Generation Hate : Trois identitaires jugés à Lille pour incitation à la haine et violences xénophobes

Ce mardi, trois identitaires ont dû répondre de leurs actes devant le TGI de Lille. Mis en cause par le reportage “Generation Hate” d’Al Jazeera diffusé en septembre 2018, ils étaient entendus pour l’agression raciste d’une adolescente ainsi que pour des faits d’incitation à la haine et de provocation directe à un acte de terrorisme pour deux d’entre eux.

A la barre se succèdent Rémi F., 33 ans, Etienne V., 24 ans et Guillaume D., 32 ans. Trois ans après les faits -qui avaient été filmés en caméra cachée par un journaliste infiltré, les jeunes hommes connus dans le milieu identitaire lillois, ont la mine basse. La victime de l'agression, absente en ce jour et âgée de 14 ans aux moments des faits, est représentée par le Conseil Départemental du Nord.

Côté parties civiles, 6 associations dont le CCIF, SOS Racisme ou encore l'association Identité Plurielle ont répondu présentes.

Propos néonazis et passage à tabac

Rémi F. est le premier interrogé. L’homme, qui semble peu à l’aise dans ses Sambas face au président Ludovic Duprey, risque la plus lourde peine. Dans le reportage d’Al Jazeera, on le voit fumant une cigarette dans la cour du local identitaire La Citadelle, à Lille. Avec un large sourire aux lèvres, il lance : « Le jour où je sais que j’ai une maladie incurable mec, je m’achète une arme et je fais un carnage (…) contre une mosquée, n’importe quoi. », « Même une voiture bélier, je prends ma voiture et BAM ! ». Il prétend ensuite vouloir viser le marché de Wazemmes, car : 

« C’est là où tous les "gnoules" de Lille vont. ».

Etienne V. -alias “Le Roux”- se voit reprocher des propos néonazis, eux aussi filmés par le journaliste infiltré dans un bar de la rue Masséna à Lille. Accoudé au zinc, il salue ses amis d’un « Heil Hitler gros ! » puis trinque « au Troisième Reich ». Il poursuit en évoquant un récent voyage à Hambourg au cours duquel il aurait provoqué des militants antifascistes : « Fils de putes d’antifas ! (…) A San Pauli j’ai fait n’importe quoi : croix gammées sur les bars (…), je me suis fait arrêter par la police. ».

Ce n’est que peu de temps après, qu’intervient le troisième prévenu, Guillaume D. -à l’époque employé comme vigile dans un bar voisin sans aucune qualification. La séquence, qui se déroule rue Masséna aux alentours de 23h, montre les identitaires allant au contact d’un groupe de jeunes d’origine maghrébine, dont l’une d’entre elleux aurait demandé une cigarette. La situation se tend rapidement, Guillaume D. intervient et asperge l’adolescente et son ami de gaz lacrymogène à deux reprises, « à des fins de distanciation » selon ses dires.

Rémi F. se rue ensuite sur l’adolescente et l’assène de coups de poings sur le crâne à l’aide d’un gant renforcé. La scène, très relayée médiatiquement, avait choqué le plus grand nombre.

Capture d’écran de la séquence du passage à tabac de la jeune fille

Ivres d’alcool et de violence

« Quand j’ai bu, je suis débile. » regrette Etienne V., également connu dans la région comme membre de la LOSC Army, un groupe de hooligans d’extrême-droite lillois. Il assure ne se souvenir de rien quant au passage à tabac de la jeune fille : 

Etienne V., filmé en caméra cachée par le journaliste d’Al Jazeera dans un bar de la rue Masséna.

Etienne V., filmé en caméra cachée par le journaliste d’Al Jazeera dans un bar de la rue Masséna.

« Si la vidéo n’était pas sortie, je ne me rappellerai pas des faits. ».

Sur les propos néonazis, il prône la « déconne » et se dit « étranger au régime nazi » : « L’alcool ne justifie pas tout, mais j’aime bien me faire mousser. ». Le jeune homme a la tête baissée, il peine à trouver ses mots. Rémi F. est appelé à la barre un court instant, il défend son comparse : « Il a toujours été comme ça, c’est un déconneur ! ».

Questionné sur son voyage à Hambourg, il avoue avoir menti à ses camarades : il n’a jamais été arrêté par la police locale comme il s’en vante. Pourquoi ? « Pour me faire mousser. » réplique-t-il quasi mécaniquement. Le président enchaîne : « Peut-on dire que vous avez une aversion pour les antifas ? ». « Oui, c’est ça », admet-il.

Pour Rémi F., même coupable : l’alcool. « J’étais complètement ivre, j’ai voulu me faire mousser. », au sujet de ses fantasmes d’attaque terroriste. Sur les faits de violences volontaires, il plaide le mal-être : « Ces faits se sont passés dans une période où j’allais pas bien, je venais de me faire larguer et agresser. ». L’agression qu’il dit avoir subie un an avant les faits aurait engendré en lui « un début de haine » et l’aurait poussé à vouloir se défendre.

Concernant l’agression de la jeune fille, il fabule : « Elle avait une bouteille dans la main et la mode était au jet d’acide, on en parlait dans les médias. ». Les extraits vidéos repassés à de multiples reprises par la Cour dément formellement cette version, l’adolescente n’ayant aucune bouteille dans les mains au moment de son agression.

Le président s’inquiète : « Était-ce satisfaisant pour vous ? Ça vous a fait du bien de la frapper ? ». L’intéressé semble bloqué sur place. Il ne répondra pas.

