A Paris et Marseille : "vous n'éteindrez pas les jeunes filles en feu"

Lors de la manifestation du 8 mars, à Paris, des manifestant-es huent au niveau du Palais de Justice de Paris. ©LaMeute - Corto

Lors de la manifestation du 8 mars, à Paris, des manifestant-es huent au niveau du Palais de Justice de Paris. ©LaMeute - Corto

Faisant bon gré mal gré des aléas du calendrier -la Journée Internationale pour les Droits des Femmes tombant cette année un lundi- les féministes ont investi l'espace public pendant quatre jours, imposant toujours plus les problématiques d'égalité à l’agenda : entre les genres, entre les classes, LGBTQIA , en prenant en compte les différences de chacunes dans une perspective antiraciste; en somme, une dynamique intersectionnelle, englobante et inclusive. Ni retour en arrière possible, ni peur d'un retour de bâton. Dans les rues de Paris ou à Marseille, les femmes préviennent : "tic-tac le patriarcat".

Les femmes de Toulouse ont donné le la. Cette année, la journée du 8 mars a commencé avec plusieurs jours d'avance. Vendredi 5 mars, en commençant par une bravade, les militant-es féministes ont d'emblée voulu jouer hors cadre. Le couvre-feu? Assez! Le 8 mars? Pas suffisant. Même credo sur les internets, où la semaine a été rythmée par les conférences en ligne du collectif Mwasi pour la deuxième édition du "Village des féminismes". 

Dans les rues de la capitale se sont ainsi succédées plusieurs manifestations féministes -pour autant de maux. 


Le 6 mars, dans le sillage des révélations sous le hashtag #SciencesPorcs, les étudiant-es parisien-nes ont convergé vers le métro rue du Bac, où un important cordon de force de l’ordre les accueillaient, les repoussant vers le début du cortège. Sous un rayonnant soleil d’hiver, malgré le vent froid et les arrêts imposés par le dispositif policier, le cortège a progressé non sans peine aux abords du parvis du Panthéon pour porter leur colère et leurs indignations face aux violences sexuelles et patriarcales commises dans l’Enseignement supérieur. L’ambiance fut malgré tout bonne enfant et festive. Dans la rue, retentissent des “siamo tutti antifascisti” et des “ne nous regardez pas, rejoignez-nous" qui décidèrent les quelques femmes aux fenêtres à descendre dans la rue. A 17h, enfin, vers la place du Panthéon, une banderole sur laquelle on peut lire “Justice pour Julie” et “Justice pour Guillaume” est dressée entre deux réverbères. Les tentatives de contrer la nasse des forces de l’ordre n’a pas été aidée par un service d’ordre a priori peu familié des méthodes policières et craignant une riposte si ielles n’ordonnaient pas aux militant.es de libérer les trottoirs et la chaussée. La mobilisation apparaît un peu fade dans ce contexte brûlant où tous les ingrédients sont réunis pour que la contestation prenne et que la colère gronde. En effet, après quelques négociations menées mollement pour demander à la police de libérer l’accès au Panthéon, où devait s’achever la manifestation, beaucoup abandonnent le cortège et sont contraint.es par les gendarmes de replier ou de jeter leurs pancartes pour quitter les lieux.  

La veille du 8 mars, un rassemblement s'est tenu place de la République

Pour Léa *, qui a battu le pavé tout le week-end, ces événements sont "très beaux". "J'ai trouvé qu'il y avait une sororité très puissante dans laquelle je trouve ma place -et c'est très rare", glisse la jeune femme lors de la manifestation parisienne du 8 mars 2021. 

