Marche pour Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise : le cœur battant de la lutte
Porté par un regain de soutien populaire venant de tout horizon, le collectif Justice & Vérité pour Adama Traoré a organisé samedi 18 juillet à Beaumont-sur-Oise (95) -conjointement avec le mouvement écologiste Alternatiba- la quatrième marche en souvenir du jeune homme décédé en 2016. Plusieurs milliers de personnes ont participé à l'événement, qui fait suite à de nombreux rebondissements dans cette affaire devenue symbolique. La famille souhaite à présent requalifier les faits en « violences volontaires ».
Ce samedi 18 juillet 2020 aux abords de la gare de Persan, en attendant le départ de la marche, « la reconstitution médusante » des conditions de l’interpellation et de la mort d’Adama Traoré du quotidien Le Monde et du groupe de recherche Forensic Architecture, est sur toutes les lèvres. « Elle vient illustrer l’histoire macabre et cynique des violences policières », lâche Johan, un militant parisien du mouvement écolo Alternatiba, qui co-organise cette année la marche. La vidéo d’une vingtaine de minutes, publiée la veille de l’évènement, apporte un éclairage nouveau sur le comportement des gendarmes alors que le jeune homme de 24 ans souffrait de détresse respiratoire sur le sol de la cour de la gendarmerie de Persan. Devant une nuée de journalistes, Assa Traoré –la grande sœur d’Adama– annonce un nouveau temps fort du combat judiciaire mené par la famille : la demande de requalification des faits en « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ».
La marche commémorative a réuni, une fois de plus, plusieurs milliers de personnes venues de toute l’Ile-de-France à Beaumont-sur-Oise.
Face aux aléas des transports en commun, plusieurs mairies et organisations avaient anticipé en allouant des bus qui assuraient aux manifestant·es leur présence. Au départ de Paris, le bus d’Alternatiba -et ses 69 places- est plein. Les tee-shirts verts du mouvement né en 2013 à Bayonne se mêlent aux tee-shirts réclamant «Justice pour Adama».
Après quatre années de mobilisation sur plusieurs fronts, le comité Justice et Vérité pour Adama rassemble au-delà des victimes de violences policières.
« Assa était d’ailleurs présente lors de la Marche du Siècle », ajoute spontanément Johan.
#OnVeutRespirer : alliances vitales
Pour la première fois, la marche pour Adama Traoré était co-organisée par une organisation écologiste, sous le mort d’ordre « On veut respirer » : une double référence à l’air pollué et aux techniques d’immobilisation létales utilisées par les forces de l’ordre. « C’est vrai que le ton change un peu », admet le jeune homme d’Alternatiba. « On ne peut plus continuer le combat écologique sans affronter la question des quartiers populaires ».
L’alliance en a visiblement étonné plus d’un. Alternatiba s’étonne « des trolls et des haters » des réseaux sociaux qui leur ont reproché ce rapprochement avec le Comité pour Adama. « Pourtant, c’est le même système qui nous opprime. Les habitant·es des quartiers populaires sont les premier·es touché·es par les logements insalubres et la précarité énergétique. On ne peut pas vraiment dire que l’écologie soit un truc de bobo… », résume Sixtine, porte-parole d’Action Climat Paris.
Réuni·es le mercredi 15 juillet lors d’une table ronde, des militant·es et spécialistes ont longuement vulgarisé les concepts d’écologie populaire et de racisme environnemental. L’aménagement urbain, la proximité des axes routiers et la disparition de l’hôpital public jouent le rôle de facteurs aggravant dans l’exposition des habitant·es à une surmortalité liée aux conditions de vie. Une alliance qui leur semble alors logique. « Cela fait plus d’un an qu’un dialogue s’est mis en place avec le Comité Justice pour Adama », explique Johan, qui salue le travail du Comité pour Adama pour rendre ces alliances possibles.
