Choisy l'Thème reçoit l'exposition "Ceux qui marchent encore"
« Avant de tourner la page, faut d’abord avoir écrit l’Histoire » Tarek Kawtari
Par cette phrase, prononcée par un ancien militant du MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues), le collectif Choisy l’Thème invitait vendredi 8 novembre, jeunes et moins jeunes, habitant•es de Choisy-le-Roi et d’ailleurs, à venir assister à la présentation de l’exposition « Ceux qui marchent encore ».
Une exposition réalisée par Tarek Kawtari et Ali Guessoum (fondateur de Remembeur) dans le cadre d'un partenariat avec l’Echo des Cités, Remembeur et Tackticollectif ; présentée pour la première fois en 2013 à l’occasion du trentenaire de la « Marche pour l’Égalité et contre le Racisme ». À travers une vingtaine de panneaux richement illustrés elle « raconte quelques épisodes de la Saga des mouvements de l’immigration et des banlieues des années 80 à aujourd’hui ».
Ce soir elle va être présentée à Choisy-Le-Roi. Pour en faire le récit, Farid Taalba, militant historique des luttes des quartiers et de l’immigration, et l’un des concepteurs de cette exposition. Il vient partager avec le public son expérience comme témoin et acteur de cette histoire qui « selon lui -tout comme pour son compère Tarek - reste encore à écrire ».
L’éducation populaire, outil pour une mémoire des luttes
A deux pas de la gare RER, à l’intérieur du « Royal » vers 18h30 on continue de s’affairer. Une centaine de chaises ont été installées au centre de la salle, et au fond près de l’estrade deux silhouettes finissent de mettre en place le vidéoprojecteur. Les derniers panneaux de l’exposition sont en place, des boissons et des en-cas viennent d'être dressés sur une table. L’ancienne salle de cinéma, bien connue des choisyen•nes et depuis quelques années transformée en salle polyvalente par la mairie, est prête à recevoir le public.
Pour le collectif Choisy l’Thème il s’agit là de la deuxième édition. La première avait donné la parole au jeune cinéaste Djigui Diarra, originaire de Grigny. Tout récemment fondée par Samir Baaloudj (ancien militant du MIB également) et Céline Beaury (Journaliste indépendante, chroniqueuse à France Maghreb 2), ce collectif se propose de réaliser localement un travail d’éducation populaire. Par le biais de conférences, d’expositions, de concerts et de débats, au coeur de cette ville du 9•4, l’association souhaite inviter celles et ceux que Samir appelle « les ami•es du milieu militant » à venir présenter leurs actions, leurs dynamiques ou leurs travaux.
Aux alentours de 20h, une trentaine de personnes commencent à s’assoir. Un temps a été laissé à chacun•e pour faire le tour de l’exposition. Soudain, Céline annonce au micro qu’un bref reportage va être projeté. Lien ici.
Dans ce sujet réalisé par LCI, à travers la voix de Zouina Meddour et Christelle Husson (membres de l'association l'Écho des Cités) et grâce aux archives qu’elles présentent à des jeunes de Villepinte, on replonge dans l’histoire des luttes de l’immigration et des banlieues menées dans les années 1990. Elles évoquent notamment l’histoire de la fondation du Comité contre la double peine crée à la fin des années 80, celle du MIB quelques années plus tard. À l’écoute les jeunes garçons qui découvrent des affiches politiques de cette époque, et par là certaines revendications toujours d’actualité aujourd’hui, font part de leurs regrets de ne pas avoir au accès à cette histoire à l’école. L’un d’eux pointe même du doigt une forme de mensonge, le récit d’une « seule moitié de l’histoire ».
C’est précisément pour lutter contre cette forme d’invisibilisation que l’exposition « Ceux qui marchent encore » a été construite. Et le reportage se termine sur la présentation de l’association l’Écho des Cités par Farid Taalba lui-même. On apprend ici que cette dernière s’est fondée à la fin de l’année 2012. Qu’elle s’est d’abord concentrée à constituer un fond d’archives sur l’histoire des luttes de l’immigration et des banlieues de 1970 à nos jours. Et par la suite a décidé de se doter d’un conseil scientifique, en travaillant en collaboration avec des historiens, ainsi qu’en offrant ce fond d’archive à la Bibliothèque de Documentation Internationale et Contemporaine (BDIC) de Nanterre. Parallèlement à ces travaux destinés au monde de l’université, l’association finit également de bâtir l’exposition. Et dès sa première présentation fin 2013 son objectif est de « donner l’envie aux plus jeunes comme aux anciens d’aller à la rencontre de leur histoire » comme le rappelle Farid dans un article paru alors dans l’Humanité.
Aujourd’hui c’est lui qui vient à la rencontre du public, et aussitôt la projection du reportage achevée, il reprend le micro pour inviter l’assistance à se lever. Après ce cadrage général c’est maintenant une visite guidée et détaillée qu’il se propose de réaliser.