Autre argument avancé par Rémi F., habitude très populaire de l'extrême-droite : la manipulation médiatique. Pour son avocat, Me Cattelin-Denu : « Toutes les interprétations sont possibles quand on regarde une vidéo. » et accuse un montage trompeur. Une mise en doute de la presse dénoncée par l'avocate de l'association Identité Plurielle constituée partie civile : « On fait tout pour s'en prendre au messager Al Jazeera. ».

Face à celle de ses deux camarades, l’attitude de Guillaume D. détonne. Il parait plus confiant, avec un look guindé par une veste de costard à épaulettes. Il entame un discours qu’il semble avoir appris par cœur, tout en mettant en avant son passé de militaire. Il explique l’usage de gaz lacrymogène sur la jeune fille : « Une femme, qu’elle soit petite ou grande, à 23h rue Masséna, on ne sait pas ce qu’elle a dans les poches. ». Selon lui, cette intervention s’inscrit dans le cadre de son travail. Pour le prouver, il demande un réexamen minutieux des extraits.

Contrairement à Rémi F., il ne cherche pas à encenser les autres prévenus et souligne leurs écarts de comportements : « Me Le Roux est le gars qui pose problème le soir, on s’est embrouillés plusieurs fois à cause de ça. ». Il en va de même pour Paul R. ou « Petit Paul », membre de la LOSC Army également présent ce soir-là et interrogé en qualité de témoin dans l’affaire : « Me Petit Paul avait le regard niais. ». Dans son P.V, l'ancien videur assurait qu'Etienne V. avait proféré « un florilège d'insultes racistes » envers le groupe de jeunes. Version sur laquelle il finira pas se raviser devant la Cour.

Enquête partielle et procès à décharge

« Peut-on dire que ce procès est celui de l'extrême-droite ? », demande une journaliste de BFM TV à l'un des avocats de la partie civile. Si l'on est tentés de répondre à la négative, ce procès est -sans aucun doute- symptomatique des complaisances systématiques de la justice française envers l'extrême-droite.

Avant le début de l'audience, un policier en civil discute à plusieurs reprises avec Etienne V., l’un des prévenu. Cet homme est d’ailleurs systématiquement présent aux procès impliquant des identitaires. En juillet dernier, il a été aperçu sécurisant l'entrée de la Citadelle lors d'une journée « White Lives Matter », organisée par son président, Aurélien Verhassel.

Pour sa défense, Rémi F. quant à lui, a choisi Me Eric Cattelin-Denu, ancien candidat RN aux municipales lilloises épinglé par Médiacités en mars dernier pour avoir proposé à la vente des objets nazis. «Entre amis, tout est commun », comme l'écrivait justement Platon.

Les procès verbaux rédigés par les policiers dans le cadre de l'enquête sur Génération Identitaire et la Citadelle, ouverte en décembre 2018 par la procureure de Lille, révèlent de nombreuses irrégularités. Selon les résultats de l'enquête, Génération Identitaire serait « un parti politique d'extrême-droite dont les membres mènent des actions symboliques comme l'occupation du chantier de la mosquée de Poitiers en 2012. ». De la même manière, la Citadelle est « une association de loi 1901 faisant la promotion de la culture flamande avec des activités ludiques et culturelles. » en précisant qu' « aucun désordre ou infraction n'a été constaté depuis l'ouverture. ».

Cette version n'a été que partiellement remise en question par les avocat.es de la partie civile, laissant un goût amer de survol du dossier. En plus de se positionner en un simple relai des P.V policiers, la Cour découvre des éléments capitaux en plein procès. Lors de la session de questions-réponses sur le cas d'Etienne V., la procureure annonce chercher la signification de San Pauli sur Wikipédia, révélant un stupéfiant manque de préparation préalable.

Il en va de même quant à certaines affirmations des prévenus, qui n'ont fait l'objet d'aucune vérification. Suite à la diffusion du reportage, Etienne V., qui déplore d'être « passé pour un con auprès de sa famille », se targue d'avoir quitté la région pour la frontière luxembourgeoise ainsi que ne plus fréquenter ses anciens camarades de ratonnades. Pourtant, de brèves recherches démontrent que le jeune homme de 24 ans foule encore régulièrement les pavés lillois. Le 20 juin dernier, avec d'autres membres de l'extrême-droite locale, Etienne V. assurait la « protection » de la statue de Faidherbe lors d'un rassemblement réclamant son déboulonnage. Forces de l'ordre et identitaires faisaient front commun dans la bonne humeur, Etienne V. ayant d'ailleurs été photographié se bidonnant avec un policier en civil - le même présent au procès ce mardi - sous les yeux de tous.

Etienne V., en chemise blanche, discutant avec un policier place de la République, le 20 juin dernier ©Lille Antifa

Rebelote le 29 octobre dernier à l'occasion d'un rassemblement contre la gestion de la crise sanitaire organisé à Lille. Etienne V. et ses amis avaient tenté de perturber l'évènement et avaient été vus par des militants antifascistes.

Pour les faits qui leur sont reprochés, Etienne V. et Rémi F. risquent respectivement des peines de 5 mois de prison avec sursis. Guillaume D. pour écoper de 3 mois de prison avec sursis. Tous trois devraient s'acquitter d'une amende de 250€ et devraient participer à un stage de citoyenneté. Verdict le 15 décembre.

©LaMeute - Moulinette

EDIT : Le 15 décembre, le verdict est tombé et révèle des peines plutôt accommodantes malgré la retenue du caractère raciste des faits de violence par la Cour. Rémi F. écope de 8 mois de prison avec sursis probatoire et devra payer 1.000€ d’amende. Étienne V. s'en sort avec 5 mois de sursis probatoire et une amende du même montant. Guillaume D., quant à lui, reçoit la peine de 3 mois de sursis simple. Tous trois devront s'acquitter d'un stage de citoyenneté à leurs frais.