Marche blanche en hommage à Cédric Chouviat à Levallois-Perret : l’arbre devant la forêt

Une marche blanche en hommage à Cédric Chouviat s’est tenue ce dimanche 12 janvier à Levallois-Perret, où il résidait avec sa famille. La mairie de Levallois-Perret en la personne d’Isabelle Balkany est à l’initiative de la Marche; une tentative de récupération politique qui fait grincer des dents chez les militant.e.s et les familles de victimes de violences policières. Son décès est allé jusqu’à attirer l’attention du ministre de l’Intérieur, qui recevra la famille de Cédric ce mardi. Une première dans l’histoire des violences policières qui interroge également les familles de victime de violences policières et les habitant.e.s de la ville. Le père de Cédric Chouviat veut demander au gouvernement d’interdire le plaquage ventral, l’une des dangereuses techniques d’immobilisation des forces de l’ordre. 

Rassemblement des participant•es à la Marche Blanche pour Cédric Chouviat à l’Hôtel de Ville de Levallois-Perret (92).  ©LaMeute - Tuff

Rassemblement des participant•es à la Marche Blanche pour Cédric Chouviat à l’Hôtel de Ville de Levallois-Perret (92).
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L’hôtel de ville de Levallois-Perret (92) est majestueux. Il dispose même de ses propres jardins. C’est un cadre inhabituel pour y dénoncer les violences policières. Pour la marche blanche organisée en hommage à Cédric Chouviat ( un premier rassemblement avait eu lieu mercredi à Paris ) , décédé le 5 janvier d’une « manifestation asphyxique avec fracture du  larynx » à la suite d’un contrôle routier (lire notre papier ) , la mairie de Levallois-Perret y a mis les formes. Des petits drapeaux français sont mis à disposition. Ils auront moins de succès que prévu.

La famille Chouviat et l’un de leur avocat (Me Alimi, à gauche) , dans l’enceinte de l’hôtel de Ville de Levallois-Perret, quelques secondes avant le début de la Marche blanche pour Cédric. ©LaMeute - Jaya

La famille Chouviat et l’un de leur avocat (Me Alimi, à gauche) , dans l’enceinte de l’hôtel de Ville de Levallois-Perret, quelques secondes avant le début de la Marche blanche pour Cédric.
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La famille de Cédric, ses ami.e.s, des soutiens, ou de simples habitant.e.s de la ville tiennent à la main une rose blanche. Peu à peu, le parvis de la mairie se remplit. Plusieurs centaines de personnes vont participer à la marche commémorative.Les journalistes, eux aussi, sont venu.e.s en nombre. D’un rapide coup d’œil, on aperçoit Le Parisien, Libération, l’Afp - pour ne citer qu’eux. Un journaliste de France Bleu, le concède: le sujet des violences policières a « plus de résonance depuis le mouvement des Gilets Jaunes ».

Cependant, difficile de parler d’un véritable mea-culpa médiatique. Un technicien de Radio France, observe dégouté qu’à la marche organisée à Mantes-la-Jolie, le 12 décembre 2018, « il n’y avait zéro journaliste ». «Mais Mantes-la-Jolie, c’est pas pareil… il y a une connotation péjorative», ajoute-il cyniquement. «Les rédactions ne veulent pas faire de pub pour eux ».

“Pourtant, si on nous avait écouté•es…” se désespère Assa Traoré, la soeur d’Adama Traoré, mort suite à une interpellation des gendarmes en juillet 2016, présente ce jour pour apporter son soutien à la famille Chouviat. Assa fait référence à cette technique d’immobilisation policière en cause dans la mort de Cédric comme dans celle de son petit frère : le plaquage ventral. Car les expertises médicales parlent aussi d’une asphyxie pour Adama Traoré. “Ce sont des techniques qui ne doivent durer que quelques secondes normalement… Ramata Dieng [sœur de Lamine Dieng, mort en 2007 dans un fourgon de police après avoir, lui aussi, subi un plaquage ventral lors de son interpellation, NDLR], et le collectif Vies Volées se battent depuis plusieurs années pour que ces techniques d’immobilisation soient interdites comme dans certains pays européens et aux États-Unis” poursuit Assa Traoré en discussion avec Christian Chouviat, quelques minutes avant le départ de la marche blanche.

