Villiers Le Bel, ville meurtrie - 2ème Marche pour Ibrahima Bah

À la tête de la marche la famille et les proches de Ibrahima Bah reprennent le slogan « Pas de justice, pas de paix » © LaMeute -Nameu-

13.10.2019
Les pneus crissent et les moteurs chantent fort dans le quartier de la Ceriseraie, à Villiers le Bel, vers 15h ce dimanche 13 octobre.

C’est ici, avenue Salvador Allende, qu’il y a une semaine, Ibrahima Bah, jeune sarcellois, passait au guidon de sa moto-cross à proximité d’une opération de police. C’est ici qu’il y a une semaine, « Ibo », comme on le surnomme avec affection, est mort. 

Depuis, ses proches exigent d’avoir accès aux images d’une caméra de surveillance de la ville afin de déterminer les causes de cet accident mortel. Sur le poteau qu’il a percuté, des fleurs ont été accrochées.

Une personne venue apporter sa solidarité à la famille de Ibrahima porte une pancarte où l’on peut lire « Nos luttes nous ont appris à nous méfier de la « version officielle ». © LaMeute -Nameu-

Une personne venue apporter sa solidarité à la famille de Ibrahima porte une pancarte où l’on peut lire « Nos luttes nous ont appris à nous méfier de la « version officielle ». © LaMeute -Nameu-

Plus de 500 personnes environ -300 selon la police- se sont rassemblées ce dimanche, en mémoire d’Ibo. Elles marcheront, pour lui, pour exiger que lumière soit faite sur sa mort, pour dénoncer les calomnies déjà proférées sur son nom par les autorités et reprises par les médias, pour sa mémoire et celle de toutes les autres victimes de violences policières. 
Pour réclamer « Justice pour Ibrahima », comme le scande pendant des heures la foule. Car la mort d’Ibrahima s’inscrit dans une liste déjà tragiquement longue.

« La police tue 15 personnes par an en moyenne » rappelle Amal Bentounsi, sœur d’Amine, tué d’une balle dans le dos tirée par un gardien de la paix en 2012. Elle rappelle l’importance d’être présente aujourd’hui ainsi que le risque que représente la police dans les quartiers populaires. 
Des drames qui ont malheureusement une propension accrue à toucher toute personne racisée, particulièrement les jeunes hommes issus de quartiers populaires.

Beaucoup de femmes du quartier sont présentes dans le cortège. Principalement des jeunes, qui ont connu de près ou de loin Ibrahima, mais aussi nombre de mères, inquiètes pour l'avenir de leurs garçons. © LaMeute -Graine-

Beaucoup de femmes du quartier sont présentes dans le cortège. Principalement des jeunes, qui ont connu de près ou de loin Ibrahima, mais aussi nombre de mères, inquiètes pour l'avenir de leurs garçons. © LaMeute -Graine-

Ibrahima, diplômé d’un BTS management, aurait eu 23 ans le 29 octobre prochain. « Il avait le droit de participer à la construction de la France » rappelle son grand frère Diané Bah, qui fera plusieurs prises de parole.

“Aujourd’hui, vous-on s’est toustes tenu.es comme mon frère était : correctement. Mon frère il était correct. Ils ne peuvent pas déplacer le problème, ils ne nous auront pas cette fois ci. Combien de fois ça s’est produit : à chaque fois, on s’expri…

Aujourd’hui, vous-on s’est toustes tenu.es comme mon frère était : correctement. Mon frère il était correct. Ils ne peuvent pas déplacer le problème, ils ne nous auront pas cette fois ci. Combien de fois ça s’est produit : à chaque fois, on s’exprimait avec certains codes, ou on cassait et on déplaçait le problème. Aujourd’hui, sachez bien que s’il y avait eu de la casse TF1 et France 2 serait là. Aujourd’hui ils ne sont pas là car ils savent très bien que le système a commis un acte criminel.” Diané, le poing levé. ©LaMeute-Jaya-

En une semaine, sa famille, déjà en deuil d’un autre fils décédé il y a seulement quelques mois et qui doit désormais affronter la douleur de la perte d’Ibrahima, n’a rien lâché : une plainte contre X a été déposée pour «homicide involontaire » au lendemain de la mort du jeune homme, une information judiciaire est désormais en cours après que l’avocat de la famille Bah, Me Y. Bouzrou (qui représente également la famille Traoré) en a demandé l’ouverture (et que l’IGPN soit en charge de l’enquête), une page Facebook ainsi qu’un compte Twitter « Justice pour ibrahima bah» ont été créés, et deux marches ont été organisées en l’honneur du jeune homme.
Car il s’agit bien d’humaniser Ibo et de contrecarrer les affirmations insultantes émanant des autorités venues salir sa mémoire en même temps qu’elles meurtrissent un peu plus ses proches.

