin « DEGRADATION OU DETERIORATION DE BIEN DESTINE A L’UTILITE OU DECORATION PUBLIQUE ». »
Mais la majorité des plaintes concernent un post facebook d’Assa publié l’été dernier, quelques jours avant la Marche commémorative pour Adama à Beaumont-sur-Oise, qui commence ainsi : « Le 13 janvier 1898, les mots d'Emile Zola résonnaient dans l’Aurore. Il réclamait dans l'affaire Dreyfus une justice que la France était incapable de rendre. Le 17 juillet 2019, c’est dans ce même pays que moi, Assa Traore, j’accuse à mon tour. » Dans cette lettre, Assa prend soin de nommer chaque personne qui a rendu la mort de son frère possible et la Vérité dans la mort de son frère inaccessible. Chaque personne contre laquelle il a fallu et il faut lutter pour espérer atteindre la Justice et la Vérité. La lettre mentionne les mensonges du procureur de l’époque, Yves Jannier, l’avocat des gendarmes qui est aussi celui de Marine LePen, l’autopsie faussée et la criminalisation d’Adama rendue possible par les conclusions des médecins, etc.
Ce soir, Assa lit à nouveau toute cette lettre, et les lignes ciblées par les gendarmes qui ont porté plainte : « Les gendarmes t’ont tué mais ils ne tueront pas ton nom Adama ». Les gendarmes utilisent la construction affirmative de cette phrase alors que le jugement n’a pas encore été rendu pour invoquer la diffamation.
A chaque « J’accuse », c’est les près de 400 personnes présentes qui soutiennent et reprennent en choeur : « J’accuse » comme une réponse en écho, pour montrer qu’Assa n’est pas seule. C’est ce que soulignera Taha Bouhafs en renversant les attaques dont il est lui-même la cible de la part du syndicat de police Alliance : « Assa tu n’es pas seule et nous sommes et serons à tes côtés » concluera-t-il.
Le défilé des personnalités publiques sur la scène de ce mardi en est la preuve : le maire du 2eme arrondissement, la journaliste Rokhaya Diallo, le rappeur Mokobé, Olivier Besancenot (NPA), la réalisatrice Alice Diop, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, l’écrivain Edouard Louis, la militante Goundo Diawara (Front de Mères), la boxeuse et écrivaine Aya Cissoko, la chanteuse Camélia Jordana, l’actrice Aïssa Maïga, l’ancien footballeur Vikash Dhorasoo, l’économiste Thomas Porcher, l’artiste Océan, le rappeur Abd al Malik ou encore deux députés de gauche (EELV, FI)… Et il y a les soutiens de toujours, du quotidien : Samir Baaloudj (ancien du MIB - mouvement de l’immigration et des banlieues), Youcef Brakni (militant des quartiers populaires), Siyakha Traoré (militant des quartiers populaires et frère de Bouna Traoré), Mahamadou Camara (frère de Gaye Camara et militant au sein du Comité Vérité et Justice pour Gaye), Diané Bah (le frère d’Ibrahima Bah, mort en octobre 2019) ou encore le journaliste Taha Bouhafs. [Voir Portfolio en fin d’article]
Tout le monde n’aura pas l’occasion de prendre la parole et de monter sur scène. Notons que cette soirée, c’est aussi l’opportunité d’une belle tribune publique pour certain-es hommes / femmes politiques, à l’approche des municipales de 2020. Ce que nous retenons de ces prises de paroles, en vrac, c’est d’abord l’importance de soutenir financièrement la famille Traoré dans cette lutte judiciaire : « La guerre déclarée est d’abord économique. On est toujours mal à l’aise quand on parle d’argent. Ca arrive souvent à la fin d’un meeting, comme si c’était honteux. Parfois contribuer à une cagnotte peut être un geste aussi puissant que de manifester! » rappelle Geoffroy De Lagasnerie. « C’est une guerre contre la liberté d’expression à coups d’asphyxie économique en somme. En réglant cette question, nous contribuons à libérer Assa » poursuit-il. Olivier Besancenot se tournera vers Assa lors de sa prise de parole pour lui dire : « C’est la parole de l’Etat qui est mise dans la balance à chaque fois. C’est pour ça que ce combat cristallise beaucoup dans ce pays. Le sens de ce soir, c’est de dire que la coupe est pleine et que nous n’acceptons pas que les 3 gendarmes ne soient pas inculpés et que ça soit Assa qui le soit. C’est inacceptable. Ce n’est malheureusement jamais arrivé qu’on remette leur parole en cause. Ce qui nous manquait, c’était cette voix politique, pas instrumentalisée, et aujourd’hui on l’a. Par le combat de la famille et d’Assa, même si je sais que tu n’aimes pas qu’on personnalise. (…) Ce combat nous permet d’allier question de société et sociale. Celui qui nous permet d’aller manifester aux Champs Elysées il y a plus d’un an au moment des gilets jaunes. Notre Angela Davis à nous. »
Rokhaya Diallo se tournera aussi vers Assa lorsqu’elle rappellera la nécessité de se protéger, de ne pas s’épuiser. Elle prend l’exemple de Martin Luther King Jr., assassiné à 39 ans, en racontant qu’il avait le coeur d’un homme de 60 ans. « Nous avons besoin de toi donc protège toi. »
Camélia Jordana et Abd al Malik chanteront également chacun-e leur tour; pour Adama. Pour Assa. Pour le Combat.
