Brigades de Solidarité Populaire, la Belgique prépare l'après

Des brigadistes préparent les colis alimentaire au Dk, à Saint-Gilles ©LaMeute-Moulinette

Les perspectives d'avenir post-coronavirus auront fait couler beaucoup d'encre tout au long de cette crise sanitaire inédite. Si beaucoup se sont contenté·es de le penser, d'autres se sont remonté·es les manches, dès le début du confinement, pour agir et préparer cet avenir à la hauteur de l'urgence ; en étant solidaires et auto-organisés. Bien conscientes des répercussions de la crise sanitaire sur les crises sociales et économiques déjà en cours, chaque Brigade de Solidarité Populaire entend répondre aux besoins spécifiques de sa commune d'action.

A Bruxelles, la brigade de Saint-Gilles voit le jour mi-mars et compte désormais une centaine de brigadistes bénévoles en son sein. A Liège, l'initiative est lancée dans le courant du mois d'avril et regroupe quant à elle une cinquantaine de personnes actives. Reportage et diapo-sonore en Belgique.

« Par le peuple, pour le peuple »

Avec « Seul le peuple sauve le peuple » comme slogan, l'objectif des Brigades de Solidarité Populaire est clair et sans appel ; il s'agit d'assurer un soutien moral, matériel et administratif aux populations locales en cas d'urgence de toute nature. L'idée originelle voit le jour en Italie pour venir en aide aux victimes du séisme survenu dans le centre du pays en 2016 ou encore sur l'île de Lampedusa, premier territoire européen que rencontrent les exilé·es parti·es des côtes africaines. Elle se prolonge jusqu'en 2018, année de l'effondrement du pont Morandi à Gênes. En réponse à ces drames, l'organisation des milieux militants, et notamment antifascistes, a permis de soulager la détresse des populations touchées et/ou plus généralement dans le besoin.

Au début de l'année 2020, alors que les gouvernements occidentaux arrosent de mépris la gravité de la situation liée à la propagation du coronavirus, les mort·es se succèdent tragiquement en Italie. La réorganisation des brigades apparaît donc comme une évidence et prend rapidement effet à Milan. Suite à un appel international, leur nombre explose en Europe, témoignant d'un réel besoin d'entraide populaire à grande échelle. Aujourd'hui, on dénombre plus de 53 brigades dans le monde, dont 4 en Belgique (Saint-Gilles (Bruxelles), Liège, et plus récemment Schaerbeek (Bruxelles Nord) et Watermael-Boitsfort (Bruxelles Sud-Est)). Grâce aux dons de particuliers et de certains magasins, plus de 900 colis ont pu être livrés entre Liège et Bruxelles depuis la mise en place des brigades, palliant à l'inaction gouvernementale et communale tout en faisant face aux besoins alimentaires et sanitaires de plus de 230 foyers précaires.

Les différentes brigades sont en contact permanent, d'une part pour encourager le débat, de l'autre pour encadrer la coordination d'actions politiques communes. Car si l'action est pratique, l'enjeu est éminemment politique et internationaliste. Comme socle commun, une critique radicale du système néolibéral en place, duquel les brigades sont le total contre-pieds idéologique. Leur travail s'inscrit aux antipodes d'un fonctionnement basé sur l’intérêt privé, la recherche incessante de profit et s'articule autour de questions telles que la réappropriation de l'autonomie alimentaire, de l'éducation populaire, de l'accès au logement etc…

Cela n’empêche pas à chaque brigade de garder sa propre marge de manœuvre, comme le souligne une brigadiste liégeoise : « Sur le logo des brigades, il y a une étoile rouge dans le masque. Nous on a décidé d’enlever cette étoile parce que les gens pensaient qu’on était le PTB [Ndlr :Parti du Travail de Belgique, extrême-gauche] ; leur étoile est située au même endroit. C’est un parti qui fait encore de bons scores à Liège alors il valait mieux la retirer. ». Il en va de même quant à l’autonomie et l’indépendance au niveau politique : « Si quelqu’un veut venir nous aider et qu’il fait partie d’un parti, on ne lui dira pas de partir, mais on ne voudra pas qu’il parle de la brigade à travers ce parti. On ne veut être affilié·es à aucun parti. » ajoute-t-elle.

