Marche des soignant·es du 16 juin : Ségur à cuire

L’agressivité du dispositif policier a de nouveau provoqué la colère des manifestant·es. ©Lameute - Kaveh

L’agressivité du dispositif policier a de nouveau provoqué la colère des manifestant·es. ©Lameute - Kaveh

La première manifestation autorisée du "monde d'après" se tenait ce mardi 16 juin à Paris, pour soutenir l’hôpital public. Pourtant, les revendications des soignant·es, elles, n'avaient pas changé : hausse des moyens, des effectifs et des salaires. Une hausse, en réalité, de tout ce qui a baissé depuis des décennies, au terme d’un dépouillement des services publics.

Personne -pas même la préfecture de Didier Lallement- ne pouvait refuser le droit aux soignant·es et au personnel hospitalier d'enfin -trois mois après le confinement annoncé en raison du coronavirus- gueuler leurs revendications à la porte d'Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé. Et ce, en plein “Ségur de la Santé”, grande concertation pluri-professionnelles organisée par le gouvernement, et dont les conclusions -attendues de pied ferme avec méfiance- devraient être annoncées à la mi-juillet.

C'est donc à partir de l'avenue de Ségur dans le VIIe arrondissement, à l'encablure de laquelle trône le ministère de la Santé, que le cortège -bien fourni- s'est élancé aux alentours de 14h. La foule de blouses blanches a pris la direction des Invalides, portée par un élan nouveau. En effet, sous les ballons des camions syndicaux, banderoles et pancartes étaient brandies avec un ton différent de celui des manifestations pré-confinement : les travailleur·ses de la santé ne supplient plus. Canonisé·es par la crise du Covid-19, iels sont en position d'exiger.

Populaires mais isolé·es : le paradoxe des soignant·es

Néanmoins, en dépit de leur nombre honorable pour une manifestation uni-sectorielle [18 000 participant·es rien qu’à Paris, selon la préfecture; la CGT n’avance aucun nombre, NDLR], les soignant·es n'ont pas assisté au raz-de-marée de soutien populaire que certain·es espéraient.

Dans leurs rangs on retrouvait, bien sûr, syndicalistes acharné·es, cheminot·es, nuit-deboutistes, gilets jaunes et la désormais célèbre “nébuleuse d’ultra-gauche” -mais le compte n'y est pas : où sont passé·es tou·tes les applaudisseur·ses ? Pourquoi l'ancienne foule des balcons -désormais foule des terrasses- n'a-t-elle pas fait le déplacement ?

Plutôt que de verser dans l'amertume, supposons que l’actualité a bousculé l’agenda militant et politique. Après une semaine précédente forte en rassemblement, la fatigue est inévitable. Le choix du quartier n'a pas aidé non plus. Bien sûr, le VIIe arrondissement n'a jamais été particulièrement animé. Et, vidé de ses touristes et de ses habitant·es fortuné·es -qu'on suppose réfugié·es en villégiature- c'est un petit désert. Le trajet -court- principalement isolé au milieu de bâtiments officiels, a vite pris des allures de tour d'honneur sans spectateurs·rices.

En janvier 2020, la vidéo d’un CRS faisant un croche-pied à une infirmière avait provoqué un tollé. La manifestation du 16 juin a aussi connu une fin houleuse. ©Lameute - Kaveh

En janvier 2020, la vidéo d’un CRS faisant un croche-pied à une infirmière avait provoqué un tollé. La manifestation du 16 juin a aussi connu une fin houleuse. ©Lameute - Kaveh

Sous les pavés, la BRAV

En résulte une journée en demi-teinte qui rappelait, hélas, cruellement le “monde d'avant” : la voix des soignant·es, malgré leur impressionnante popularité, semble toujours aussi étouffée. Une situation paradoxale et frustrante à laquelle une énième charge sur l'esplanade des Invalides n'a pas changé grand chose. Charges et contrecharges se sont alternées quelques heures avec férocité, comme le veut la tradition, sans objectif précis ni concertation préalable avec le personnel hospitalier. Même si les nombreux sourires complices échangés feront mentir les discours inventant une séparation étanche entre blouses blanches et k-ways noirs, difficile de nier que ce mardi, l'esplanade fut divisée en deux pôles qui communiquaient, certes, mais bien trop timidement.

Sur l’esplanade, la police profite de cette désorganisation pour oser les manœuvres les plus improvisées. Avec succès, lorsqu’un policier n’hésite pas à quitter sa ligne pour interpeller une infirmière en colère au milieu de la foule, puis, un quart d'heure d’après, un photographe pas suffisamment à distance. Avec déconvenue aussi, lorsque le dernier flic d’une colonne traversant la place au pas de course trébuche, et se retrouve aussitôt encerclé. Un peu plus tard, c’est même la BRAV-M, aventurée trop loin de ses bases, qui se retrouve carrément prise en chasse, et sauvée in-extremis par les grenades de leurs collègues.

Alors que la place se vide progressivement, le bloc de tête se plaint des syndicats; les syndicats accusent les casseur·ses; et la police, gaze tout le monde. Oui, vraiment, rien n'a changé. Ni les revendications légitimes, ni les blessures, ni les interpellations à tour de bras, ni la BRAV-M en roue libre, ni l'odeur de lacrymo qui colle aux vêtements.

Youpi, c'est le déconfinement ! Mais en dépit d’une colère qui déborde, certaines choses ne changent pas.

Face à une ligne anti-émeute, un gilet jaune et un medic protègent l’évacuation d’un.e blessé.e. ©Lameute - Kaveh

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PORTFOLIO

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La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 14h de travail cumulées.

Texte : Kaveh;

Photos : Kaveh;

Relecture : Mes;

Mise en page : Kaveh;

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