Une député de gauche rappellera comme le camps de la gauche est trop lent sur ces questions et sur la défensive. Une femme prend la parole et détaille : « La justice ne rime pas avec vérité malheureusement. Il faut remettre à l’ordre du jour l’égalité et la justice pour tous-tes et remettre au centre la valeur de la vie. Il n’y a pas de vie qui vaille plus qu’une autre et c’est pour ça que je rejoins ce combat ». Vikash Dhorasso, après s’être situé comme un « bourgeois », cite la grande et défunte Toni Morrison : « Si tu es libéré, tu dois libérer quelqu’un-e d’autre. »
C’est au tour d’Aya Cissoko, avec émotion, de prendre le micro en regardant Assa dans les yeux « pour la première fois » : elle le fait pour remercier Assa. « Pour le fait de nous inscrire dans une histoire, une filiation. C’est primordial de le répéter aux plus petit-es. Laissez nous faire et soyez des allié-es. » Aya était présente le jour d’avril 2018 lors de l’évènement boxe pour lequel la maire de Beaumont-sur-Oise porte aujourd’hui plainte. Aya et Assa se prennent dans les bras, l’une de l’autre, un instant. Mahamadou Camara en profite également pour dire la chance qu’ont les frères d’Assa d’avoir une telle soeur. Et de remercier le comité, Samir Baaloudj « bibliothèque des quartiers populaires » , pour leur soutien dans le combat relatif à la mort de son frère, Gaye, tué par une balle de police. Assa lui répond en affirmant que rien ne sera lâché face au non-lieu rendu par la justice cet automne.
Le temps presse et les soutiens sont tellement nombreux-ses qu’iels ne peuvent pas tous-tes prendre la parole. C’est Samir Baaloudj qui conclue la soirée. Il rappelle l’utilisation des quartiers populaires comme laboratoire des politiques de sécurités publiques : « Nous, on est votre première ligne ! Toutes les politiques menées ces 50 dernières années sont restées chez nous avant d’arriver chez vous! »
Puis, Samir souligne l’importance d’être en nombre en formulant le voeu que ces présences exceptionnelles et nombreuses ne s’arrêtent pas qu’à une salle parisienne aux fauteuils confortables : “Assa c’est une première dans les quartiers populaires. J’espère qu’on occupera le tribunal de Paris et de Pontoise à partir du 15 juin. Retenez bien cette date. Car Bagui c’est le premier témoin dans la mort d’Adama et on va vouloir l’assassiner une deuxième fois.”
©LaMeute-Jaya pour le récit de la soirée.
Ci-dessous Portfolio photo:
Boîte Noire et demande de soutien :
Nous tenions à vous faire savoir que ce reportage nous a coûté 3000 euros de pertes. Nous étions 4 personnes de l’équipe à nous mobiliser. Nous avons passé environ deux journées de travail à couvrir l’évènement, traiter les photos, écrire le texte, le mettre en page sur le site et légender chaque photo. Nous n’avons gagné absolument aucun argent. Ce travail est entièrement bénévole. Comme chaque reportage réalisé par l’équipe de LaMeute depuis 3 ans.
Et nous avons, malheureusement, perdu plus de 3000 euros pour ce reportage.
Pendant cette soirée de soutien à Assa et au comité pour Adama, le sac à dos, principalement gris et marron, d’une photojournaliste de l’équipe a été dérobé. Ce dernier contenait son ordinateur portable, différents passeports, un objectif 50 mm, ainsi qu’un disque dur qui contenait son travail depuis 3 ans ainsi que notamment des archives photos précieuses, retraçant l’histoire du combat du Comité pour Adama.
Nous remercions d’ailleurs le comité pour Adama d’avoir communiqué dès le lendemain sur leurs réseaux du vol de ce sac, et d’avoir appelé à nous aider à le retrouver. Nous condamnons un tel agissement dans le cadre d’une soirée en soutien à Assa; nous le trouvons extrêmement irrespectueux pour le combat mené par l’ensemble du comité pour Adama.
Jusqu’alors, de notre côté nous avons fait tout notre possible pour retrouver sa trace; sans succès. Nous réitérons donc ici un appel à témoins, si ce soir-là vous vous trouviez sur la droite, face à la scène.
Nous lancerons également un appel à soutiens financiers prochainement, pour l’ensemble de l’équipe, via une cagnotte Tipeee. Une partie de cette cagnotte servira à dédommager notre photojournaliste d’une partie de ses/nos pertes. Solidairement.