Lille : SOS étudiant.e.s en danger de mort

La devanture du bâtiment abritant le CROUS de Lille.

 Les étudiant.e.s lillois.es ont démarré l'année en grande pompe avec l'occupation du CROUS, le mercredi 8 janvier dernier. Précaires, lycéen.e.s et habitant.e.s de l'insalubre cité Galois du campus Cité Scientifique sont venu.e.s exprimer leur désespoir quant à l'inaction de l'institution malgré des années de sollicitation. Ils et elles n'ont, jusqu'à ce jour, eu à faire qu'aux cafards, à la maladie mais aussi à la mort, comme ce fut le cas d'Abdallah, un étudiant de 22 ans décédé dans sa chambre de la cité Galois en 2015. En  France, plus de 20% des étudiant.e.s vivent sous le seuil de pauvreté, certains.es sont obligé.e.s de travailler, mettant à mal leurs études, d'autres avouent ne se contenter que d'un seul repas par jour pour subsister. En parallèle, les coûts des inscriptions aux universités publiques ne cessent de grimper, alors même que les montants des bourses sont déjà insuffisants. Reportage en images :

 

Il est presque 14h quand une quarantaine d'étudiants se pressent à l'entrée du CROUS de Lille. Muni.e.s de scotch, ils et elles tapissent les murs de témoignages affligeants, les mêmes rapportés depuis des années à Lille : « Devoir passer le nouvel an sans chauffage alors qu'il fait 0°C », « Devoir cuisiner avec une seule plaque électrique pour 40 personnes », « Avoir son matelas moisi », « Se voir facturer des « heures de ménages » à la sortie du logement à l'appréciation des agents du CROUS »...

Un employé du CROUS bloque le passage aux étudiant.e.s qui tentent d’accéder aux étages du bâtiment.

Si certain.es employé.es ne bougent pas de leur poste, un homme est chargé d'empêcher par la force l'accès aux étages où se situent les bureaux de la direction. Les journalistes présents sont illégalement sommés de présenter une carte de presse pour passer. Face à la détermination de chacun.es, le passage finit par être libéré.

Les occupant.e.s accèdent au bureau de la direction. Ils essayent d’ouvrir le dialogue et demandent à être reçu.e.s par le directeur.

Les étudiant.e.s parcourent le bâtiment, toujours en tapissant les murs, jusqu'à atteindre le bureau de la direction. Ils et elles demandent à être reçu.e.s pour discuter de leurs revendications et acter des solutions. Comme souvent, le directeur, M. Emmanuel Parisis est absent. Le monde décide d'attendre son arrivée pour donner suite à l'action.

Des feuilles sur lesquelles figurent les témoignages des habitant.e.s de la cité Galois sont accrochées sur les murs et vitrines.

Les occupant.e.s se dispatchent pour ne laisser aucun couloir vide de leur présence quand, soudainement, les grilles du CROUS sont fermées. En contradiction avec une volonté d'occupation pacifique, trois policiers en civil se faufilent sans discrétion aucune et sont immédiatement repérés par les étudiant.e.s. Alors que tout le monde patiente dans le calme depuis plus d'une heure, le directeur pointe enfin le bout de son nez. Les personnes présentes décident de former une Assemblée Générale pour instaurer un dialogue avec les membres du personnel.

 

Les étudiant.e.s prennent place dans une grande salle désaffectée pour y tenir une AG avec les membres du personnel et de la direction.

« Pourquoi as-tu un iPhone si tu ne peux pas manger ? »

La quarantaine d'étudiant.e.s s'installe en rond dans une grande salle, un ancien restaurant universitaire servant apparemment de lieu de stockage. Une banderole surplombe l'assemblée avec l'inscription : « Etat coupable, CROUS Vidal responsables ». Rassemblé dans un coin de la pièce, le personnel refuse de se mêler au cercle. Le directeur, stoïque et apathique, regarde l'audience les bras croisés sans ne jamais s'adresser à elle. Cette position d'autorité et de refus de coopérer froisse bon nombre d'étudiant.e.s, pourtant prêt.e.s à négocier dans le respect.

Une banderole est accrochée dans la salle, elle porte l’inscription :”Etat coupable, CROUS Vidal responsables”.

