[Interview] “Nous, les AED, on est devenu-es la police des masques” (2/2)
Partie 2/2 : « Notre job c’est quand même de protéger les enfants. Là, on doit les protéger de la police. »
Depuis la rentrée des vacances de la Toussaint, professionnels de l’éducation et lycéens protestent contre le protocole sanitaire et ses mesures jugées inefficaces. Pourtant les écoles, collèges et lycées font partie des centres de contamination principaux.
LaMeute a rencontré Pierre*, Nassim et Lou*, trois AED (Assitant.e d’Education) de Paris et Saint Denis, afin d’éclaircir la situation actuelle dans les collèges et les lycées perdus entre la pandémie, un protocole sanitaire inapplicable, l’inquiétude, et les gaz de la répression.
LaMeute : A cause de ce protocole sanitaire jugé inefficace, on a vu la naissance d’un mouvement lycéen directement réprimé, comment ça se passe chez vous ?
Lou : dés la semaine de la rentrée, au lycée Paul Eluard à Saint Denis, Il y a eu des blocages. C’était très calme, même pas de poubelles. Il faut savoir que bloquer le lycée où je travaille, c’est compliqué. Il y a une équipe de sécurité interne au lycée en permanence en plus de la vie scolaire. Donc les lycéen.nes ne peuvent pas bloquer avec des poubelles, ou des grilles aussi facilement.
LM : Et malgré ce blocage calme, que s’est-il passé ?
Lou : Le mercredi 4 novembre, à 13h les policiers sont venus et ont pris, au pif, cinq élèves. Ils ont été placés en garde à vue.
Plus tard, on a appris que les policiers les avaient frappés dans le camion. Un élève est sorti avec une fracture de l’arcade et la lèvre ouverte. Il est poursuivi pour outrage à agent. Un autre, qui avait soit disant une bouteille de vodka dans son sac « pour préparer des cocktails molotov », selon un policier, est poursuivi pour trouble à l’ordre de public.
LM : Au moment de l’interpellation que faîtes-vous ?
Lou : Quand les policier-es sont arrivé-es, la tension est montée d’un cran. Quand iels ont interpellé les élèves. Nous, les AED on a surtout essayé de contenir les autres lycéen.nes - celleux qui voulaient protéger leurs amis arrêtés et les autres. Les policier-es ont commencé à gazer, on essayait autant de protéger les élèves que de les contenir. Quelques profs sont venus nous aider. Personne de la direction, il n’y avait personne ce jour-là, seulement la CPE.
C’est le soir que nous nous sommes rassemblé.es devant le commissariat de Saint Denis, avec des élèves, des parents, des gens du quartier et des profs, pour demander la libération des enfants. Ils ont été relâchés le soir même, après sept heures de GAV.
LM : Est-ce que le mouvement a continué malgré cet épisode de répression ?
Lou : Oui, le lendemain,les lycéen.nes étaient très en colère, iels demandaient justice. Mais le blocage se passait dans le calme. C’est quand le dispositif policier a pris place que les tensions ont grimpé, encore une fois. On a vu cinq camions de policiers qui entouraient le lycée.
C’est monté d’un cran, quand, de leur voiture, des policiers ont lancé une grenade de désencerclement et des gaz lacrymogènes sur les lycéen.nes. La direction n’a rien fait : les élèves étaient encore plus en colère. Quand la BAC est arrivée, là c’est parti en affrontement dans les rues adjacentes. La police a dispersé tout le monde, à 13h il n’y avait plus personne.
LM : Et la direction, que met-elle en place depuis ?
Lou : La direction n’a rien mis en place. La seule réponse aux revendications légitimes des élèves, c’est la police. Et on l’a vu ces deux jours-là, les policiers titillent les élèves, iels cherchent le conflit, et iels savent que ça peut péter. Il y a une escalade de la violence très rapide, et la direction refuse de voir, et d’agir.
Quand les élèves et profs ont voulu prendre rendez-vous avec la direction, on leur a dit que le proviseur était absent, puis qu’il ne pouvait pas parce qu’il était en rendez-vous téléphonique, c’est du foutage de gueule.
LM : Dans ces moments là quel rapport vous avez avec la police, en tant qu’AED ?
Lou : Notre job c’est quand même de protéger les enfants, et de les encadrer. Dans ces cas-là on doit les protéger de la police. Ces derniers jours, iels patrouillent beaucoup plus que d’habitude, avant il y avait une ou deux voitures de police qui passaient devant le lycée pour regarder un peu ce qu’il s’y passait. Maintenant, on doit bien en compter le double.
Pierre : Ca, n’importe quel AED de notre entourage, qu’iel travaille en banlieue, à Paris, dans un établissement privilégié, ou dans un établissement de quartier populaire, l’observe. Les policiers sont de plus en plus présent-es devant les lycées.
On a un collègue qui travaille au Lycée Bergson dans le 19e arrondissement qui nous raconte que la police stationne en continu devant le lycée. Avant, le passage et le contrôle policiers étaient réguliers et quotidiens, mais depuis la rentrée, c’est en continu.
Lou : Et ils nous donnent des ordres aussi ! Après les jours de blocage, on devenait presque des auxiliaires de police -du moins les policiers voulaient qu’on le devienne. On nous demandait des renseignements sur les élèves, on nous interdisait de fermer les grilles quand on devait les fermer…
LM : Vous avez le sentiment d’être fliqué.es ?
Lou : Un peu, mais pas directement par la police. Le 5 novembre, même si nous étions en grève et qu’une « journée morte » au lycée avait été proposée par des profs, des élèves et des parents, le rectorat a envoyé un inspecteur de la vie scolaire. On sait qu’il y a un enjeu politique derrière tout ce contrôle. On prend ça comme un rappel à l’ordre. Et encore c’était pas les EMS.
LM : Les EMS ?
Lou : Les Équipes Mobiles de Sécurité : c’est un peu la milice à tout faire du rectorat.
Pierre : Oui les EMS sont envoyées par le rectorat pour faire les médiateur-trices, là où je travaille, on en avait reçu soit disant pour nous protéger d’une descente d’un autre collège… Ca n’a bien évidemment pas eu lieu mais elles étaient là, et contrôlaient notre travail. A Saint Denis, un collègue avait vu des EMS infiltrer les blocages lycéens, pour faire du fichage, collecter des renseignements pour les policiers.
LM : Les lycéen.es sont-iels soutenu.es dans leur mouvement ?
Lou : Le 4 novembre, devant le commissariat de Saint Denis, il y avait un soutien local mais aussi médiatique : il y avait Taha Bouhafs de Là-bas si j’y suis et le Journal de Saint Denis.
LM : Et vous, vous les soutenez ?
Nassim : On les comprend, on est dans la même situation, c’est normal de les soutenir.
Lou : Le 5 novembre, toute la vie scolaire faisait grève. Les AED présent.es au blocage y étaient par choix, pour soutenir les lycéen.nes. Comme disait Nassim, on a les mêmes peurs, les mêmes questionnements, on reste solidaire. Le blocage est la seule façon de se faire entendre pour les lycéen.nes. Alors on les soutient et on essaie aussi de relayer leur parole.
Pierre : Oui, on est dans la même situation et puis même, quand on voit la seule réponse policière, et la violence de cette réponse, on doit les protéger. Même si tout cet engagement met en péril notre devoir de neutralité…
* Les prénoms ont été modifié
©LaMeute - Corto