Les exilé-es de Paris 8 / L'occupation la plus longue

C’était la dernière occupation encore en place dans une fac de région parisienne. Ce mardi 26 juin, à 4h40, des dizaines de CRS et d’unités d’interventions spécifiques sont intervenus pour déloger l’occupation du Bâtiment A de l’Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis. Une occupation à la double singularité qu’elle fut à l’origine, en Ile de France, du mouvement long d’occupation des facs du pays pendant toute la première moitié de l’année 2018, mais également qu’elle fut tenue par et pour des exilé·es pour la plupart Soudanais·es ou Erythréen·nes.


4H40. Cela faisait plus d’une semaine que l’on redoutait l’expulsion, annoncée comme inévitable par Annick Allaigre, présidente de l’université. Lorsque la police est arrivée, entre 150 et 200 personnes (160 selon la préfecture) étaient présentes en soutien des exilé·es principalement des étudiant·es d’un peu partout prévenues par SMS, mais également des travailleur·ses, des militant·es de diverses luttes. Le Bâtiment A s’est très vite retrouvé cerné par des dizaines de policiers, forçant les occupant·es à s’agglutiner contre un mur du bâtiment sur une large terrasse au premier étage. Certain.es officiers en civils s’affairaient à compter tout le monde et vérifier que personne ne restait dans les salles du bâtiment, d’autres encore filmaient les visages de celles et ceux amassé.es sur la terrasse, tandis que les policiers en uniforme - dont la cagoule fait dorénavant partie intégrante - frappaient au bélier contre des portes voisines.

On hurlait de peur et on avançait tête baissée vu qu’ils tapaient sur la tête
— Une étudiante venue en soutien

5h30. La police a commencé à faire évacuer les occupant·es par l’arrière du Bâtiment A, les faisant emprunter un étroit corridor menant de la terrasse à une salle au rez-de-chaussée où iels furent séquestré.es plus de 3 heures au total. De nombreux cris se sont faits entendre, et l’information circulait déjà que 3 camions de 45 places attendaient dehors pour nous embarquer tou·tes. On ne reverra certaines personnes qu’à notre propre sortie de la nasse, qui témoigneront : « Je me suis rendue calmement, les flics faisaient sortir les femmes une par une. Ils nous poussaient dans le couloir noir contres les murs, on les entendait nous traiter de ‘salopes’, de ‘gauchistes’, de ‘pétasse’. On hurlait de peur et on avançait tête baissée vu qu'ils tapaient sur la tête [ce qui est totalement illégal, ndlr]. Un CRS m'a dit d’aller plus vite et j'étais terrorisée, je voyais plus rien. D’un coup, je me suis pris deux poings dans la gueule, j’ai eu le cartilage du nez cassé. » De son côté, la préfecture de police affirme de manière éhontée que « cette opération d’orde public s’est déroulée dans de bonnes conditions et aucun incident n’a été relevé ».


Sur le toit du bâtiment, 4 officiers d’une brigade d’intervention spéciale observaient le spectacle et s’en amusaient. Alors qu’en-bas l’on triait les exilé·es et les Français·es, les officiers prenaient un plaisir pervers à dénoncer les Exilé·es qui ne quittaient pas leurs soutiens. Des témoins nous raconteront qu’à l’intérieur, un tri s’effectuait entre les Noir·es d’un côté et les Blanc·hes de l’autre.

6h30. Lassé·es par la lenteur de l’opération, les CRS se sont mis à nous compresser avec leurs boucliers contre les murs extérieurs du bâtiment et à nous gazer, dans l’espoir de nous pousser à quitter les lieux. Chose infaisable tant aucun mouvement n’était possible. Même les autres unités présentes ne comprenaient pas l’absurdité de ces ordres, et la menace faite par l’officier de « faire usage de la force » si nous ne coopérions pas.

7h. Le soleil s’était levé, les Exilé·es embarqué·es dans les cars réquisitionnés et les soutiens d’en-bas avaient été libéré·es. Sur la terrasse, pourtant, nous avons été forcé·es à attendre 9h30 avant notre libération et un relevé de notre identité. Les 194 Exilé·es présent·es ont été mis·es en détention dans un gymnase réquisitionné pour l'occasion au Raincy. Les autorités auraient de là procédé à une distribution d’Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF). Un comble alors que, le jour-même, le projet de loi « Asile et Immigration » porté par Gérard Collomb et favorisant le sécuritaire aux dépens de l’humanitaire était adopté en première lecture par le Sénat.

Il faut néanmoins se questionner sur les raisons d’une évacuation aussi simple à réaliser pour la police. C’est, à bien des égards, d’une ironie et d’une injustice terribles de voir combien l’affluence de soutiens fut aussi faible pour une occupation chargée d’un tel poids symbolique. Des milliers de personnes ont su converger de toutes les facs occupées, de toutes les boîtes en grève pour aller défendre des occupations de quelques semaines. Pourquoi n’en a-t-il pas été de même pour la première et la dernière des occupations de ce mouvement ?

Si la raison se trouve dans la pigmentation de la peau des occupant·es, alors c’est que l’on a trop vite oublié que le mouvement social ne triomphera jamais sans la défense commune de chacune de ses composantes.

© LaMeute

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