En prison sous COVID-19 : « C’est comme si il n’y avait pas de virus… »

La suppression des parloirs isolent une fois de plus les détenu-e-s. Plusieurs organisations appellent à désengorger les prisons par tous les moyens.Illustration: Sly2

La suppression des parloirs isolent une fois de plus les détenu-e-s. Plusieurs organisations appellent à désengorger les prisons par tous les moyens.

Illustration: Sly2

Alors que les habitant-e-s du pays sont appelé-e-s à rester chez elleux pour endiguer la propagation du coronavirus, les prisonnier-e-s -entassé-es dans des prisons surpeuplées- vivent déjà dans une situation sanitaire alarmante. En dépit des mesures annoncées par Nicole Belloubet, Ministre de la Justice, un détenu évoque un quotidien où personne ne semble avoir pris conscience de la gravité des événements : manque d’information, manque de protection, manque de tout… Avec le confinement des familles, et la suppression des visites aux parloirs, i-els sont désormais plus seul-e-s qu’i-els ne l’ont jamais été.

« J’ai les nerfs », lance ce détenu de 23 ans au téléphone portable, ce mardi 17 mars. L’annonce soudaine un peu plus tôt dans la journée, et avec effet immédiat, de la suppression des visites aux parloirs est plus qu’amère : elle est brutale. Dans cette maison d’arrêt pour hommes, les parloirs rythmaient, il y a encore peu, la vie derrière les barreaux. « Le vendredi, c’est la livraison du tabac. Mardi, Mercredi et Vendredi c’est parloir ». Depuis 15 mois, il voit sa famille en moyenne deux fois par semaine, pour prendre des nouvelles de l’extérieur et récupérer du linge. Pour lui, comme pour d’autres, les parloirs sont donc essentiels. « On a le moral à zéro», souffle-t-il. Les gardiens l’ont prévenu à 13h que sa mère ne viendrait pas à 16h30. « Ils nous ont dit qu’ils avaient appelé nos familles et qu’il n’y avait pas de parloir. Fin.», résume-t-il.

Nicole Belloubet, Ministre de la Justice, a beau avoir annoncé des mesures compensatoires via l’installation de téléphones fixes dans les cellules, la réalité sur le terrain est autre. « C’est des cabines en fait… », décrit-il.

« Tu ne sais pas comment c’est dur pour celui qui n’a pas d’argent sur son pécule : une minute, c’est 30 centimes… Non ! C’est un euro ! T’imagines, tu téléphones 30 minutes et tu claques 30 balles ?!

Lundi, c’est la première fois que les gardiens nous en parlaient
— Un détenu de 23 ans

Le coronavirus n’a fait intrusion dans la vie des détenu-e-s que très récemment, faute de communication de l’administration pénitentiaire. Alors que le monde extérieur est chamboulé depuis plusieurs mois par la pandémie, les informations sur ce sujet n’ont commencé à circuler à l’intérieur de la prison que depuis le début de la semaine. «Lundi, c’est la première fois que les gardiens nous en parlaient », se rappelle-t-il. Les membres du personnel pénitentiaire leur annoncent d’abord qu’ils ne laisseront pas entrer les visiteurs-ses âgé-e-s de plus de 70 ans. « Mais ils n’en n’ont parlé qu’aux gens qui avaient des parloirs », précise-t-il.

Sans moyens –légaux- de contact avec l’extérieur, et en l’absence de dialogue avec l’administration, ces détenus tentent le système D pour dénicher de maigres infos sur la situation. Il y a bien sûr la télévision –payante- quand celle-ci fonctionne correctement. « Je ne capte ni BFM ni C-News, alors je demande aux autres quand je suis en promenade », indique-t-il.  

Distanciation sociale dans 9m²

Il partage une cellule de 9m² avec un autre prisonnier. Alors, quand on lui demande si il y a du savon à disposition -conformément aux propos de la ministre de la Justice- même sans haut-parleur il n’a pas besoin de répéter la question à son co-détenu. Les deux garçons s’esclaffent. Difficile de pratiquer la « distanciation sociale » dans 9m². De toute façon, ils n’ont pas été informés des mesures barrières à suivre.