À l'appel de 37 organisations, entre 15 000 et 20 000 manifestant-es ont défilé dans les rues de Paris. Croisée peu après le départ de la marche, qui partait du boulevard Port-Royal – à quelques pas du Crous de Paris où en septembre dernier un "femmage" à Doona était rendu – Léa brandit fièrement une pancarte intime et politique. "J'ai choisi cette phrase car j'ai fait mon coming-out après la manifestation du 8 mars 2020", dévoile-t-elle en jetant un oeil à son "Le féminisme c'est la théorie, le lesbianisme c'est politique". "Les manifestations sont les seuls moments où l'on peut se retrouver entre nous", précise Léa. Derrière elle, le cortège de Paris Queer Antifa ambiance la marche. On aperçoit une pancarte “Je suis une femme, lesbienne mais ça aurait pû être pire. Solidarité avec les handi, trans et racisées”.

Un retour de bâton?

Parmi elleux, Stella et une pancarte "Des omelettes pour les terfs". La veille, iel avait assisté à l'affrontement entre Marguerite Stern -qui a lancé le mouvement des Colleuses- et des féministes intersectionnelles sur la place de la République. "J'ai filmé la scène où elle se prend un œuf sur la tête. La vidéo est devenue virale sur Twitter", confie-t-iel. "Je me suis pris des menaces de mort dans toutes les langues car l'audience de Stern est internationale. Les médias ne rendent pas compte de l'impact qu'elle a sur la communauté trans. Elle est la cause de beaucoup de traumatismes. La vidéo peut paraître violente, mais ce n'est rien par rapport à ce qu'elle nous envoie", lâche-t-iel.

Ce même jour, Antifas et Femen se sont également fait face.

SMK 8MARS (14 sur 21).jpg

Le 6 mars, un rassemblement anti-IVG a joué les troubles fêtes. Près du jardin du Luxembourg, un petit groupe de militant se proclamant “pro-vie” a pris place sur le trajet, brandissant une banderole montrant des restes de foetus des suites d’un avortement. Face à cette provocation évidente, les étudiant.es ne se font pas prier pour s’écarter des rangs afin d’arracher la banderole, sous les encouragements de la foule. Une Street Medic qui tentait de saisir la banderole recevra des coups de matraque.

Face à l'ébullition des milieux féministes, les manifestant-es ont-iels peur d’un backlash? Le concept du “retour de bâton” désigne les offensives réactionnaires qui surviennent à chaque avancée féministe. Un pas en avant, deux pas en arrière. "Je ne suis ni triste ni apeurée, je suis juste lesbienne. C'est déjà suffisant", s'exclame en rigolant Léa, questionnée sur les turbulences survenues en marge des manifestations parisiennes.

Du côté du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo, le ton se veut plus dubitatif. “On vit une période un peu schizophrène, où le monde de l’entreprise va faire de la communication un peu woke sur le sujet de l’égalité des sexes, mais d’un autre côté, les femmes qui osent l’ouvrir se prennent des vagues de harcèlement pour qu’elles se taisent”, développent Britanny et Viviane qui travaillent dans ce secteur. Selon elles, la “bro culture” aurait toujours lieu, en dépit des révélations de Mediapart. “Ça a créé une petite révolution, mais cela n’a pas été suivi de résultat. Le sujet a encore du mal à être pris au sérieux. Nous devons toujours faire face aux blagues de mauvais goût voire au chantage...”, précise Britanny. “...Et au montage photo pornographique!”, la coupe sa consœur.

Maéva, une intermittente du spectacle, tient fermement sa pancarte “Restez vigilante”. “Le contexte nécessite d’être en alerte”, admet-elle. “Le gouvernement a très clairement choisi un parti pris très dangereux du point de vue des libertés”. Pêle-mêle, elle évoque les atteintes au droit d’informer, ou encore l’interdiction de la contre-manifestation face à Génération Identitaire -groupuscule d’extrême droite pourtant dissous.

8marss7-5627.jpg

Sans vous ou avec nous

Les affrontements entre féministes n’auront pas la peau de la bonne humeur de Stella: “Cela nous donne l’occasion de se confronter à elles. Malheureusement, les médias ont préféré se tourner vers elles pour les interroger, plutôt que vers nous. Ils n’ont pas cherché à avoir notre version des faits”, se désole-t-iel. “De manière générale, il y a un développement médiatique autour du 8 mars [devenu un “marronnier” dans le jargon, NDLR] mais cela n’est absolument pas à la hauteur des évènements”, constate, effarée, Maéva. 