A Bruxelles comme à Liège, des structures pré-existantes se sont alors fédérées autour des brigades, créant un point de ralliement pour militant·es de tous horizons, actif·ves sur différents terrains de lutte. « A Saint-Gilles, il y a l’association No Javel qui existe depuis 2016 et qui lutte contre le gaspillage alimentaire. On a croisé nos réseaux et de fil en aiguille, on a pu toucher un public plus large. » raconte un des initiateurs de la brigade de Saint-Gilles. La mise en commun des forces de chacun.es a permis aux brigades d'étendre leur marge de manœuvre à des combats variés tels que la grève des loyers, la santé en lutte ou la distribution de masques aux travailleurs·ses exposé·es, en plus des récoltes et livraisons de dons alimentaires et hygiéniques. De plus, les brigades étant ouvertes à tous·tes, les profils de personnes engagées sont socialement divers, ce qui a pour effet de décroître la fracture sociale et d'accroître la solidarité de classes.

Des mains et des oreilles


Jeter l'ancre dans le temps et l'espace

Un autre aspect primordial pour la durabilité du projet ; l'ancrage territorial. Pour cela, les brigadistes mettent un accent tout particulier sur la création de lien social avec les personnes livrées. Grâce aux permanences tenues quasiment chaque jour, les habitant·es du quartier ont la possibilité de se réunir en un lieu fixe commun.

A Bruxelles, ce point de repère est situé au DK, un lieu collaboratif au cœur du quartier encore populaire de Saint-Gilles. A Liège, c'est le centre social autogéré Entre-Murs Entre-Mondes qui sert de point de ralliement. Dans les deux cas, les personnes investies dans ces lieux proposent une aide permanente pour qui en aurait besoin. Des initiatives comme la mise à disposition de bases de données listant les associations à contacter en cas de difficultés dépassant le pouvoir d'action des brigades se sont développées avec le temps. Il est également possible de récupérer des dons vestimentaires, alimentaires et hygiéniques directement sur place.

Dans le cas de Liège, la création d'une Brigade de Solidarité Populaire vient s'ajouter à l'arsenal de services déjà proposés sur place (aide aux devoirs, free shop...). A Bruxelles, elle centralise les forces entre les murs du DK : «C'est un lieu stratégique parce qu'il est vraiment au cœur du quartier et qu'il peut rassembler du monde. Plusieurs initiatives y sont déjà proposées comme une boutique de lutte avec une épicerie et la bibliothèque La Grue.» explique un brigadiste bruxellois.

Les brigadistes deviennent les mains et les oreilles du quartier dans lequel ils s'ancrent peu à peu, apportant un soutien humain durable rarement attribué aux instances institutionnelles. Cet engagement a vocation à se pérenniser bien au delà de la crise du coronavirus, qui n'aura été que l'élément déclencheur d'une vague de solidarité inépuisable. Cette crise aura été révélatrice de profondes disparités économiques et sociales, mais aura également mobilisé des milliers de personnes, de Milan à Bruxelles en passant par Genève (Suisse) ou Quito (Equateur). Les Brigades de Solidarité Populaire du monde entier sont le miroir de la société de « l'après », déjà bien amorcée au moment où ces lignes sont rédigées. Cette société-là n'attend plus de réponse politique pour agir, elle est basée sur l'autonomie, la force de ses volontaires et fonctionne horizontalement. C'est un véritable front commun mondial prêt à anticiper les crises à venir, mais aussi à faire barrage à l'extrême droite, autre poison diffus à éradiquer.

Mise à jour juillet 2020 :

Depuis la fin de ce reportage, les choses ont un peu changées pour la brigade de Liège. Au matin du 29 juin 2020, la police anti-squat fait brutalement irruption dans le centre social, prétextant une application de la loi anti-squat, et ce malgré un accord des occupant.es avec le propriétaire. La menace d’une expulsion pesant au dessus des têtes, les activités de la brigade ont du être ralenties.

Du côté de Saint-Gilles, à Bruxelles, les brigadistes sont toujours au travail et se sont adapté·es à la reprise du travail pour beaucoup d’aidant.es. Pour éviter le manque de dons ou, plus globalement, l’essoufflement de la vague, la coopération avec les structures existantes dans le quartier s’est renforcée et les membres réfléchissent perpétuellement au renouvellement de leurs activités.


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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 1 mois de travail cumulé.

Texte et Mise en page : Moulinette;

Relecture: Mes;

Photos: Moulinette;

Montage : Jeanne Savignat; Moulinette

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