Par la générosité dont il fera preuve pendant plus d’une heure, s’arrêtant sur chaque panneau pour le détailler, on saisit toute l’importance qu’il porte à la transmission de cette mémoire des luttes. Et il n’est visiblement pas le seul. Parmi le groupe qui suit sa présentation, de nombreux•ses personnes, militant•es ou non, filment sa présentation. Un confrère de DNLC (DisonsNousLesChoses) documente également. Le conférencier ne reprendra son souffle que pour s’excuser de devoir parfois synthétiser! Mais, par mille et un détail qu’il rapportera pendant sa visite, toute l’assistance aura saisi la difficulté qu’il brave à raconter cette histoire dont il est lui même un des fruits, une mémoire vive. Suspendu à son récit jusqu’au bout, une fois le tour de l’exposition terminé, le public sera invité à s’assoir pour échanger.
Par cette prise de parole, et plus généralement pas l’invitation faite par l’association Choisy l’Thème, celles et ceux venu•es assister à la présentation de l’exposition auront d'ores et déjà participé à une véritable expérience d’éducation populaire. Mais ce n’est pas terminé et les échanges avec la salle commence.
De la mémoire à l’histoire, le combat continu
« C’est des personnes comme vous que l’on voudrait entendre à la télévision » interpelle Toutée Inan - fondatrice en 2016 avec Hocine Radjai de l’association Biblio’Tess, dédié à la promotion de la littérature et établit à Sarcelles. « La nouvelle génération est en attente que cette histoire soit écrite » renchérit-elle. Ce soir, elle ne sera pas la seule a réagir vivement à la présentation de l’exposition. À ces deux questions qu’elle soulève, Farid aura pour réponse « qu’il préfère être ici plutôt qu’à la télévision », et que l’association pourrait envisager un projet de livre mais que cela demande aussi des fonds.
Même s’il salue qu’une grande chaine présente une partie du travail de l’Écho des Cités, pour lui le combat pour le partage de ces mémoires doit se « mener dans des endroits comme celui d’aujourd’hui. Avec si possible une salle comble.» Elle ne l’est malheureusement pas ce soir, mais dans l’assistance l’attention est soutenue. Une mère de famille, habitante de Choisy-le-Roi, revient sur le panneau qui relate l’expulsion de ces trois collégiennes à Creil, pour souligner comment selon elle « le communautarisme a été crée de leurs propres mains ».
À deux jours d’une marche contre l’islamophobie, qui s’annonçait déjà historique, et après un nième mois de débat autour du voile, le panneau permet une certaine prise de recul. Ce dernier rappelle qu’en « 1989, année du bicentenaire de la révolution, trois foulard dans un collège de Creil vont faire trembler les gardes chiourmes des certitudes républicaines ». Le titre de cet encadré est « Foulard, Guerre du Golfe Les beurs deviennent musulmans ». Il illustre à sa manière comme la dynamique de stigmatisation des citoyen•nes français•es et musulman•es dans ce pays ne date pas d’hier. La mère de famille de Choisy, musulmane portant le voile elle aussi, partagera l’expérience de stigmatisation qu’elle a pu vivre dans ses liens avec l’institution scolaire notamment.
Ghezali et Amidou, deux amis de longue date venus assister à la soirée ont pour leur part été sensibles à l’histoire évoqué par un autre panneau. « 15 jours après l’arrivée triomphale de la Marche [pour l’Égalité et contre le Racisme], la direction de l’usine Talbot Poissy annonce plusieurs milliers de licenciements visant à 80% des travailleurs immigrés ». « Mon père est arrivé à cette époque » commente Amidou, tandis que Ghezali souligne l’ « hypocrisie des syndicats, et l’importance de ces premières luttes des travailleurs immigrés » pour une égalité des droits. Récit d’une grève spontanée et de l’occupation d’une usine par des travailleurs immigrés, puis d’une trahison par le sommet de la CGT et de la CFDT qui privilégiera la négociation, la mémoire de ce combat résonne dans leur histoire familial respective.
Farid confiera durant la soirée que le désir de « constituer quelque chose comme un centre de documentation » au service d’une mémoire des luttes est une idée qui lui aura trotté dans la tête à de multiples reprises durant son aventure militante. Absorbé•es par les activités de défenses des familles, par les marches et manifestations, ce centre n’aura jamais réussi à voir le jour. Ce soir, toutefois, c’est à nouveau au niveau local, et par l’intermédiaire de cette exposition, qu’il continue de mener le combat pour la transmission. L’Écho des Cités parallèlement continue son travail en direction de l’université. Et à en croire les mots prononcé par le responsable du département archive de la BDIC de Nanterre ce travail est sur la bonne voie :
« il y a des histoires qu’on ne raconte pas, parce qu’on a pas les sources pour les raconter. Et là en l’occurence maintenant on a les sources ».
Aujourd’hui cette histoire est encore loin d’être écrite, et l’association reste disponible pour toute proposition pour accueillir l’exposition. Ses membres continuent le travail de compilation d’archives. Plus que jamais iels continuent également le combat pour voir la recherche, l'Histoire, s'emparer demain des ces mémoires. En les travaillant qu’elle réussisse à en constituer un champ à part entière de l’histoire populaire de ce pays.