Une étudiante décide de lire le communiqué imprimé pour l'occasion avant d'instaurer des tours de parole. Dans le groupe du personnel au piquet, les yeux se lèvent au ciel à la simple évocation des revendications. Une femme employée du CROUS prend la parole : « Quand je lis votre communiqué, il y a des choses que je ne peux pas accepter. Nous nous battons tous les jours pour que les CROUS subsistent. Les travaux de la résidence Galois commenceront en janvier 2021 et nous avons déjà réhabiliter d'autres résidences.(...) ». 2021 donc, soit 6 ans après la mort d'Abdallah dans cette-même résidence et dans d'atroces conditions.

En réponse à ce flot d'auto-congratulation aveugle, les habitant.e.s de la cité Galois témoignent : « Je suis venu en pleurs au CROUS il y a quelques mois car cela faisait 3 jours que je n'avais pas mangé. Cette dame présente ici m'a répondu : “ Pourquoi as-tu un iPhone dans ce cas ? Ce sont à tes parents de payer. “. Mes parents ne peuvent pas payer, comment fait-on maintenant ? », « Il n'y pas d'aération dans les chambres. Lorsque l'on cuisine, on risque l'asphyxie. Quand je suis venue m'en plaindre, on m'a répondu que je n'avais qu'à ouvrir les fenêtres, en plein hiver.  Quant aux puces dans les lits et aux cafards, on m'a dit de payer moi-même des produits pour les éradiquer alors même que l'on ne peut pas se nourrir. ».

Le portrait officiel d’Emmanuel Macron trône au dessus des bureaux du personnel.

La personne visée par le premier témoignage quitte la salle, sûrement victime de surmenage. Il faut dire que travailler avec le portrait d'Emmanuel Macron au dessus de la tête à de quoi donner la migraine. Tout au long de l'AG, les tentatives répétées de sensibilisation du personnel sont accueillies à grand coup de déni et de faux arguments : « Nous faisons au mieux mais n'avons pas de moyens. », « Ailleurs c'est pire, vous avez de la chance d'être en France », « Vous êtes injustes, nous passons notre temps à répondre à ce que le système nous demande. ». Personne ne doutait de cette dernière affirmation.

« Vous êtes raciste Monsieur ! »

 Les témoignages d'étudiant.e.s se succèdent, l'atmosphère est de plus en plus tendue. Les voix s'élèvent, certain.es ont les nerfs qui lâchent. Un jeune homme prend la parole : « Moi je suis lycéen, quand j'entends tout ça, je me met en grève. Je ne veux pas vivre ça. ». Un étudiant rappelle l'acte d'Anas, qui s'est immolé en novembre dernier pour dénoncer la précarité extrême que beaucoup subissent au quotidien. Tous déplorent leur manque de réactivité face à cet événement : « Pourquoi n'êtes-vous pas la rue avec nous ? ». Voilà une autre question restée sans réponse. 

Le jeune homme évoquant Anas perd patience, il raconte une altercation avec M. Parisis ayant eu lieu des mois auparavant : « Je suis venu au CROUS avec un ami étudiant étranger qui est sans domicile fixe. Le directeur nous a reçu puis m'a poussé dans l'escalier pour nous chasser. Vous êtes raciste Monsieur ! ». Le concerné fait mine d'être choqué sans pour autant se défendre verbalement. Malgré les invitations à prendre la parole qui lui sont faites à maintes reprises, sa bouche et ses bras restent fermés. Pour calmer l'assemblée, une assistante sociale propose ses services pour venir en aide aux plus démunis. L'exaspération est totale.

Des morceaux de scotch assemblés forment le message :”CROUS ASSASSIN” en référence au jeune Abdallah, décédé dans sa chambre de la résidence Galois en 2015.

Cependant, les occupant.e.s n'ont pas dit leur dernier mot. La question du racisme revient sur la table : « Qui sont les étudiant.e.s relogé.e.s en priorité dans les bâtiments neufs ? Certainement pas les étudiant.e.s étrangers. Ceux-là on les laisse mourir. ». Le communiqué des étudiant.e.s parle à juste titre de ségrégation raciale organisée par le CROUS et dont la simple évocation provoque toujours plus de dénégation. Le monde quitte peu à peu la salle alors que l'AG n'est pas terminée.

Un tableau est réquisitionné par les étudiant.e.s pour y inscrire leurs revendications.

