La diaspora libanaise, cœur vaillant

Aux lendemains de la double explosion meurtrière à Beyrouth, les membres de la diaspora libanaise de France ont organisé, dans l’urgence, la collecte de dons et l’envoi humanitaire des produits de premières nécessités. Au même moment, les rassemblements aux abords de l’ambassade du Liban se sont multipliés pour fustiger la négligence de l’Etat. Une mobilisation générale spontanée pour signifier qu’ils n’attendent plus rien du gouvernement en place.


La canicule, qui a encore atteint des records, touche doucement à sa fin. Enfin, l’air est respirable dans la capitale. Il n’empêche, cela fait deux week-ends que Sasha reste enfermée chez elle. Son appartement est devenu l’un des deux points de collecte mis en place par « Sciences Po Pour le Liban » : une « initiative étudiante spontanée » créée par une quinzaine d’élèves, comme l’explique précautionneusement la jeune fille de 24 ans. Ce jour-là, jour de collecte, trois ami·es lui tiennent compagnie au milieu de gros sacs. Ils contiennent des vêtements et chaussures d’hiver qui attendront que le temps se rafraîchisse. « Le premier dimanche de collecte a été fou », confie Sasha Moujaes, photos de son appartement métamorphosé par des valises pleines à craquer à l’appui. « Les compresses, les pansements, les antidouleurs, les serviettes hygiéniques et les couches pour bébé », sont déjà partis pour le Liban. « Il s’agit de produits dont les prix ont flambé avec l’inflation. Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le pays s’effondre... Et cela a été exacerbé par l’explosion », déclare-t-elle.

Photo transmise par Sasha

Après six ans passés en France, Sasha a un pied ici, un pied au Liban. A la fin de son master de science politique spécialisé sur le Moyen-Orient et la Méditerranée, elle aurait dû en théorie retourner voir sa famille. Mais « ma mère m’a dit que je leur rendais service en restant à Paris », indique-t-elle. Alors, pour se rendre utile, des étudiants de Sciences Po (« Des étudiant·es Libanais·ses et non Libanais·ses », précise Sasha) ont décidé de mobiliser leur réseau. Une cagnotte en ligne a servi, dans un premier temps, à acheter quelques médicaments disponibles sans ordonnance. Le reste sera distribué à des associations ancrées localement au Liban. Les dons matériels eux, ne restent qu’un temps chez Sasha. Les produits  collectés sont ensuite confiés à l’association «Les valises pour Beyrouth», qui centralise les dons sur Paris. « On dirait une start-up !», s’exclame Adrien, un ami de Sasha franco-libanais. « Le travail qu’iels font est exceptionnel », précise-t-il, plus sérieusement.

« Les valises pour Beyrouth », c’est un concept simple et un succès fulgurant. 142 valises débordantes de médicaments et de vêtements -d’après le dernier décompte publié sur leur compte Instagram (suivi par plus de 3000 abonné·es), 300 bénévoles, une cagnotte et, déjà, une pause de quelques jours pour faire face à l’affluence des dons. « J’ai le nez dans les valises et les cartons toute la journée », confesse Aya Mcheimeche. Avec Youmna Geday et Jessica Nassif, les trois femmes ont eu l’idée de « surcharger les voyageurs à destination de Beyrouth en leur confiant une ou deux valises remplies de dons ». Sur place, une dizaine de bénévoles beyrouthins font « des va et viens jusqu’à l’aéroport pour réceptionner » les valises. Jusqu’à présent, les compagnies aériennes ont joué le jeu en ne facturant pas les suppléments bagages à destination de Beyrouth. Mais Aya Mcheimeche ne se fait pas d’illusion, et sait que cette générosité est temporaire.

Après une pause de quelques jours, la réception des dons –dans un local parisien prêté jusqu’au 23 août par des ami·es- ont repris. « La générosité des gens a dépassé toutes nos attentes », glisse, émue, Aya Mcheimeche. Montée au lendemain de « la bombe » comme l’explique la co-fondatrice (une « habitude de langage » plaide celle qui est, par ailleurs, experte en communication des groupes terroristes de profession), l’association a rapidement pris de l’ampleur. La dizaine de membres, qui font partie de l’aventure depuis le tout début, sont à présent en recherche de stabilité et attendent patiemment d’être publié au JOAFE [Journal Officiel des Associations et Fondations d’Entreprises, NDLR]. « C’est tout nouveau pour moi !», explique-t-elle. Mais nul doute que son métier a dû l’aider à gérer la crise qui frappe sa ville natale. Lundi 17 août, Les Valises pour Beyrouth ont envoyé un cargo pour la première fois. Une voie à suivre selon elle, pour acheminer d’autres types de produits, et contribuer à la reconstruction de la ville.

 

« Mon corps et mon âme sont là-bas »

 

« Nous voulons à notre échelle, être acteurs et actrices…pour ne pas devenir fous ». La déflagration, et sa forme de champignon recouvrant le quartier du port de Beyrouth, est une de ses images qui ne s’oublient pas. Aya Mcheimeche, franco-libanaise, se souvient avoir tourné en rond, bêtement, courses à la main dans un supermarché. Le choc lui a fait prendre conscience du temps passé : cinq années passées en France. Pourtant, « mon corps et mon âme sont là-bas », lâche-t-elle.

Aux abords de l’ambassade du Liban à Paris le dimanche 16 août, lors d’un rassemblement de soutien, les slogans visant la classe politique (« Tu démissionnes ou tu cautionnes !», pour la version francophone) font régulièrement place à des minutes de silence émues. Beaucoup de Libanais·ses présent·es ce jour-là sont lovés dans le drapeau tricolore.

