A Villepinte (93), « on peut se faire courser quatre-cinq fois, dans la même journée, par les mêmes keufs »
A quelques arrêts en RER de la capitale, cette ville de Seine-Saint-Denis n’a pas le luxe d’échapper au constat observé depuis le début du confinement. Acculée par le Covid-19, cernée par ses deux polices, les habitant·es de Villepinte observent –et ressentent- une augmentation des violences policières. Hamza, 22 ans, en a encore fait les frais il y a peu. Entre les amendes qui tombent, et les appels téléphoniques menaçants, un système répressif et policier rodé s’est mis en place.
C’était le 27 avril, vers 16h. Là, à l’arrêt de bus du boulevard Robert Ballanger, situé entre deux commissariats, Hamza et son ami Bilel – attestations de sortie en poche – patientent pour aller faire des courses. Une voiture de la BAC de Villepinte (93) [Brigade Anti-Criminalité, NDLR] passe d’abord au ralenti, fait mine de poursuivre sa route, avant de finalement faire demi-tour. A leur niveau, la voiture freine brusquement ; un policier en sort, matraque en main. « J’ai commencé à courir mais je n’avais pas vu qu’un autre policier attendait. Il est sorti de nulle part : il était caché derrière ce buisson », explique Hamza en retraçant le parcours, scène après scène. « Je suis tombé là », continue-t-il, moins d’un mètre plus loin.
Sa chute réveille une ancienne blessure, qu’il essaye de guérir tant bien que mal depuis un accident de la route survenu il y a plus de cinq mois. Depuis, Hamza alterne entre fauteuil roulant et béquilles. « Tout du long, je leur criais : ‘‘je suis handicapé !’’ ». En vain.
Bilel confirme avoir entendu – à maintes reprises – son ami avertir les policiers. Ces derniers ont préféré lui répondre par des insultes : des « fils de pute » et des « nique ta mère ».
La course se poursuit : une seconde chute, des coups, puis les menottes. Hamza scande des « Filmez!, Regardez! » pour alerter les habitant·es confiné·es. Son pote Bilel, qui a un peu d’avance dans la fuite, sort son portable. «Mais les policiers lui ont fait effacer toutes les vidéos », précise Hamza. [Pour mettre en difficulté ces pratiques –récurrentes- d’effacement des preuves ou de dégradation des téléphones portables, le collectif Urgence notre police assassine a lancé une application qui enregistre automatiquement les vidéos prises, NDLR]. « J’ai d’abord refusé de leur donner mon mot de passe », explique Bilel. Mais après « dix claques » assénées, il finit par céder.
«Ils ont supprimé beaucoup de choses; d’autres vidéos de violences policières mais aussi des vidéos du mariage de ma sœur », précise le jeune homme, qui aura 19 ans dans quelques jours.
Hamza est traîné quelques mètres plus loin, sous un abribus pour le cacher des regards; un policier l’étrangle. Toujours menotté, le jeune Villepintois ne peut se débattre. « C’est ça qui m’a fait le plus de mal... Le policier qui m’a fait ça, c’est pas un homme », lâche-t-il. L’agent l’amène ensuite sur un parking, alors même que « le comico est de l’autre côté », précise le jeune homme. « Les policiers savent très bien que qu’il n’y a pas de caméra là-bas », confirme son ami, Bilel. Pour y accéder – à pied ou en vélo – il faut passer par un petit chemin, presque masqué par les arbres. Sur ce parking, la voiture de police banalisée l’attend. Les coups se poursuivent, comme insatiables, et puis : plus rien. « J’ai perdu connaissance. Je ne me suis même pas rendu compte qu’on allait au commissariat », explique Hamza.
Il retrouvera Bilel dans l’enceinte du poste de police. C’est ici que son ami est une ultime fois brutalisé : « Un policier s’est passé du gel [hydroalcoolique] sur les mains et il m’a dit : “Regarde, je me suis désinfecté”, avant de me frapper ».
Puis, les deux garçons sont placés en cellule – sans un mot ni considération – alors même que le visage d’Hamza est « tellement gonflé que Bilel a eu peur ».
« La policière qui prend les empreintes, c’est la seule qui m’ait regardé humainement », résume Hamza.
Ils seront relâchés au bout de deux heures, sans qu’aucune poursuite ne soit retenue contre eux. « Ils ont dit que je voulais me battre avec eux… Ils ont rien trouvé de mieux », rit amèrement Hamza.