A l’issue de l’occupation, aucune mesure n'a été actée par la direction. Pire encore, ce sont les policiers appelés par le CROUS qui viennent cueillir les occupant.e.s à leur sortie du bâtiment. 17 personnes sont arrêtées et fichées avant d'être relâchées une heure plus tard. C'est donc par l'intimidation que l'institution entend répondre aux demandes des étudiant.e.s. C'est donc par la froideur et un criant manque d'empathie que celle-ci a décidé de recevoir des témoignages accablants. C'est également par la validation d'un racisme d'Etat mortifère, que la direction opte pour l'immobilisme. Ainsi, le personnel assume clairement cautionner un système duquel il est lui-même victime et ose conseiller aux jeunes précaires de « taper plus haut pour être entendus ». Devant tant d'injustice et d'inhumanité, voici les mots concluant le communiqué des étudiant.e.s précaires : « Notre indignation face à la situation actuelle n'a d'égal que notre détermination pour qu'elle n'ait plus jamais lieu. C'est pourquoi nous multiplieront les actions jusqu'à ce que cette situation cesse. Nous appelons tout.e.s les étudiant.e.s et les personnes solidaires à nous rejoindre et à s'attaquer aux CROUS, à l’État et aux responsables de cette situation. ».

Communiqué des étudiant.e.s en lutte :

“ - Etudiant.e.s en danger de mort -

Nous, étudiant.e.s précaires, solidaires des luttes d'émancipation en cours en France et à travers le Monde, avons décidé de nous attaquer à un de nos oppresseurs. La France, 10ème puissance économique mondiale, laisse (sur)vivre ses étudiant.e.s dans des conditions indécentes. Le CROUS, son institution qui gère les bourses et les logements étudiants, nous mène une véritable guerre sociale. C'est pourquoi nous avons décidé de nous y opposer et de nous battre.

- Galois : le ghetto de la MEL -

Au sein de la Métropole Européenne Lilloise, comme ailleurs sur le territoire, les inégalités ne cessent de se creuser. La résidence étudiante Galois implantée à deux pas du Campus Scientifique témoigne de ce que nos gouvernants sont prêts à faire pour enrichir ceux qui le sont déjà. Dans ces bâtiments où l'insalubrité règne, des étudiant.e.s racisé.e.s s'entassent dans de minuscules pièces. Ils y (sur)vivent parmi les cafards. Ils y (sur)vivent malgré le froid qui traverse les parois non isolées et les fenêtres cassées. Ils y (sur)vivent malgré les douches hors-services. Ils y (sur)vivent parfois et parfois ils y meurent. C'est le cas d'Abdallah, un étudiant de 22 ans retrouvé mort dans sa chambre à Galois en 2015. Abdallah est mort car il ne pouvait plus payer son loyer, ses factures. Abdallah est mort de faim car il ne pouvait plus se payer à manger. Abdallah nos pensées vont à tes proches, ta mort ne sera pas vaine.

- État coupable, CROUS responsable -

Alors que l'État français nous laisse dans de telles conditions, il ne cesse d'aider les plus riches. Les dix plus grosses fortunes de France représentent désormais à elles seules plus de 300 milliards d'euros. Mandaté par nos richissimes dirigeants le CROUS n'hésite pas, depuis des années déjà, à appliquer des mesures racistes et à fermer les yeux face à l'indécence des conditions de vie des étudiant.e.s de Galois. Suite à notre dernier rassemblement face au siège du CROUS, le directeur a reconnu "la ségrégation raciale qui a lieu". L'inhumanité des décisions appliquées par le CROUS, encouragées au plus haut sommet de l'État, a trop longtemps duré.

Nous exigeons :

- La gratuité immédiate des loyers pour les étudiant.e.s qui sont forcés à vivre dans ces conditions.
- Le relogement des étudiant.e.s dans des logements décents.
- Le remboursement immédiat et intégral des frais de scolarité pour les étudiant.e.s étranger.e.s.
- L'accès immédiat des étudiant.e.s étranger.e.s à la bourse.
- La mise en place d’un revenu étudiant, sans condition de nationalité, d’une somme au moins égale au seuil de pauvreté à 50% c'est à dire 855 euros.

Notre indignation face à la situation actuelle n'a d'égal que notre détermination pour qu'elle n'ait plus jamais lieu. C'est pourquoi nous multiplierons les actions jusqu'à ce que cette situation cesse. Nous appelons tou.te.s les étudiant.e.s et les personnes solidaires à nous rejoindre et à s'attaquer aux CROUS, à l'Etat et aux responsables de cette situation.”

La Moulinette