En 2019, déjà, le 36ème acte des Gilets Jaunes s’était tenu dans le Val-d’Oise. Dans le fond du bus, ce samedi également, quelques personnes appartenant au mouvement : « On est toujours là ! », déclare fièrement l’un d’eux. Arborant lors de la marche un tee-shirt « Justice pour Adama » en dessous de son gilet jaune, Françoise remarque que « le combat pour la Justice et l’égalité sociale ne sont pas dissociables ». Aux abords de la gare de Persan, un comité de sans-papiers est accueilli sous les applaudissements.
La force acharnée du Comité pour Adama
Le Comité, habitué à avancer seul face aux institutions vient d’arracher de nouvelles investigations judiciaires. Aux lendemains du rassemblement devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, c’était un témoin clé de l’affaire qui était enfin entendu par les magistrat·es pendant plusieurs heures. Un rassemblement massif plus tard, le 13 juin, ce sont cette fois-ci 17 nouveaux éléments qui seront versés au dossier [une expertise médicale réalisée en Belgique dénoncée par la famille et, la recherche de nouveaux témoins oculaires en autre, NDLR]. « Il n’y a jamais eu d’enquête dans l’affaire de mon frère », tranche Assa Traoré.
Ce travail de longue haleine a été récompensé par la remise du BET Award à Assa Traoré en fin de journée. Mais ces victoires arrachés ne sauraient masquer ni l’amertume, ni l’émotion ressentie par la famille. Plusieurs fois ce samedi 18 juillet, on pense à Bagui Traoré, « en deuil, enfermé en prison, et qui ne peut être là aujourd’hui », rappelle un membre du Comité avant de fondre en sanglot.
Le cortège de la marche passe près des lieux où Adama a vécu ses derniers instants : la gendarmerie de Persan et l’appartement où il a subi un placage ventral selon les premières déclarations des gendarmes. « Bravo à vous tous·tes d’être là ! Malheureusement, il y a des nouveaux noms sur de nouveaux tee-shirt », déclare-t-on quelques mètres plus loin.
La marche pour Adama est une nouvelle occasion de mettre en lumière les autres victimes de violences policières. De la conférence de presse au cortège de tête : les familles de victimes sont mises en avant.
« Je me sens moins seul », avoue Khalil Choubi, qui a perdu son fils à Argenteuil en mai dernier. La mobilisation de ces deux familles, d’ailleurs, se ressemblent : une organisation autonome menée par une nouvelle génération de militant·es.
Dans le cortège, une jeune fille du collectif Génération Consciente nous tend un modèle de lettre à envoyer aux député·es pour réclamer une prise de position franche sur le sujet des violences policières. Le collectif s’est créé au lendemain du rassemblement du 2 juin, par des jeunes de Paris et de Petite Couronne. Le combat du Comité sème des graines.
Le festival Adama : une lutte de terrain
Françoise, syndicaliste à la retraite, balaye la foule qui prend place en fin d’après-midi sur la pelouse de la Plaine des Grands Jeux, près du quartier de Boyenval. Après la marche commémorative, des concerts viennent clôturer cette journée de mobilisation : le « Festival Adama ».
« C’est une belle réussite », souffle-t-elle.
Une exposition murale revenait également en photo sur les quatre ans de lutte du Comité tandis qu’ Hatik, Abd al Malik, Jok’Air, Mallaury -pour ne citer qu’ elleux- se succédaient sur la scène pour « le 1er festival de France » depuis la fin du confinement, comme s’est amusé à rappeler le rappeur Youssoupha, l’hôte de ce début de soirée. « Nous avons besoin de joie dans la lutte. Sinon, on ne tient pas », confie Assa Traoré.
Poings levés, feux d’artifices et habitant·es penché·es à leurs fenêtre pour applaudir : dès l’arrivée du cortège dans le quartier de Boyenval où a grandi Adama Traoré, le Comité s’est attaché à rappeler que le combat Adama est avant tout un combat local -par les siens pour les siens, de la distribution de colis alimentaires à l’organisation de la mobilisation depuis le 19 juillet 2016.
Boyenval, Beaumont-sur-Oise, et ses quelques dix mille habitant·es n’oublieront jamais qu’Adama était l’un des leurs.
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