Un harcèlement devenu « une habitude »
Les menottes, qu’Hamza a gardées tout le temps passé au poste, lui ont laissé des marques sur les mains. Neuf jours après cette violente interpellation, les cicatrices sont toujours visibles. Les coups qu’il a reçus lui ont valu 8 jours d’ITT [Incapacité Temporaire de Travail, NDLR] : « Avant même que je lui explique ce qu’il s’était passé, la médecin a compris que je m’étais fait étrangler en voyant les marques autour de mon cou,. Ça ne choque plus personne : à l’hôpital Robert Ballanger, ils en ont vu d’autres !», explique-t-il en rigolant, nerveusement.
Lui aussi en a vu d’autres. Il évoque le rapport des habitant·es de Villepinte avec la police, le quotidien de ces « petits contrôles poussés, ces petites claques » reçues de la part des forces de l’ordre. Et conclut d’un « normal » dérangeant.
« Ce n’est pas un truc qui me choque, c’est vrai », confie-t-il quand on lui fait remarquer cette banalisation.
Avant le confinement, Hamza avait déjà été soumis à un contrôle d’identité « poussé ». Résultat : cinq jours d’ITT. L’été dernier aussi, « un policier a sorti un pochon de shit pour le glisser dans ma poche. Mais un ami a tout vu, donc il m’a laissé tranquille ». Ce jour-là grâce à cet ami présent, Hamza s’en sort plutôt bien. Il n’a pas eu cette chance le 27 avril dernier. « Cette fois-ci, c’était pire ».
Si les violences policières sont « une habitude » pour Hamza -qui vit à Villepinte depuis 15 ans, leur brutalité -allant toujours crescendo, l’a poussé cette fois-ci à parler de son histoire. « Je n’en parlais pas avant… Tous, on ne disait rien », reconnaît-t-il. Face à l’augmentation de ces violences – et ce qui est vécu comme un harcèlement policier – depuis le confinement, il s’agit là aussi “d’ouvrir la voix”. « Il ne faut pas qu’on en reste là », souffle-t-il. « Ce qu’il a vécu, ça mérite de porter plainte », admet aussi Bilel.
Un peu plus tôt dans la journée, ce dernier avait esquivé un contrôle. « Je n’avais pas mon attestation de sortie cette fois-ci. J’aurais dû assumer », regrette Bilel à présent. « Hamza s’est vraiment trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment... Les policiers du matin ont reconnu mes habits; ils voulaient absolument m’attraper ce jour-là. Un policier me l’a d’ailleurs dit clairement au commissariat : “tu l’as cherché, t’aurais pas dû courir ce matin” ».
Mais pour Hamza, la situation s’explique plus globalement : « les policier•es sont en train de craquer ». A Villepinte, depuis le début de l’épidémie, « on peut se faire courser quatre-cinq fois, dans la même journée, par les mêmes keufs », martèle-t-il. L’effet du confinement selon le jeune homme. Mais aussi, quelque chose qui a plus à voir avec un effet de domination : « ils aiment bien me tomber dessus depuis que je ne marche plus », reconnaît-il. « Et à chaque fois que je vais mieux, ils me redescendent ». Suite à cette interpellation, la docteure lui a conseillé de ressortir son fauteuil roulant pour au moins un mois, alors qu’il commençait enfin à re-marcher normalement.
« Les OPJ font semblant de ne rien savoir, de ne pas comprendre »
Après avoir changé d’avis à plusieurs reprises, Hamza a – à l’heure actuelle – décidé de ne pas signaler les violences vécues lors de son interpellation à l’IGPN : le manque d’argent, une certaine désillusion et...un coup de pression.
« Mes parents voulaient que je porte plainte mais ils ont changé d’avis après un coup de fil de l’OPJ ! Les policiers peuvent salir mon image... Ils sont malins. Et puis, je n’ai pas de vidéos : c’est sûr qu’ils vont être relaxés ! Ma parole ne vaut rien à côté de celle d'un policier ».
« Les nationaux, iels m’aiment bien... », résume-t-il, ironique. Hamza fait référence à la PN [police nationale, NDLR], l’une des forces de l’ordre déployée dans sa ville. A Villepinte, il y a en effet deux polices : l’équipe municipale d’abord, avec qui les rapports sont globalement bons. « Les anciens, ils ne nous calculent pas. Parce qu’ils nous connaissent », analyse Hamza.
Et puis, la police nationale, elle-même divisée en deux services : le Service de Sécurité de Proximité (SSP) dont font partie les agents de terrain de la BAC, et le Service d’Accueil et d’Investigation de Proximité (SAIP) composé – entre autres –des Officiers de Police Judiciaire (OPJ). « Avec eux, on est tous des racailles », estime Hamza.
