Pour la Palestine : occuper les rues de Paris malgré tout
Samedi 15 mai 2021, plusieurs milliers de personnes -souvent jeunes- ont tenu à afficher leur soutien aux Palestinien-nes -victimes des bombes pour les un-es, victimes des expulsions pour les autres. Les manifestant-es ont résisté pacifiquement face à un dispositif policier qui cherchait à empêcher tout rassemblement. A contre sens de la position diplomatique de la France, pour elleux, le jeu en valait la chandelle.
"L'injustice, ça fait mal au ventre", admet Sophie, une jeune maman venue avec ses amies. En dépit de son interdiction qui répondait aux vœux du ministre de l'Intérieur, la manifestation en soutien à la Palestine a tenté d'avoir lieu dans les rues du nord de Paris, ce samedi 15 mai 2021. Mais bien avant l'heure du rassemblement prévue à 15h par des associations pro-palestiniennes, les premières personnes présentes ont dû essuyé les jets des canons à eau. Systématiquement dispersés par les forces de l'ordre, des cortèges se sont formés dans l'ensemble du 18ème arrondissement de Paris jusqu'à la place de la République.
La honte
Il est à peine 14h30 sur le boulevard Barbès quand le premier canon à eau s'active. Face à l'engin policier, moins d'une cinquantaine de manifestant-es scandent alors quelques slogans. Pour les nombreuses forces de l'ordre en présence, qui bloquent l'accès du boulevard aux piéton-nes ou surveillent les stations de métro restées ouvertes, cela est déjà trop.
Fuyant les charges policières, ou cherchant à rejoindre un cortège à pied, des manifestant-es gambadent ou galopent dans les rues environnantes des quartiers de Barbès et Château Rouge. "On ne faisait rien, on était pacifistes au possible", rappelle Sophie, qui a trouvé refuge dans une boutique pour esquiver les jets d'eau.
Sur le boulevard Barbès, les manifestant-es reculent à mesure que les policiers avancent. Quand les premiers tirs de gaz lacrymogènes tombent, les plus jeunes, appeuré-es, s'engouffrent dans des hall d'immeuble pour se protéger. Canons à eau associés à des tirs de gaz lacrymogène, et fuite en courant: cela sera la rythmique principale dans ce quartier de Paris tout au long de l'après-midi.
Tandis que las, un millier de personnes ont préféré se rassembler sur la place de la République. Sur le chemin, plusieurs centaines de personnes resteront nassées plus de trois heures au niveau du métro Jacques Bonsergent, avant d’écoper d'une amende de 135e, sous la bonne garde d'autant de CRS et d’un camion à eau.
Un manifestant s'agace. Tantôt à cause des déchets qui jonchent le sol. Tantôt envers les manifestant-es prenant la fuite. "Il faut rester!", harangue-t-il.
"On ne peut pas faire grand chose de plus"/ La dignité
Sur le boulevard Ornano, dans le prolongement du boulevard Barbès, environ 1500 manifestant-es convergent au gré des heures et doivent se faufiler parmis les voitures. Nabil * exulte : "cela redonne foi en l'humanité de voir autant de monde qui se mobilise".
Chants, klaxons des automobilistes et tambours accompagnent les "Palestine vivra, Palestine vaincra". "C'était important de venir malgré l'interdiction car Israël bafoue l'humanité. Partout dans le monde, des hommes et femmes juives manifestent aussi car iels se sentent investi-es par cette cause", fait remarquer Nabil.
"C'est une manifestation de soutien : c'est forcément pacifique", analyse quant à elle, Sophie, les bras ballants. "On veut montrer aux Palestinien-nes que l'on est là. A notre échelle, on ne peut pas faire grand chose de plus", abonde tristement son amie C*.
Ces trois amies -trois mamans de confession différentes- sont venues manifester car "ce n'est pas une question de religion. C'est une question de droits humains", expose la troisième, Fatima. "On apprend le respect à nos enfants. Malheureusement, chez les adultes, il n'y a rien de tout ça", souffle C*, le regard qui fixe le nuage de lacrymogène au loin. "Ce n'est pas la première fois que je participe à une manifestation, mais c'est la première fois que je me sens autant impuissante", glisse-t-elle.