« «Mais Mantes-la-Jolie, c’est pas pareil… il y a une connotation péjorative. Les rédactions ne veulent pas faire de pub pour eux ». »
— Technicien de Radio France, présent à la Marche pour Cédric Chouviat
Pour cette Marche Blanche en l’honneur de Cédric Chouviat, mort suite à son interpellation par la police, les médias ont fait le déplacement dans cette “banlieue Ouest” qu’est la riche commune de Levallois-Perret (92).  ©LaMeute - Jaya

Pour cette Marche Blanche en l’honneur de Cédric Chouviat, mort suite à son interpellation par la police, les médias ont fait le déplacement dans cette “banlieue Ouest” qu’est la riche commune de Levallois-Perret (92).
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« Il nous parlait comme si on était ses enfants »

Portrait d’Arnold, du média L’Echo des Banlieues.  ©LaMeute - Tuff

Portrait d’Arnold, du média L’Echo des Banlieues.
©LaMeute - Tuff

«Daron», «bon père de famille», sont les mots qui viennent instinctivement quand on essaye de faire le portrait de Cédric Chouviat, surnommé affectueusement “Tilou” par ses proches. “Il était vu comme un daron, comme un grand frère ici” décrit Arnold, jeune habitant de Levallois et créateur de l’Echo des banlieues ( L’écho Des Banlieues). “Il était proche des jeunes pour qui il organisait des activités sportives ici”. 

“Moi je le connaissais depuis que j’ai 13 ou 14 ans.” se souvient Dany, la vingtaine, qui travaillait dans la même entreprise que Cédric Chouviat. “Il nous parlait comme si on était ses enfants. Et plus tard, au travail, il nous appelait toujours pour savoir comment se passait notre journée, etc”.Les jeunes hommes ont fait leur recherche: ils évoquent une impunité policière quasi systématique en citant Adama Traoré ou encore “Serge Partouche, un autiste qui a été tué de la même façon, avec un plaquage ventral. Il y a eu un jugement mais les policiers n’ont rien eu, à part du sursis” souffle l’un d’entre eux. [Trois policiers ont été reconnus coupables d’homicide involontaire pour la mort de Serge Partouche et condamnés à six mois de prison avec sursis, NDLR]. Si ces jeunes disent avoir peu d’espoir en la Justice, ils ont tenu à être là ce dimanche, “par respect pour la famille.”  

« “S’il avait été noir ou arabe, on en aurait pas parlé comme ça”  »
— Arnold, jeune levalloisien, créateur de l'Echo des Banlieues

« Tout le monde se reconnaît en lui », analyse Amal Bentounsi dont le frère a été assassiné en 2012 (le policier a été condamné à cinq ans de prison avec sursis pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, NDLR) et qui est présente à la marche blanche en signe de solidarité. « Il s’appelle Cédric, ça change tout », ajoute-elle. “S’il avait été noir ou arabe, on en aurait pas parlé comme ça” constate Arnold. 

Les violences et crimes policier.e.s font rarement la une des journaux quand la victime s’appelle Adama ou Wissam. Et ils.elles s’invitent rarement dans l’agenda politique. «Jamais les familles [de victime de violences policières] n’ont été reçues, quel que soit le gouvernement », constate celle qui tient, avec le collectif Urgence notre police assassine, un recensement des victimes de la police. Même étonnement pour Arnold qui se méfie de l’attitude de la maire par intérim, Isabelle Balkany, présente à la marche: “Pour moi, c’est une récupération politique. Ca fait des années que les jeunes se plaignent de la Police Municipale et de ses abus”.  Pour exemple, la même n’a jamais réagit lorsqu’Idriss, jeune levalloisien, s’est fait brutalement interpeller par la police nationale le 19 mai dernier, en marge de la CAN des Quartiers ( Idriss, 19 ans, gazé, coursé, menotté, frappé, insulté )

Levallois et sa brigade « des costauds »

« “En tant que représentant de l’Etat, ils se sentent intouchables”  »
— Jeune levalloisien, victime des abus de la police municipale de Levallois, présent à la Marche "par respect pour la famille"

A Levallois, qui comptait 69 agent.e.s au sein de sa police municipale en 2018, une brigade fait particulièrement polémique ( Levallois-Perret : Patrick Balkany publie une étonnante photo de sa police municipale... et reconnaît une "erreur"). Les jeunes du quartier Youri Gagarine à Levallois les appellent « les costauds »: une brigade constituée d’une dizaine de policier.e.s municipaux aux « pleins pouvoirs » conférés par Patrick Balkany et « sur-armé.e.s »  selon le témoignage de certains habitants.

