Blocus des lycées : " À 15 ans, on connaît déjà les violences policières"

Devant un lycée parisien : une scène en passe de devenir routinière. ©LaMeute - Mes

Devant un lycée parisien : une scène en passe de devenir routinière. ©LaMeute - Mes

Depuis la rentrée des classes, un mouvement lycéen conteste le manque de mesures sanitaires appliquées dans les établissements scolaires. Les forces de l'ordre interviennent de plus en plus fréquemment aux abords des lycées pour mettre fin aux mobilisations, signe d'une fébrilité au sommet de l'Etat. Du côté des manifestant-es, comme au lycée Turgot à Paris, la défiance envers la police est actée.

Beaucoup y ont vu un hommage. Jeudi 5 novembre 2020, lors du blocus du lycée Voltaire à Paris, des lycéen-nes se sont mis-es volontairement à genoux, mains sur la tête, face à une ligne de CRS, comme un duplicata de cette "classe qui se tient sage" à Mantes-la-Jolie fin 2018. Une pose que l’on a vu également mardi matin, devant les portes du lycée Colbert. Traumatisme ou paroxysme de la "jouissance" de l'exercice de la violence policière -comme l'évoque David Dufresne dans son film Un pays qui se tient sage, l'arrestation de 151 adolescent-es n'est en réalité, si l'on se penche sur la question, que l'épisode le plus violent de la répression des mouvements lycéens et estudiantins.

Les blocus organisés depuis ce 3 novembre ne font pas exception à la règle, comme au lycée Colbert le 3 novembre à Paris, ou à Saint-Denis où plusieurs élèves du lycée Paul Eluard ont passé plusieurs heures au commissariat le 4 novembre. 

Avant Mantes-la-Jolie, il y a eu l'évacuation violente du lycée Bergson en 2016 dans le cadre de la mobilisation contre la loi Travail. Depuis, opérations de police et gardes à vue de mineurs s'installent dans la norme. Mais qui a peur de la "jeunesse" ? 

"Macron t'es foutu, la jeunesse est dans la rue". Macron, mais aussi Hollande ou Sarkozy : les politiques de tous bords surveillent de près, à tort ou à raison, les mouvements dans les universités et établissements scolaires. En effet, la crainte de cette "énergie frondeuse" -pour reprendre les termes du Monde- et de ses mobilisations victorieuses [contre le Contrat Premier Embauche en 2006 notamment, NDLR] appelle à la prudence. Mais pas seulement. Si en mai 68, les étudiant-es ont joué "un rôle d’intelligentsia politique" aujourd'hui, le mouvement des lycéen-nes voit clair, et dénonce tout autant la gestion de la crise sanitaire et la précarité que les violences policières.

Des policiers aux portes des lycées

Chloé a un débit de mitraillette. On ne sait si cela est à cause du froid ou de la colère. Jeudi 5 novembre, comme depuis le début du mouvement lycéen, Chloé et ses ami-es ont voulu bloquer le lycée Turgot, dans le troisième arrondissement de Paris. De fait, les opérations de police, elle commence à connaître. Ce matin-là, les policiers les ont délogé-es trop tôt pour que l'action soit un succès, en dépit d'un rendez-vous matinal pour amasser poubelles et accrocher des banderoles. "On était debout, à deux mètres du sol, et les policiers mettaient des coups de pied pour que l'on descende. C'est soit tu descends, soit tu te pètes la gueule", résume-t-elle. Un agent "outrancier, disons ça comme ça" la plaque alors contre la porte de l'établissement. Elle n'en décolère pas, énumère les griefs contre les agents de police (les violents, ceux qui ne portent pas de masque, et l'impunité de ceux qui ne respectent pas la Loi etc), et leur tient tête. "Iels veulent montrer qu'iels sont supérieur-es à nous", analyse-t-elle. Même quand cela n'est pas nécessaire. "Iels nous ont dit : 'vous êtes pacifiques ! Rester-le !'. C'est bien la preuve qu'on ne représentait pas une menace". 

[Les policiers] veulent montrer qu’iels sont supérieur-es à nous
— Une lycéenne

Deux camions de police sont garés devant le lycée Turgot, pour une quinzaine -tout au plus- d'élèves perturbateur-ses. Les lycéennes raillent ce rapport de force disproportionné. Ce matin, toustes recevront une amende pour non-respect du confinement, même un lycéen qui ne faisait que saluer un ami en passant. Chloé a le réflexe de sortir son portable pour filmer l’action : le garçon qui passait est brusquement poussé vers le groupe (“Tu voulais voir ton pote? Bah voila !”) et un policier agite sa gazeuse. "On a 15 ans, et on connait déjà les violences policières", lâche une de ses amies.

En pleine discussion, un agent se rapproche et menace les lycéennes d'une seconde verbalisation. Ce sera chose faite, quelques minutes plus tard seulement : une amende qui peut atteindre une somme de plusieurs centaines d’euros pour la récidive. "Nous sommes moins de six", fusille Chloé. "Oui, mais vous êtes plus de deux", essaye le policier. "Et puis, je vous ai demandé de vous éloigner. Vous êtes encore au niveau de l'établissement. Pour moi, ce n'est pas suffisant". Une guéguerre de territoire *.

"On est plus protégé en faisant un blocus”

Peu après la reprise des cours, deux policiers font le guet devant la porte du lycée Turgot. ©LaMeute - Mes

Peu après la reprise des cours, deux policiers font le guet devant la porte du lycée Turgot. ©LaMeute - Mes

Ces lycéen-es protestent contre l'absence de protocole sanitaire depuis la seconde vague de l'épidémie de Covid-19 et l'hypocrisie gouvernementale. Si le gel hydroalcoolique trône fièrement devant l'entrée du lycée, le quotidien à l'intérieur n'a guère changé. "La seule chose qui est différente, c'est que l'on nous répète de nous laver les mains. Bien sûr, personne ne le fait : l'eau est trop froide", commence Chloé. "Les consignes sont à appliquer 'dans le mesure du possible'. Au final, rien n'est fait", souffle une autre fille. "Les professeur-es oscillent entre ouvrir la fenêtre pour lutter contre le corona, ou fermer à cause de l'alerte attentat", décrivent ces élèves.

On est plus protégé en faisant un blocus. Au moins, c'est aéré”, plaisante ce groupe d'ami-es. Il n'empêche, la peur du virus est bien là. Entre cet élève qui vit avec ses grand-parents, ou celleux qui ont des petits frères en bas âge, iels partagent toustes l'inquiétude de transporter avec elleux le Covid, au sein de la classe ou dans leur foyer. 

Dans un demi-aveux, le Ministère de l'Education Nationale vient d'annoncer qu'une partie des cours pourrait se faire à distance, tout en conservant au moins 50% de cours en présentiel. Un appel à continuer la mobilisation circule d'ors et déjà sur les réseaux sociaux. “Avec plus de budget et plus de professeur-es, l’intégralité des cours pourrait avoir lieu en demi-groupes et toustes les élèves auraient un accès à internet garanti”, signé La CLAP pour “Coordination Lycéenne Autonome de Paname”. Tout un programme politique. *

*Une géguerre de communication également puisque nous avons, nous aussi, été verbalisé lors de ce reportage. L’agent de police a refusé de regarder notre attestation de déplacement professionnel.

©LaMeute - Mes

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personne et environ 8h de travail.

- Photos, Texte et Mise en page: Mes;

- Relecture : Graine.

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