Poing levé et « force à nous ». © LaMeute -Nameu-

Poing levé et « force à nous ». © LaMeute -Nameu-

Au lendemain du drame, la préfecture du Val d’Oise, en la personne du préfet Amaury de Saint-Quentin, exposait sa version des faits dans un communiqué de presse : « (…) une moto de cross, non homologuée, est arrivée à vitesse élevée, pilotée par un jeune homme de 22 ans, casqué. Cette moto arrivait par la rue Faidherbe en direction de l’avenue Salvador Allende. L’un des policiers présents sur la chaussée a alors esquissé le geste de ralentir, en enjoignant verbalement au pilote de freiner pour éviter qu’il vienne percuter les policiers ou l’un des véhicules de police. En réaction, le pilote de la moto est monté sur le trottoir, ré-accélérant avant de freiner brutalement et de perdre le contrôle de sa machine. Dans la chute, il a violemment percuté un poteau métallique. 
Malgré le massage cardiaque prodigué immédiatement par les policiers sur place, rejoints rapidement par les pompiers et le SAMU, le jeune homme est décédé à 18H35 à son arrivée au centre hospitalier de Gonesse. (…) A ce stade, il s’avère que la motocross était signalée volée. »
Une telle fin de communiqué résonne comme une sentence; cette dernière phrase semble servir de tentative indirecte pour expliquer la mort du jeune homme, une sorte de conclusion jetant l’opprobre sur Ibrahima; un couperet.


« La peine de mort est abolie depuis 1981 en France » rappelle Assa Traore, présente ce jour en soutien, éducatrice à Sarcelles pendant 12 ans et sœur d’Adama Traoré, jeune homme de 24 ans, mort le jour de son anniversaire au commissariat de Persan en juillet 2016 suite à son interpellation.

Assa Traoré et Diané Bah, au pied du poteau où est mort Ibrahima. © LaMeute -Graine-

Assa Traoré et Diané Bah, au pied du poteau où est mort Ibrahima. © LaMeute -Graine-

« Vous êtes un menteur Monsieur le Préfet !” s’insurge à plusieurs reprises le frère d’Ibrahima. « Faites au moins un contre-communiqué ! Grands sont ceux qui sont capables de reconnaître leurs erreurs.» Très marqué à droite, Amaury de Saint Quentin a notamment commencé sa carrière préfectorale sous Sarkozy : ancien préfet de Guadeloupe – nommé par Claude Guéant- et plus récemment de la Réunion, c’est lui qui avait décrété un couvre-feu sur 14 des 24 communes de l’île durant les révoltes urbaines de novembre 2018 en lien avec le mouvement des Gilets Jaunes.  »

« Parce que mon frère aurait volé la moto, on pourrait le tuer ? Combien de personnes à l’Elysée sont mises en examen ? Est-ce qu’on les tue ? » questionne rhétoriquement et avec indignation Diané. « Mon frère n’a pas volé cette moto ! Le préfet a déplacé le problème. (…) Ce sont des déclarations indignes de son poste qui ont pour seul but de discréditer la victime et de couvrir cette police.» Les requêtes de la famille n’ont pas changé depuis le début de la semaine : « Nous exigeons la Justice, l’accès à la vidéo, il est important que l’enquête se poursuive et s’accélère. Il en va de l’intérêt général. Comment se fait il que la famille n’ait pas accès aux éléments les plus basiques de cette enquête ? Le juge d’instruction n’a toujours pas été nommé, le rapport d’autopsie ne nous a pas été remis, nous ne pouvons pas enterré notre frère et faire notre deuil. C’est une véritable humiliation pour ma famille et moi, qui est rendue publique par les médias. »

Si la plupart des médias se sont hâtés de reprendre en chœur les affirmations de la préfecture sur le vol de la moto cross, la famille -au travers de la plume de la journaliste Elsa Vigoureux publiée dans l’Obs- a démonté le mensonge de la Préfecture, en publiant le certificat de cession du véhicule Yamaha Y2 125. Preuve de son achat par Ibrahima en mai 2019, qui en était donc bien le propriétaire. 
La journaliste, qui pratique la – bien trop rare- contradiction des sources, a également pu se procurer le procès-verbal de l’audition de l’automobiliste qui circulait derrière Ibrahima ce jour là : il affirme qu’un fourgon de police a barré la route au jeune homme qui l’a ensuite percuté.