En tant que représentant de l’Etat, ils se sentent intouchables” juge un jeune levalloisien. Ses amis autour de lui enchaînent les anecdotes sur leur rapport avec les forces de l’ordre : insultes, contrôles à répétition, violences. “Tu te souviens quand ils ont balancé une lacrymo dans le local ? Ils avaient bloqué la porte pour nous enfermer à l’intérieur après.”

En mai 2019, après un match de foot, la police nationale cette fois-ci fait usage de gaz lacrymogène pour mettre fin à une bagarre au stade Didier Drogba, juste en face du lieu où s’achève la marche pour Cédric. Un habitant de Levallois, Idriss, est interpellé et placé en garde à vue. La violence de cette interpellation est telle qu’il fait un malaise. Sans qu’Isabelle Balkany ne réagisse cette fois-ci; pourtant, les jeunes interpellent la mairie sur les réseaux sociaux. Même immobilisme, même silence chez les médias. Idriss a porté plainte auprès de l’IGPN; depuis, aucune nouvelle.

La famille de Cédric Chouviat prendra la parole sur le stade Louison-Bobet; elle remercie grandement et avec émotion les participant•es à cette Marche d’avoir fait le déplacement. ©LaMeute - Jaya

La famille de Cédric Chouviat prendra la parole sur le stade Louison-Bobet; elle remercie grandement et avec émotion les participant•es à cette Marche d’avoir fait le déplacement. ©LaMeute - Jaya


Une chose leur fait garder espoir : les trois avocats de la famille Chouviat, Me Arié Alimi, Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth.

C’est sur le terrain du complexe sportif Louison-Bobet, à un kilomètre seulement du Palais de Justice de Paris, que les avocats prendront la parole après la femme et les parents de Cédric Chouviat.

La dignité de la famille nous honore et nous oblige à donner le meilleur de nous même pour que la Justice vous donne ce qu’elle vous doit.” dira Me Bourdon avant que Me Alimi n’enchaîne cette promesse : “Cédric Chouviat sera le dernier d’une longue liste.” Et d’énumérer le nombre révoltant de personnes tuées suite à l’utilisation de ces techniques d’immobilisation par les forces de l’ordre : le plaquage ventral, la clé d’étranglement et le pliage.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a déjà condamné la France en 2007 pour cette technique, également décriée par l’ONU. La mort de Cédric Chouviat vient ré-inscrire à l’agenda politique la dangerosité des méthodes d’appréhension utilisée par ses forces de l’ordre; le député européen R. Glucksman a d’ores et déjà lancé une pétition pour faire interdire ses techniques d’immobilisation en France. En omettant totalement le travail colossal des collectifs et des familles de victimes de violences policières dans les quartiers populaires depuis des années (telle que cette pétition mise en place par le collectif Vies Volées : Laissez nous respirer ! Interdiction des techniques policières d’immobilisation mortelles ).

Ce mardi matin, la famille Chouviat était reçue Place Beauvau : au sortir de cette entrevue, Christian, le père de Cédric confie au journaliste Taha Bouhafs pour Là-bas si j’y suis : « Je l’ai dit au ministre, je lui ai dit on a assassiné mon fils, c’est un meurtre. » Il raconte comment sa petite fille, la fille de Cédric, a lancé au ministre de l’Intérieur : “la peine de mort est abolie depuis des années et aujourd’hui la police tue encore des gens”.  Selon ses mots, C. Castaner ne ferme pas la porte à l’interdiction du plaquage ventral et de la clé d’étranglement. “Si on lui démontre qu’à cause de ça, les gens meurent” ajoute le père de Cédric.

Un signe de mépris de plus du gouvernement, qui n’a sans doute pas en tête les morts de :

Abdelhakim Ajimi

Abou Bakari Tandia

Ricardo Barrientos

Mohamed Boukrourou

Abdelilah El Jabri

Lamine Dieng

Wissam El Yamni

Mariame Getu Hagos

Abdelhak Goradia

Amadou Koumé

Mamadou Marega

Serge Partouche

Mohamed Saoud

Adama Traoré

Ali Ziri

dont il n’a même pas pris la peine de recevoir les familles. 

Les tentatives de récupération politique multiples depuis la mort de M. Chouviat et le traitement médiatique qui en est fait ne peut pas couvrir d'un voile toutes les autres victimes, tout le travail des autres familles.

Justice pour Cédric. Justice pour Toustes !
Pas de Justice, pas de Paix.

© LaMeute - Mes & Jaya pour le récit

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