Camille, étudiante libanaise à Sciences Po Paris, était à 10km à l’est de Beyrouth le soir de l’explosion. Ce soir-là, c’était soir de sortie, après un confinement temporaire de trois jours pour ralentir la pandémie de Covid-19. « Beaucoup ont pensé que c’était un tremblement de terre… Toutes les vitres de ma maison ont été soufflées. Celles de mes voisins aussi.», décrit la jeune fille de 23 ans. « Des proches ont cru que c’était un bombardement ! », renchérit Sasha. Très vite les échanges avec la famille se font rares. Voire inexistants. Le réseau est saturé. Pour Sasha, c’est un message de son petit frère à Beyrouth qui la prévient de la catastrophe. Puis, plus de nouvelles avant la nuit tombée. « Ma sœur a été blessée au bras par des débris de verre. Une partie de la maison a pris cher. Mon frère, lui, est en forme. Il est sur le terrain pour aider les habitant·es », affirme-t-elle.

Il leur faudra, le temps venu, reconstruire le Liban –ce pays parfois décrit comme un joyeux bordel confessionnel. « Ce n’est pas possible d’essentialiser le Liban », prévient Sasha Moujaes. « Il y a encore peu, il n’y avait même pas de conscience collective nationale. Et puis, il a eu la Révolution d’octobre 2019».

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Pour eux, par eux

 Selon le bilan de l’Insee, il y avait en 2017, 37 600 personnes nées au Liban sur le territoire français. Ce nombre ne prend pas en compte tous les « Libanais, franco-libanais, libano-quelque chose » qui composent l’équipe bénévole des Valises pour Beyrouth. Chez Sasha également, on y perd facilement le fil. Franco-libanais, français d’origine libanaise, franco-palestinienne avec des attaches à Beyrouth : les ami·es de Sasha ont toustes -officiellement ou officieusement- quelque chose de Beyrouth en eux. « Ce qui définit le peuple libanais, c’est la volonté de vivre », lâche Yasmeen.

C’est cette diaspora au sens large qui s’est mobilisée au lendemain du 4 août, affichant vivement sa volonté d’indépendance. L’association Les Valises pour Beyrouth brandit le terme « apolitique » pour signifier qu’iels ne seront « jamais rattaché à un parti, même si nous recevons une proposition pour faciliter l’acheminement des dons. Ce serait trahir les Libanais de France », déclare Aya Mcheimeche. Même son de cloche concernant la classe politique française  -Emmanuel Macron en tête, dont le bain de foule à Beyrouth a fait grand bruit. Une pétition réclame même la restauration du mandat français.  « Le mandat ? Non merci : on a déjà donné ! », réagit Aya. « Les Libanais·es n’ont tellement plus confiance dans leurs dirigeant·es qu’iels en cherchent ailleurs », analyse-t-elle. Mais, pour Sasha, « ce n’est pas une relation basée sur l’amitié et la réciprocité. Et beaucoup de gens en ont conscience ».

« Notre message c’est : s’il vous plaît, ne donnez rien aux entités gouvernementales », poursuit-elle. « Par le passé, le gouvernement libanais a déjà reçu des dons dont on en a jamais vu la couleur », abonde-t-on du côté des Valises pour Beyrouth. Les deux collectifs promettent, chacun de leur côté, de documenter l’utilisation faite de l’argent envoyé. Les différentes cagnottes seront redistribuées à des ONG. Du côté de Sciences Po Pour le Liban, qui prévoit d’élire les associations après un vote en interne, on affiche le ton : « on va privilégier des associations de terrain, qui ont un réel impact et dont on a les preuves de comment sont utilisés les dons. Pas des mastodontes ». Comme des associations en soutien aux travailleuses domestiques (souvent des femmes) soumises au régime du « Kafala » : un permis de résidence directement lié et conditionné à un contrat de travail. Amnesty International dénombre plus de 250 000 travailleuses domestiques au Liban, souvent originaires d’Afrique et d’Asie qui vivent sous le joug de leur employeur. « On les choisit sur un catalogue… », dénonce Adrien.

 

Cette fois-ci, « l’ardoise ne pourra plus être effacée »

 

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La mobilisation de la population libanaise suite à l’explosion n’est que la partie immergée de l’iceberg. « On définit souvent le peuple libanais comme résilient. Cela est vrai, mais ce n’est pas par choix », débattent les ami·es de Sasha. « C’est une manière de minimiser la gravité de la situation : ‘Oh les Libanais ils en ont vu d’autre… », commentent-elles.

Depuis les manifestations d’octobre 2019, c’est non seulement la classe politique en place mais également le régime qui est mis en cause. « Le système électoral est confus, même pour les Libanais », remarque Camille en soufflant. Dans les faits, le pays est appelé à voter pour l’élection des députés [en très grande majorité : des hommes, NDLR]. C’est ce même Parlement qui élit ensuite les membres du gouvernement selon une logique confessionnelle : chaque confession doit être représentée par un homme ou une femme politique. Un système « criminel » selon les pancartes brandies lors des rassemblements. Un système qui « favorise le clientélisme » pour Sasha Moujaes.

« De manière générale, il y a un ras-de-bol envers toute la classe politique. A chaque scandale, on efface l’ardoise et on recommence. Mais après l’explosion, l’ardoise ne pourra plus s’effacer », résume Aya Mcheimeche, depuis la France. De Paris à Badaro –le quartier beyrouthin où réside la famille d’Aya, une même revendication : l’amélioration des conditions de vie des Libanais·es. « Je crois que le but pour tout membre de la diaspora, c’est de rentrer. Mon père, ça lui a pris 20 ans…», confie-t-elle. « Nous aussi, on finira par rentrer. Mais on va devenir exigeants ».

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La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 14h de travail cumulées.

Texte et photos : Mes ;

Mise en page et iconographie : Graine ;

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