[Interview] “Nous, les AED, on est devenu-es la police des masques” (1/2)
1ère partie : Le protocole sanitaire « c’est que de la théorie, y a rien de pratique »
Depuis la rentrée des vacances de la Toussaint, les professionnel-les de l’éducation et lycéen-nes protestent contre le protocole sanitaire et ses mesures jugées inefficaces. Pourtant les écoles, collèges et lycées font partie des centres de contamination principaux.
LaMeute a rencontré Pierre*, Nassim et Lou, trois AED (Assitant.e d’Education) de Paris et Saint Denis, afin d’éclaircir la situation actuelle dans les collèges et les lycées perdus entre la pandémie, un protocole sanitaire inapplicable, l’inquiétude, et les gaz de la répression.
LaMeute : Pouvez-vous nous décrire le protocole sanitaire ?
Lou (AED au lycée Paul Eluard à Saint Denis) : Le protocole est là pour faire respecter les gestes barrières en gros. On doit réguler la circulation, éviter que les élèves se croisent. Les salles de classe doivent être nettoyées plusieurs fois par jour, aérées le plus possible. Les élèves restent dans la même salle, ne sortent plus devant l’établissement pendant les pauses. Iels doivent porter le masque et se laver les mains le plus possible bien sûr. Il nous demande aussi d’informer et de communiquer en cas de contamination, en gros.
LM : Comment s’applique-t-il dans vos établissements ?
Pierre (AED dans un collège du 18e arrondissement) : Globalement, c’est la merde. Il n’y a aucune réalité locale et logistique dans le protocole. Les lycées et collèges parisiens manquent beaucoup de place pour appliquer les mesures de distanciation sociale. Par exemple, dans mon collège, les couloirs font à peine plus d’un mètre, et les salles sont petites : on peut y mettre maximum 20-30 élèves, et c’est serré. Bref, c’est presque impossible à mettre en place.
Nassim (AED à la cité scolaire Victor Hugo 3e arrondissement) : C’est compliqué. Je travaille dans une cité scolaire, on n’a pas de cantine dans l’établissement. Etant donné qu’on ne peut plus les faire circuler jusqu’au réfectoire, les élèves mangent sur place. Là ça fait deux semaines qu’iels mangent des sandwichs triangles le midi…
Pierre : Ça me fait penser à la salle de permanence de mon collège. Elle est trop petite, du coup nous sommes contraint.es de faire la permanence dans la cour… les collégien.nes vont soit attraper le Covid, soit la crève...
LM : Vous arrivez à vous organiser malgré la difficulté d'application ?
Pierre : Non, on n’a pas le temps de s’organiser en fait. Il y a une telle charge de travail en plus. Aux règles supplémentaires du protocole, s’ajoute notre travail habituel, qui est déjà lourd. C’est aussi le cas des agents de nettoyage. Avant, iels devaient nettoyer les classes une fois par jour : maintenant c’est 3 fois par jour. C’est la grande blague du protocole d’ailleurs, puisque les élèves doivent rester dans leur salle toute la journée. Et pendant les récréations, les agents de nettoyage n’ont pas le temps de nettoyer la classe. Pas le temps, et pas assez de personnel. Là, il y a quatre personnes pour un bâtiment de trois étages…Tout ce protocole, c’est que de la théorie, y a rien de pratique.
Nassim : La grande blague aussi, c’est encore une fois la cantine… C’est un sujet qui revient souvent quand on discute entre AED. Qu’elle soit plus ou moins grande, c’est un lieu de passage. Le protocole nous dit que les élèves ne doivent pas se croiser. Et malgré les règles établies pour la cantine dans ce protocole, sa réalité pratique n’existe pas. Des collègues ont tout essayé, mettre en quinconce les élèves, les espacer le plus possible, qu’iels portent le plus souvent leur masque… Certains ont fini par abandonner, c’était intenable.
LM : Est-ce que vous avez le temps de faire votre travail habituel ?
Lou : Le protocole est devenu notre priorité donc on a moins le temps. Mais pour moi ça ne devrait pas être notre job, on a beaucoup d’autres choses à faire.
