Lille : "Cher Père Noël, ne gâchez pas l'esprit de la Grève !"

Alors que le gouvernement et les médias mainstream passent à l'offensive sur le terrain de l' « opinion publique » par le discrédit des grévistes de la SNCF, dangereux terroristes anti-esprit de Noël, ils sont loin d'avoir conquis celui de la rue. Pour cette troisième journée de mobilisation contre le projet de réforme des retraites, les artères de Lille n'ont pas désemplies. Entre 20.000 et 30.000 personnes ont répondu à l'appel de l'intersyndicale en ce jeudi 17 décembre 2019, un chiffre dépassant presque celui du 5 décembre dernier. Si l'Elysée a réussi à mettre dans sa poche les syndicats réformistes près à saluer la moindre courbette des élus, elle a bien fait comprendre ne rien vouloir céder aux plus téméraires des « partenaires sociaux ». Oeil pour œil, dent pour dent ; très nombreux sont les grévistes prêts à faire perdurer le combat, quitte à se faire gazer sous le gui à une semaine de Noël. Récit en image d'une manifestation massive :

A 14h30, Porte de Paris, la manifestation retrouve le parcours de la première mobilisation. Un peu avant le départ, des journalistes indépendants et étudiants mènent une action symbolique en tête de cortège. Parés de tissus maculés de faux sang, il scandent “Informer n’est pas un délit !”. L’initiative, dans l’esprit du collectif REC, dont fait partie LaMeute, est fortement applaudie.

Comme une habitude quasi protocolaire, la CGT prend la tête, suivie par différents corps des secteurs public et privé. L'arrière-train du cortège est couvert par les drapeaux oranges de la CFDT, presque aussi invisibles qu'impuissants. Contre toute attente et malgré les recommandations de Laurent Berger sur RTL Soir le jour-même, les travailleurs syndiqués ont préféré la grève à la jupe ce jour-là.

Une manifestante tient une pancarte sur laquelle figure un extrait de la tribune des étudiants en sciences-sociales de Lyon II Lumière relayée par Médiacités Lyon le 28 novembre dernier : « Nous avons le droit de refuser de voir sombrer notre société dans la précarité (…). Nous avons le droit d'être indignés devant cette contradiction. Vivre. (…) Pays qui n'a jamais été aussi riche et qui connaît pourtant des inégalités classistes et croissantes. ». Cette tribune a été écrite par les étudiants.es pour un « appel à la solidarité contre la précarité », deux semaines après l'immolation d'A. devant le Crous de Lyon.

Un homme vend des journaux à la criée au départ de la manifestation. Sur la quatrième de couverture, une caricature représente l'ex haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye, fraîchement démissionné.

Un Père Noël version répression tient la garde devant le magasin Apple. A l'étage, une vitrine enveloppée de plastique noir porte encore les stigmates du 5 décembre. Les policiers sont hués par les manifestants, la tension monte mais n'éclate pas.

La marée humaine s'engouffre dans la rue Nationale sous l'oeil du Beffroi de la Chambre de Commerce. Ici, un manifestant filme la foule en live.

Un impressionnant Bloc se forme et prend la tête de la manifestation. Le ciel et les visages se couvrent. Une banderole est déployée : « Et Tic et Tac, on nique la Bac ».

Les premiers jets de grenades lacrymo ont lieu place du Luxembourg. Quelques vitrines sont brisées sur le chemin. Entre les nuages,un drone et un hélicoptère de la police survolent le cortège. Certains.es manifestants.es portant le brassard CGT montrent leur exaspération face à la casse. Ce climat de tension est quasiment devenu un classique entre syndicats et manifestants.es. La semaine dernière, un conflit avait éclaté pour ces mêmes raisons.

Une manifestante Gilet Jaune tient un cadeau sur lequel elle exprime un souhait largement partagé : « Papa Noël comme cadeau cette année je veux la démission de Macron ».

Une manifestante tient un morceau de grenade lacrymogène dans lequel est enroulé un numéro de La Brique, canard local de critique social.

Comme à l'accoutumée, un cordon policier bloque la rue Solférino. Sous leurs yeux impassibles, le cortège défile et semble ne pas avoir de fin. Certains pompiers se placent préventivement entre la foule et les forces de l'ordre.

Une militante brandit une pancarte en soutien aux travailleur.ses du sexe : « La précarité n'est pas un métier ! Fière d'être pute ».

Les grévistes du secteur de l'énergie (ERDF), très nombreux en ce 17 décembre, font un clapping avant l'arrivée du cortège en fin de parcours.

Les forces de l'ordre attendent les manifestants avec des barrières anti-émeute Place de la République. La rigidité de la scène contraste avec la joie qui règne dans la manifestation. Un orchestre joue des airs de révolte, les gens dansent sous la pluie devant le barrage policier.

Des groupes éparses tentent de partir en manifestation sauvage derrière le Palais des Beaux-Arts. Des CRS essayent d'abord de les en empêcher en vain, puis finissent par bloquer la place en l'arrosant de gaz lacrymogènes. Des charges sont lancées à répétition pour disperser les personnes présentes à coup de matraque et de LBD. Un homme est violemment plaqué au sol et embarqué. En parallèle, les bus des syndicats pleins à craquer prennent la fuite par la route.

Alors que les dernières personnes se fondent dans la foule sortant du centre-ville, les policiers continuent leur acharnement. Çà et là, on entend des groupes chanter en cœur : « Et tout le monde déteste la police ! ». Un manifestant chante en passant près de policiers en train de se replier, l'un d'eux lui lance un chaleureux « Nique ta mère ! » à la volée. Le manifestant demande des comptes au policier qui le repousse brutalement en ripostant : « C'est toi qui a commencé à dire que tu détestes la police ! ». Poignant.

Sous le reflet des loupiotes dans les boucliers, le monde bat en retraite avec l'impression générale d'inachevé. Beaucoup repartent avec la peur, non pas celle de ne pas avoir de train pour le Réveillon, mais celle qui voudrait que l'esprit de Noël anesthésie celui de la Grève. Bien heureusement, les grévistes s'annoncent plus déterminés que jamais à atteindre le retrait de cette pernicieuse réforme. Que fleurissent les bonnets de Père Noël dans les cortèges, car, cette année, Noël c'est dans la rue.

Textes & Photos par ©LaMeute - La Moulinette