Il juge que les exactions commises sont du fait de la police nationale. Notamment, d’une vingtaine d’agents, mutés d’autres régions de France sur Villepinte. « Certains ont l’accent du Sud… C’est des petits nouveaux. Certains ont mon âge ! ». Bilel, lui, assure que certain·es agents sont venu·es en renfort depuis quelques semaines ou quelques jours seulement.
Une minorité qui imposerait sa loi : c’était déjà ce que nous confiaient les habitant·es de Levallois-Perret en marge de la marche blanche pour Cédric Chouviat. Le lieu change ; l’intrigue reste la même.
Quelques jours plus tard après le 27 avril, le père d’Hamza reçoit un coup de fil d’un Officier de Police Judiciaire, « pour lui mettre la pression et le prévenir que la prochaine fois je serais déféré », raconte son fils. « L’OPJ fait semblant de ne rien savoir, de ne pas comprendre », souffle-t-il. D’après Hamza, pourtant, ce service ne peut pas ne pas être au courant des comportements déviants à l’oeuvre sur Villepinte. Il rapporte que certains méfaits ont même été filmés comme par exemple, « ce mec qui avait 180 euros dans son portefeuille avant de se faire contrôler par des policiers; ils lui ont pris son argent et sont repartis ».
Une supposée alliance entre ces deux services policiers qui n’est pas une observation réservée à Villepinte. Lors du procès en mars 2020 des deux agents de la BAC départementale de Seine-Saint-Denis, mis en cause pour des violences remontant à juin 2013 sur les membres de la famille Kébé, nous remarquions, encore, que si les policiers [se succèdent à la barre, ils ne semblent être que la même voix d’un seul corps. En dépit des divergences dans leurs déclarations, tout doit coller. Tout doit s’aligner. Comme face à une boîte à formes, où l’on tape du poing sur un carré pour le faire entrer dans un triangle].
Hamza sort de sa pochette son attestation de sortie, ainsi que les trois amendes pour non-respect du confinement qu’il a déjà réceptionnées par courrier. « J’en ai trois autres supplémentaires mais je ne les ai pas encore reçues », ajoute-il. Ces 810 euros d’amende, il compte bien les contester. Bilel déclare, pour sa part, avoir reçu le 27 avril une double amende : comme une punition revancharde pour avoir osé s'être dérobé au contrôle du matin. Les coups portés au porte-monnaie les dissuadent d’entamer d’autres procédures contre les policiers qui les ont frappés.
« Je n’ai pas l’argent pour un avocat», lâche Hamza.
Quitter la cité ou rester
Toujours avec une attelle à la cheville, Hamza suit du regard avec envie les quelques motos qui passent près du boulevard Robert Ballanger. « Y’en a qui kiffe le foot, moi je kiffe la moto », schématise-t-il. Depuis son accident, la sienne est restée au garage. Ses blessures à répétition ont mis en stand-by son projet de formation d’ambulancier : entouré par sa famille, Hamza est coincé ici, entre son envie de se barrer à cause des violences policières et ces projets - malheureusement contraints d’être avortés.« J’aime bien là où j’habite. Mais il faut changer la police », analyse-t-il. D’après lui, ce boulevard trace une frontière symbolique entre « le Villepinte “bien” … et l’autre ». Lui, vit du mauvais côté.
« On est tous ensemble : il n’y a pas de 9-2 contre le 9-3 ». Pendant quelques nuits, les habitant·es de Villepinte, eux aussi, se sont révolté·es contre ce qu’iel considèrent comme un acte volontaire, qui a gravement blessé Mouldi à Villeneuve-la-Garenne (92) le mois dernier (Relire notre reportage ici). « Entre cités, on se comprend. On voit des choses que les gens ne croient pas ».
Ces “choses” désormais, Hamza ne les supporte plus. « Ça me rend fou», admet-il. « Je n’arrive plus à dormir. J’ai une haine en moi, mais je veux être plus intelligent que les policier·es. Je reste calme pour mes petits frères et sœurs : je dois montrer l’exemple ».
Souvent alors, il fait des pauses, passe des soirées chez des potes -en dehors de Villepinte. « Sérieux, ça me fait du bien », reconnaît-il. « Faut que je me trouve un appart », répète-t-il à plusieurs reprises. A Livry-Gargan peut-être. Là-bas, il a l’impression que « c’est plus tranquille ».
Dans tous les cas, pas question de quitter la Seine-Saint-Denis. « Je connais jusqu’à Drancy, c’est tout. C’est mon 9-3 ».
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