D’autres témoins corroborent cette version sans toutefois évoquer de collision mais en affirmant que cette manœuvre du camion de police aurait bien barré la route à Ibrahima en lui faisant fait perdre le contrôle de son véhicule.

Une pratique qui n’est pas sans rappeler la technique du « contact tactique », utilisée par la police anglaise qui consiste à stopper des individus soupçonnés d’infraction, en rentrant délibérément dans leurs véhicules pour les faire chuter.

À l'endroit même où Ibrahima est mort à moto, les jeunes du quartier font une haie d'honneur à d'autres motards qui défilent dans le quartier. Le moment est fort en symbolique. © LaMeute -Graine-

À l'endroit même où Ibrahima est mort à moto, les jeunes du quartier font une haie d'honneur à d'autres motards qui défilent dans le quartier. Le moment est fort en symbolique. © LaMeute -Graine-

La Marche était annoncée à 14h. Mais elle ne s’élancera pas avant 15H30, après plusieurs prises de parole, devant le poteau cerné de fleurs, dédiées à Ibo. Sous le reflet froid et réflectif de la caméra de surveillance qui toise l'assistance. 
Diané, grand frère d’Ibo, micro en main, remercie la foule de citoyen.ne de tout âge pour son soutien, sa présence.

Bras dessus dessous, le cortège repart. © LaMeute -Nameu-

Bras dessus dessous, le cortège repart. © LaMeute -Nameu-

Il en profite également pour remercier celle d’élus : les maires de Villiers Le Bel (Jean Louis Marsac, DVG) et de Sarcelles (Patrick Haddad, PS) et le député de Seine-Saint-Denis (Eric Coquerel, FI) qui prêtera serment devant le cortège plus tard dans l’après midi, son écharpe tricolore à la main: « Je n’aurais de cesse de porter ce combat jusqu’à ce que les responsables soient traduits devant les tribunaux. »
Dans la foule, de nombreux soutiens arborent des t-shirt blancs et noirs réclamant : « Justice pour Ibrahima – Hommage et Paix ». À leurs côtés, venus apporter leur soutien et partager leurs expériences, se tiennent différents collectifs et proches de victimes : les proches de Curtis (jeune de 17 ans, tué dans un accident de quad en mai 2017 alors qu’il avait été repéré par la BAC d’Antony / Vérité pour Curtis) ou encore de Gaye Camara (jeune homme de 26 ans, tué par balle de la police d’Epinay / Vérité et Justice pour Gaye), le comité pour La vérité pour Adama, Almamy Mam Kanouté, Samir Elyes, le Collectif urgence notre police assassine, la Brigade Anti Négrophobie, des journalistes engagé.es (tel.les que Sihame Assbague, Taha Bouhafs ou Street Politics).
Et aussi, comme lors du premier rassemblement, Mara Kante, beauvillésois accusé à tort d’avoir tiré sur les forces de l’ordre lors des révoltes urbaines de 2007 qui faisaient suite à la mort de Laramy et Moushin.