Dans cette partie de la ville, les affrontements avec la police sont rares et les gaz lacrymogènes ne reçoivent aucune réponse pendant plusieurs heures. Les habitué-es des manifestations s'étonnent, parfois avec admiration, du calme des plus jeunes. De jeunes garçons essayent de former des paravents à l'aide des barnums trouvés pour protéger des gaz (dispositif peu efficace malheureusement). Des bouteilles d'eau passent de mains en mains pour éponger la soif. "Nous avons peur de ce que vont dire les médias. C'est pour ça que nous, on filme tout!", confient les trois femmes qui tiennent fermement leurs téléphones portables, comme beaucoup d'autres.
Un peu moins d’une heure avant le couvre-feu cependant, la situation échappe un peu plus au contrôle de la police aux alentours du tram à Porte de Clignancourt. Les jeunes du coins, qui ont été refoulé-es par la police à travers tout le 18e, expriment leur frustration quant à une manifestation qui aurait dû se dérouler autrement. Des barricades sont érigées et tenues de longues minutes sur le chemin du tram, Boulevard Ney. Il faudra un grand renfort de CRS, mais surtout de la BRAV-M, pour disperser la foule, coursant les plus jeunes jusque dans les hall des immeubles HLM du coin.
"Ils n'ont pas perdu mais ils n'ont pas gagné"
"La différence depuis 2014, c'est qu'aujourd'hui je suis mère, et que rien n'a évolué en sept ans", souffle C*. Si la manifestation a été interdite par le gouvernement sous prétexte que les mobilisations pro-palestiniennes passées ou présentes étaient l'expression d'un antisémitisme, les manifestant-es elleux, balayent ces accusations. Le ton est ferme et l'on utilise le présent de l'indicatif. "Cela n'a aucun rapport avec l'antisémitisme", soupire Khadidja, la vingtaine. "Il ne faut pas mettre tous les Israëlien-nes dans le même sac. Il y a de l'espoir que l'extrême-droite ne soit pas reconduite aux prochaines élections", espère Nabil.
Depuis 2019, la majorité LREM essayent de condamner toutes critiques envers Israël en assimilant antisionnisme et antisémitisme. La loi s’appuie sur une nouvelle définition qui englobe désormais "les collectivités" perçues comme "juives," mais qui n'est pas juridiquement contraignante.
"Le gouvernement dit qu'ils ne veulent pas importer le conflit en France. C'est à double tranchant pour l'avenir. Est-ce que cela veut dire qu'on ne pourra plus manifester pour aucune cause, aucun peuple? Comment cela aurait été perçu s'ils avaient tenu les mêmes propos quand les gens manifestaient contre l'apartheid en Afrique du Sud ?", s'interroge Nabil.
En fonction de leurs connaissances, de leur sensibilité, les manifestant-es citent les mobilisations de Tokyo, Toronto ou New-York : aucunes de ces mobilisations pro-palestiniennes n'ont été réprimées. Alors qu'à Paris, "des gaz ont atterri dans des parcs où jouaient des enfants", grondent Khadidja et ses amies. "Le gouvernement cherche à diaboliser tout ce qui peut avoir un rapport avec les Français-es musulman-es. Dès que l’on veut agir pour une cause qui nous tient à cœur, cela pose problème", poursuivent ces trois autres jeunes femmes.
Houssam, militant du collectif La Chapelle Debout dresse le bilan d'une manifestation réprimée sous les gaz : "le gouvernement n'a pas perdu, mais ils n'ont pas gagné non plus, puisque les gens se sont mobilisés quand même. On a vu beaucoup de jeunes gens issu-es des quartiers populaires manifester sans le soutien des organisations de gauche qui n'ont pas réagi à l'interdiction de la manifestation, ou comme Hidalgo qui s'en est réjouit. C'est un véritable laissez-passer idéologique. Pour moi, la France est aujourd’hui l'avant-garde réactionnaire".
* Prénoms d’emprunt