164 personnes étaient enfermées dans cette maison d’arrêt au 1er janvier 2020 selon l’Observatoire International des Prisons, alors qu’elle ne compte que 97 places. Soit une surpopulation de 169%.

Moi je suis en mandat de dépôt donc on est 12 en promenade.
Les autres, ils sont une trentaine, comme d’habitude… Plus les rats
— Un prisonnier en maison d'arrêt

La pandémie, ici, est traitée comme un sujet mineur. Pas de masque pour les gardiens. Pas de changements notables non plus lors des promenades, qui devraient pourtant se tenir en groupes réduits. « Moi je suis en mandat de dépôt donc on est 12 en promenade. Les autres, ils sont une trentaine, comme d’habitude… Plus les rats”

“C’est comme si il n’y avait pas le virus. C’est pareil… Sauf qu’ils nous ont baisé sur les parloirs », explique ce jeune détenu. En définitif, cette maison d’arrêt n’a pas accueilli de visiteurs-ses depuis le week-end dernier, alors que la mesure ne devait prendre place qu’à partir de ce mercredi.

Voir ce thread sur Twitter :

Mutineries : nom féminin. Révoltes contre une autorité établie

Ils auraient pu au moins nous proposer une promenade en plus, pour compenser la fin des parloir
— Le jeune homme au téléphone

Ailleurs en France, les « mutineries » se succèdent dans les établissements pénitentiaires. L’isolement, l’ennui et le manque de communication des autorités sur la situation sont propices aux fausses informations et à la panique. Dans plusieurs lieux, la rumeur court sur l’interdiction des livraisons en prison; notamment celles des plateaux-repas. Répertoriées sur le site ActuPenit.com, les protestations contre l’interdiction des parloirs se multiplient de jours en jours : Grasse, Nancy, Valence, Saint-Etienne, Angers, Toulon, Perpignan, Bois d’Arcy, Nanterre et Réau -à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Ces mouvements collectifs font suite à la restriction des activités et des parloirs”, indique le site qui parle d’un “chaos”.

« Ils auraient pu au moins nous proposer une promenade en plus pour compenser la fin des parloirs…», regrette également par téléphone le jeune homme.

Les conditions d’enfermement dans les établissements pénitentiaires français n’ont néanmoins pas attendu le coronavirus pour être déplorables, et déplorées. En métropole et en Outre-Mer, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires s’élevait en moyenne à 116% au 1er janvier 2020 (À LIRE : Combien y’a-t-il de personnes déténues en France ?). Dans un arrêt rendu publique en début d’année, la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait pointé « l’existence d’un problème structurel », tout en soulignant l’absence de « conditions de détention décentes » dans certaines prisons.

L’accès au soin, également, ressemble très peu à une promenade de santé. Coronavirus ou pas, certain-e-s détenu-e-s hésitent à réclamer les soins dont i-els ont besoin, à cause des conditions de l’hospitalisation made in prison.

J’ai eu une rage de dents et on m’a proposé un rendez-vous avec une dentiste un mois après. J’ai refusé d’y aller. Un mois après, à quoi ça sert?”, raconte ce détenu. 

Un rapport de 2016 portant sur cette thématique évoque effectivement une insuffisance de l’offre de soin, ainsi qu’une «réticence chronique » à se faire soigner en chambre d’isolement. L’hospitalisation en prison va de pair avec « l’éloignement des familles, l’absence d’espace de déambulation à l’air libre et l’impossibilité de fumer ».

L’isolement –social, médiatique et sanitaire- à marche forcée qui incombent aux détenu-e-s risque une fois de plus de fragiliser les personnes enfermées. Rappelons que le taux de suicide est six fois plus important en prison.

Alors qu’un détenu de Fresnes a déjà perdu la vie à cause du COVID-19, le virus remet sur la table le bien-fondée de la politique du tout carcéral. Dans ce contexte exceptionnel, en France et en Italie, des voix s’élèvent pour faire sortir les détenu-e-s du confinement inflexible dans lequel i-els vivent, en privilégiant les aménagements de peine ou la grâce pour certaines d’entre elles.

©LaMeute - Mes pour le texte & Sly2 pour l’illustration


A lire:

Merci de nous avoir lu.e.s , vous pouvez soutenir notre travail en allant sur le Tipee LaMeute