Au lycée Colbert à Paris, le virus ne s’arrête pas aux portes
Trois jours que les cours ont repris dans les écoles, collèges et lycées, alors que le pays est - censé être - en confinement depuis plus d’une semaine et déjà, tout vole en éclats. Depuis lundi, les grèves et les blocages se multiplient dans les établissements scolaires. Au détour d’un reportage au lycée Colbert à Paris, bloqué hier par les élèves, LaMeute s’est penchée sur la question. Récits et images.
Le Ministère de l’Education Nationale se veut rassurant dans sa communication politique : les écoles, les collèges et les lycées ont jusqu’au 9 novembre pour s’adapter au nouveau protocole sanitaire. C’est en fait une façon (peu) élégante de camoufler certaines réalités concrètes de la non-gestion de cette crise sanitaire. Une compilation d’images montrant de nombreux amas d’élèves réalisée par les camarades de Cerveaux non-disponibles en donne une idée assez claire. Une promiscuité due à l’interdiction de sortir des établissements, des classes et couloirs surchargés, cantines en ruines… Rien qui ne puisse réellement stopper une pandémie aussi virale que celle du COVID-19, et qui paralyse le monde depuis près de 9 mois
Dès ce week-end, qui précédait la rentrée des vacances de la Toussaint, des appels ont fleuri sur tous les réseaux sociaux, via les comptes lycéens, appelant au blocage des établissements ce mardi 3 novembre. Des blocages suivis partout à travers la France (voir les articles de Konbini et de l’Obs) mais tout particulièrement en Île-de-France, où une dizaine de lycées à Paris et en banlieue ont répondu à l’appel. Certains blocages se sont bien déroulés, tandis que d’autres ont été sévèrement réprimés par la police. C’est le cas notamment à Maurice Ravel et Hélène Boucher, dans le 20e arrondissement, où la police avait déjà sévèrement réprimé les mobilisations de février contre les épreuves anticipées du nouveau baccalauréat à la sauce Blanquer.
A la crise sanitaire, il faut ajouter une crise politique et éthique, après l’assassinat de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine. Dès le lundi 2 novembre, des profs ont fait grève pour protester, entre autres, contre les hommages jugés insuffisants et biaisés rendus à leur confrère. C’est le cas notamment à Saint-Denis ou encore à Rennes.
A Colbert, les élèves dans l’incompréhension
Nous étions donc, tôt hier matin, au blocage du lycée Colbert, près de Stalingrad. A notre arrivée, la police était déjà présente, et avait repris le contrôle d’une des deux entrées du lycée bloquées par les élèves. Quelques centaines de jeunes participaient, de près ou de loin au blocage, sous le regard bienveillant de l’équipe éducative.
Interrogés par LaMeute, deux lycéens nous ont confié alors avoir ri lorsque Emmanuel Macron avait déclaré que les jeunes étaient la priorité du gouvernement pendant la crise. Toustes étaient en effet préoccupé-es par le respect impossible des gestes barrières dans un établissement aussi petit. “Rien n’a changé”, nous confie l’un d’eux. “C’est même peut-être pire parce qu’avant, on pouvait sortir du lycée pour les récréations”.
Interrogée elle aussi, la Principale du lycée s’est dite favorable au mouvement et à ses revendications, bien qu’elle ne cautionne pas dans les faits la méthode du blocage.
“Je suis étonnée de voir combien leurs revendications sont similaires à celles des organisations syndicales du personnel”.
Preuve, selon elle, d’une lucidité des élèves.
Lucidité manifeste quant à la situation de non-confinement du pays, au regard d’une banderole affichée sur la façade du lycée par les jeunes, appelant à la grève générale.
Très vite, la police en tenue de maintien de l’ordre s’est attelée, vers 9h, à reprendre le contrôle total de la situation, qui était pourtant pacifique. Un lycéen nous confie avoir plus peur des gaz que d’un policier présent avec sa mitraillette : il est gazé 5 minutes plus tard - drôle d’époque... Il est à noter que la Principale du lycée n’a pas demandé à la police d’intervenir, et qu’il s’agit là d’une mesure unilatérale. La charge de la police fut violente, comme nous le rapportions sur notre fil Twitter.
Après des charges agressives et l’usage de gaz, la centaine de jeunes restante est repoussée plus loin dans la rue. Tout le monde écopera, à l’abri des caméras, d’une amende de 135€, à en croire le compte Instagram ColbertDeter.
Jusqu’où ira le gouvernement dans la répression ?
Médusée après la dernière charge, la Principale nous a confié être inquiète et compréhensive envers des élèves qui choisissent des méthodes plus radicales pour manifester. “On a plus aujourd’hui de grande organisation de jeunesse capable de rassembler massivement, et en même temps on n’a plus le droit de manifester. Et en plus de tout cela, la jeunesse n’a pas connu de grande victoire politique depuis des années. C’est normal que ça s’exprime aujourd’hui de cette façon.” Habituée, dans un quartier encore un peu populaire, aux mobilisations de son lycée, elle est restée sans voix devant l’usage de la force par la police. “D’habitude, tout se passe bien avec le commissariat du quartier. Mais là, ce ne sont pas des flics d’ici [des CDI envoyés de Normandie, NDLR]”, déplore la CPE.
Il faut croire que la répression, c’est la méthode qu’a définitivement choisi le gouvernement pour répondre à qui le conteste, à quelque niveau que ce soit. Il n’y a qu’à voir l’argument avancé par le chef de la compagnie de CDI en opération avant qu’il ne nous gaze, Taha Bouhafs, Clément Lanot et nous-même : manifestant-es et journalistes faisant partie du même attroupement seront soumis-es à la même force, et à l’amende.
Des menaces de censures physique et économique la veille du jour où est présentée à l’Assemblée Nationale un projet de loi visant -entre autres privations graves de libertés collectives- l’interdiction de la diffusion d’images, quelles qu’elles soient, d’officiers des forces de l’ordre.
Le mouvement de blocages lycéens pourrait être le premier jalon d’une riposte nécessaire, d’importance historique, quant à la restriction des libertés liées à la multi-crise que traversent le pays et le monde. Restreindre des libertés pratiques pour préserver la santé publique est une chose. Le faire n’importe comment, sur une pente dangereusement fascisante afin de camoufler toute une série d’échecs politiques, est une responsabilité colossale dont, un jour, ce gouvernement devra répondre.
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