Peu avant 15h, ce 8 mars, le cortège marque un arrêt prolongé devant le Palais de Justice de Paris. Des "Darmanin, violeur, le peuple aura ta peau" se mêlent aux huées contre le ministre de l’Intérieur. Sur les marches du Tribunal, magistrat-es, passant-es et force de l'ordre observent le cortège féministe. Un manifestant fait passer à travers les barreaux d'une grille sa pancarte "Quand c'est non, c'est non". Il la laissera là. À coups de non-lieux et de classements sans suite, la Justice -à quelques rares exceptions- semble être restée imperméable aux changements de mentalité qui traversent la société. 

"Je suis pour l'abandon du régime totalitaire et politique qu'est l'hétérosexualité", lâche Léa. D'ici et là, on appelle à "brûler le patriarcat", à être "féministe, tant qu'il le faudra" ou faire la "révolution", rappelant que la pensée féministe -puisqu'elle appelle à un changement de l'ordre établi- ne peut se contenter de petits pas. "Révolution des femmes? Je ne crois pas. Mais les femmes, aile marchante d'une nouvelle révolution, oui! À coup sûr, oui!...", disait Gisèle Halimi dans La cause des femmes

Les militant-es féministes ont, cette année plus que jamais, rendu le sujet des inégalités et de l’ordre patriarcal inévitable. Pas sûr•es qu’iels attendront le 8 mars prochain pour que les institutions se penchent enfin sur la question. 


A Marseille, des mots forts

À Marseille, le week-end pré-8 mars avait déjà été consacré à la tenue de conférences, d’ateliers pancartes, chorales ainsi qu’à une marche de nuit féministe en non-mixité, le 7 mars au soir.

8MARS2021MARS-22.jpg

Ce 8 mars, le rassemblement était officiellement prévu pour 17h, mais le piquet de grève était annoncé dès 14h au vieux-port avec des stands et plusieurs ateliers. Deux messages collés au sol se reflètent dans l’Ombrière du Vieux Port : “Prenez nos plaintes, pas nos vies” et “Le problème ce n’est pas l’Islam, c’est Darmanin”. Chacun•e est invité•e à écrire et suspendre son message sur les fils suspendus à la structure.

8MARS2021MARS.jpg

Alors que le soleil commence à décliner, les prises de paroles s’enchaînent et une jeune femme lit l’appel du 8 mars au microphone : 

Cette période est marquée par la crise sanitaire mondiale, par la mauvaise gestion du gouvernement français, par les offensives sécuritaires, répressives et nationalistes, par l’augmentation des inégalités, des violences, de l’exploitation, de la précarité…

En conséquence, nous affirmons que nous ne voulons pas payer le prix de la crise sanitaire, économique et sociale et nous nous opposons aux politiques patriarcales et néolibérales.

Nous proposons dès à présent la mise en place d’un plan féministre de transformation et de reconstruction sociale.

Ce début 2021 est marqué par la libération de la parole des vitimes d’inceste et révèle ces violences sexuelles systémiques au sein de la sphère familiale qui est aussi le lieu des violences conjugales. La situation sanitaire et ses confinements successifs, ainsi que la précarisation qu’elle génère, renforcent ces violences. Nous constatons toujours l’inaction des pouvoirs publics face aux violences vécues dans le cadre familial. Nous exigeons les moyens et les structures nécessaires pour lutter contre ces violences. 

La banalisation des violences et le caractère systémique des oppressions est incarnée par Géral Darmanin, le ministre de l’Intérieur, accusé de viol et d’abus de pouvoir envers des femmes, responsable de l’organisation des répressions policières et à l’initiative d’une offensive idéologique raciste. Nous n’oublions pas non plus la complicité de la justice patriarcale dont le ministre Dupond-Moretti est connu pour avoir défendu des hommes accusés de violences sexuelles et pour ses sorties médiatiques anti-féministes.
Nous exigeons leurs démissions immédiates! 