En tant qu’AED, on est quand même très proche des élèves, parfois plus proches que les enseignant-es. On est plus jeune, et on se doit de les écouter, de les accompagner. Mais depuis la rentrée, on n’a plus le temps de faire ce travail correctement.
Nassim : Moi je fais la guerre pour le masque, parce que le reste du protocole est impossible à appliquer, et je suis rentré en conflit avec quelques élèves, parce qu’iels ne le portent pas. Cela crée des tensions. Et c’est impossible de bâtir une relation de confiance et d’accompagnement quand le seul rapport avec cet élève c’est « mets ton masque ». On a un rôle de maton.
LM : En cas de contamination dans l’enceinte de l’établissement qu’est ce qu’il se passe ?
Lou : L’élève contaminé est renvoyé chez lui et les cas contacts sont mis en isolation. Seulement, il faudrait qu’il y ait une bonne communication pour travailler correctement. Ce n’est pas le cas.
Nassim : Dans mon collège, il y a une boucle mail qui informe le personnel en cas de contamination. Seulement, nous, les AED on a dû lutter un mois et demi pour être inscrit, et informé.
Pierre : Les informations circulent très peu, il faut passer par la PCN (Paris Classe Numérique), la boucle mail interne à l’éducation nationale. Quand des élèves se font renvoyer du collège, d’habitude c’est toute une procédure administrative. En ce moment toute cette procédure est abandonnée : on n’a pas de trace des renvois, jusqu’à réception du mail d’information. Heureusement, notre vie scolaire donne sur la porte, donc on voit qui s’est fait renvoyer, c’est notre moyen le plus rapide de nous informer sur les cas de contamination.
LM : Il y a un vrai problème d’ information, si je comprends bien ?
Pierre : C’est un problème de hiérarchie. Les ordres et les informations se transmettent d’abord entre la direction et le rectorat, par la « cellule covid ». Elle communique peu, et mal.
Par exemple, on a eu une collègue positive au Covid, nous étions tous.tes cas contact. Mais pas pour la cellule covid… C’est l’infirmière qui a dû nous signaler à l’assurance maladie.
Dans le 13e arrondissement, un lycée avait plus de quatre cas de Covid. Normalement selon le protocole, l’établissement doit fermer. Là, le rectorat a refusé la fermeture de cet établissement malgré les risques.
LM : Et les élèves, comment respectent iels ce protocole ?
Lou :Les élèves ont conscience du problème et font au mieux. Dans mon lycée, beaucoup vivent avec leurs grands-parents. Iels font donc très attention. Certain.es élèves ne portent pas le masque parce qu’iels n’en ont pas chez eux, n’ont pas pu en acheter. Les élèves issu.es de famille précaire sont dans cette situation. A la rentrée de septembre, on pouvait encore leur en donner, mais maintenant c’est fini, nos stocks sont épuisés. Après, bien sûr certain.es ne le portent pas par défiance de l’autorité mais c’est un comportement minoritaire.
Pierre : Iels sont lucides, la semaine dernière, un élève m’a répondu « Pourquoi tu parles de porter le masque, on est 30 dans une salle, y’ a pas d’air, et on est tous.tes collé.es les un-es contre les autres ». Même les élèves ont conscience que ce protocole n’a pas de sens. C’est la pire rentrée depuis trois ans, je travaille dans un collège « difficile » comme on dit, mais je n’ai jamais ressenti autant d’anxiété, d’angoisse, de tension. On a des élèves qui se demandent ce qu’iels font là et on se trouve dans une impasse, sans savoir quoi répondre, on est dépassé.e par la situation.
Nassim : Le problème ce n’est pas le comportement des enfants. Le problème, c’est la gestion globale de la crise. On a quand même eu deux allègements du protocole entre la première et la deuxième vague...
Pierre : Ah oui ! Le protocole sanitaire de mai dernier faisait 60 pages. Le nouveau en fait huit… mais il y a du progrès, celui de septembre en faisait six !