Mara Kanté lors d’une prise de parole enlacé par un soutien. © LaMeute - Tuff

Mara Kanté lors d’une prise de parole enlacé par un soutien. © LaMeute - Tuff

Une centaine de jeunes à moto passent à travers la foule et ouvrent la Marche. Chargés du trajet, ils sillonnent les rues en amont du cortège, assurant le bon déroulement de cet hommage. A l’entrée de Villiers Le Bel, le cortège marque une pause sur le pont qui surplombe la Départementale 316 : sur la route, les ami.es d’Ibo lui font honneur. Un défilé de roues arrière, un concert de vrombissements de moteurs, pour le jeune homme passionné de cet univers. Les motards en profitent pour sécuriser la route afin que la Marche puisse occuper la D316. C’est là, sur une départementale bloquée, qu’à nouveau, une minute de silence sera faite pour Ibrahima et que les prises de parole s’enchaîneront, retraçant l’épaisseur de la vie du jeune homme, de ses liens, de sa personnalité : « Respectueux », « Souriant », « Très souriant », « Serviable », « Aidant », « Généreux ». Les adjectifs pour qualifier Ibrahima fusent de part et d’autres de la foule. « Vous vous en êtes pris à la mauvaise personne » déclare Diané en jurant que jamais la famille ne lâchera avant que Justice ne soit rendue. Dans les yeux, les larmes perlent. De nombreux portables filment les prises de parole, donnant de l’écho à cet hommage qui voyage sur les réseaux sociaux. Diané demande à un ami d’Ibo de prendre la parole. « Ibo ». Sa voix se brise. A force de lutte, il promet qu’il ne lâchera rien et qu’il pensera toujours à lui. La liste des victimes de violences policières sera énoncée plusieurs fois, replaçant celle d’Ibrahima dans un contexte historique, social, politique. 

Un ami d’Ibo prend la parole. L’émotion lui serre la voix lorsqu’il promet qu’il ne lâchera rien et ne l’oubliera jamais. « Respectueux », « Souriant », « Très souriant », « Serviable », « Aidant », « Généreux ». Les adjectifs pour qualifier Ibrahima fusent de part et d’autres de la foule. ©LaMeute-Jaya-

De retour au rond-point à l’entrée de Villiers le Bel, Franco de la BAN prend la parole : « Si on ne se bat pas pour nos vies, personne ne le fera ! J’ai entendu que ça va prendre des années pour que la Justice soit rendue. Ça c’est ce qu’on nous habitue à croire. Quand il y a eu la mort de Laramy et Moushin il n’y a même pas eu besoin de quelques mois ou semaines pour embarquer des gens en prison et dire que l’État était innocent…. » rappelle-t-il. « Le préfet a menti et quand il ment ce n’est pas un homme qui ment mais un représentant ! Il sait ce qu’il fait, il criminalise un jeune homme noir, il sait que les médias vont faire tourner et que les gens vont y croire. Nous devons demander sa démission, ce n’est pas normal de faire passer Ibrahima pour un criminel. » Et de conclure : « Justice tout de suite!». 

Diané reprend la parole pour inviter les témoins de la scène à se rapprocher du parquet de Pontoise afin de livrer leur témoignage : « Ils ne viendront pas vous cherchez alors s’il vous plaît rapprochez vous du procureur. » 

« Quand vous vous faîtes contrôler, s’il vous plaît, filmez ! » prévient Mamad Camara. « Quand vous faîtes de la bécane, surtout cross, moi je suis fan, kiffez mais s’il vous plaît ne leur donnez pas le fouet pour qu’ils vous battent. Dans mon quartier, je fais de la prévention pour qu’on mette un casque. (…) En France, la Justice est corrompue, les médecins sont corrompus, les juges d’instructions sont corrompus, toutes les institutions sont corrompues. Mais c’est nous qui n’avons pas le droit à la faute ! » Et de souligner : « Ils ont peur de nous voir uni.es ! » 

Avec beaucoup d’émotion, Mara Kanté prendra également la parole : « Nous ne sommes pas considérés, nous sommes toutes et tous vu.es comme de la merde. Levez vous ! Mobilisez vous ! (…)Le soutien sans faille à la famille, c’est très important ! » 

Une dernière minute de silence, assis, le poing levé, est improvisée à la fin de la Marche. À nouveau, Mara, ému, insiste :”On va marcher sans cesse et il n’y aura plus jamais d’émeutes comme ils le veulent” appuyé par un jeune habitant qui insiste : “Oui, ça faut le dire à Villiers Le Bel!” et rejoignant Diané lorsqu’il énonçait plus tôt dans l'après-midi que : “Aujourd’hui, vous-on s’est toustes tenu.es comme mon frère était : correctement. Mon frère il était correct. Ils ne peuvent pas déplacer le problème, ils ne nous auront pas cette fois ci. Combien de fois ça s’est produit : à chaque fois, on s’exprimait avec certains codes, ou on cassait et on déplaçait le problème. Aujourd’hui, sachez bien que s’il y avait eu de la casse TF1 et France 2 serait là. Aujourd’hui ils ne sont pas là car ils savent très bien que le système a commis un acte criminel.”

Fin de la marche, le cortège se recueille autour du lieu du drame. © LaMeute - Tuff


Portfolio