8MARS2021MARS-10.jpg

Nous nous opposons à l’offensive sécuritaire du gouvernement. Nous exigeons le retrait du projet de loi “sécurité globale” dont l’objectif est d’institutionnaliser l’impunité policière, et du projet de loi “pour le renforcement des principes républicains” qui instrumentalise les luttes féministes à des fins nationalistes, racistes et islamophobes en stigmatisant et en visant directement les musulman•es. 

Face à un Sénat réactionnaire et à un gouvernement qui tente une loi au rabais, nous exigeons l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et aux hommes trans, la garantie de sa gratuité, une vraie réforme de la filiation et l’arrêt des discriminations transphobes et racistes dans l’accès aux gamètes. Nous luttons également pour l’arrêt des mutilations sur les enfants intersexes, pratiques condamnées à plusieurs reprises par l’ONU. 

Pour faire suite à l’adhésion massive à la pétition déposée contre la prise en compte des revenus du conjoint•e dans le calcul de l’Allocation Adulte Handicapé•e (AAH) (plus de 100 000 signataires), nous exigeons une réponse immédiate du gouvernement en faveur de cette proposition. De façon générale, nous réclamons une revalorisation de cette allocation, pour permettre aux personnes handicapées une existence indépendante et digne. 

8MARS2021MARS-13.jpg

Dans le monde, nous sommes 90% du personnel de caisse des magasins, de ravitaillement, 70% du personnel médical et de soutien et 67% du personnel d’entretien. Masse conséquente de travailleuses précaires, nous subissons au quotidien les violences sexistes et sexuelles en plus des violences économiques : salaires extrêmement bas, temps partiels, etc… 

La grève féministe est notre outil commun pour bloquer une société qui nous exploite, nous opprime et nous tue, pour bâtir un monde libéré de toute violence patriarcale et raciste. Sa dimension internationaliste est fondamentale. 

Construisons alliances, réflexions et mobilisations permanente par delà les frontières, occupons tous les espaces, soyon uni•es, visibles et solidaires”.

“Si on s’arrête, le monde s’arrête!” scande-t-elle, suivie d’un tonnerre d’applaudissements. Au loin, quelques policiers regardent la scène. 

L’heure est à l’occupation de la rue et le cortège s’élance pour remonter La Canebière.

8MARS2021MARS-16.jpg

Arrivée devant le commissariat de Noailles résonne un “Zineb! Zineb! On oublie pas ! On pardonne pas!” -le prénom de Zineb Redouane, une octogénaire marseillaise décédée à quelques pas de là, après que la police ait lancé une grenade lacrymogène dans son appartement lors de l’acte III des Gilets Jaunes en décembre 2018. Le cortège poursuit : “Tout le monde déteste la police!” .

8MARS2021MARS-21.jpg

Une petite ligne de quelques fonctionnaires se dresse boulevard Garibaldi mais se fait vite déborder par le cortège qui poursuit sa marche d’un pas décidé. Les policiers reculent avant de s’écarter complètement. 

Le cortège poursuivra sa route au rythme de chants, de paroles scandées en chœur, ou encore au bruit des casseroles martelées par d’autres femmes depuis leur balcon.

*Certains prénoms ont été changés. Les pronoms/pseudonymes ont été choisis par les personnes interviewées

©LaMeute - Jaya, Louesa et Mes

vnr (2).jpg

MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 7 personnes et environ 34h de travail.

- Photos : Corto, Jaya, JeanneActu, Smocke, Tulyppe;

- Texte : Jaya, Louesa, Mes

- Mise en page: Mes.

Aucun bénéfice n’est tiré de cet article. Vous pouvez toujours nous soutenir via notre Tipeee en cliquant sur le lien ci-dessous.