Audisme : nom masculin

Les enfants du PEJS de Paris ont refusé d’aller en classe pendant une semaine pour protester contre l’absence de professeur en LSF. ©LaMeute - Mes

Les enfants du PEJS de Paris ont refusé d’aller en classe pendant une semaine pour protester contre l’absence de professeur en LSF. ©LaMeute - Mes

Alors qu’iels sont en France plus de 300 000 -plusieurs millions selon si l’on inclut les personnes malentendantes, les conditions de vie des sourd·es demeurent encore méconnues, voir peu documentées. Des discriminations au quotidien, mais aussi une Histoire particulière : la communauté Sourde revendiquent pourtant l’existence d’une « Culture Sourde » à part entière. A l’université, les Deaf Studies se fraient un chemin.

« Iels ne sont qu’à leur début de leur carrière d’activiste ». La phrase est lâchée sans enthousiasme, sans étonnement, et avec dépit jeudi 24 septembre 2020. Aux abords de l’école élémentaire de la rue de Turenne dans le troisième arrondissement de Paris, les élèves du PEJS (Pôle d’Enseignement des Jeunes Sourds) ont refusé de franchir les portes de l’école pendant une semaine en signe de protestation. Ici, et ce depuis la rentrée scolaire, le professeur des écoles en langue des signes tant attendu, n’est pas encore arrivé. Les candidats ont beau se succéder pour le poste, aucun profil pour le moment ne répond aux conditions requises.

Mercredi 30 septembre, c'est cette fois-ci aux portes du rectorat de Paris que les parents d’élèves ont manifestés, considérant ne pas avoir été entendus après l’annonce du rectorat leur signifiant la venue d’un professeur non signant, accompagné d’une « co-intervenante » en LSF (une professeure de LSF niveau collège en réalité). Pas de quoi calmer la révolte des parents qui fustigeaient le « mépris ou la méconnaissance complète » de l’Education Nationale vis-à-vis de leurs enfants. Finalement reçus par l’académie, mais toujours sans solution pérenne, les parents promettent de reprendre la mobilisation après les vacances de la Toussaint. 

Un combat permanent

« Des situations audiste, il y en a milles. C’est constant, ça ne s’arrête jamais. C’est ça qui est terrible. »
— Megan kateb

Activistes ces enfants scolarisés -en temps normal- dans une classe multi-niveau, allant du CP au CM2 ? Les propos d’un parent d’élève font écho à ceux prononcés quelques jours plus tard lors de la Journée Mondiale des Sourd·es qui s’est tenue ce 26 septembre. De la scolarité à la maison de retraite, les sourd·es doivent mener un « combat à toutes les étapes de la vie », selon Aliza M’sika de la Fédération Nationale des Sourds de France qui a organisée l’évènement. « Les sourd·es ont une participation à la vie citoyenne limitée », analyse également Ninon Granier Lejewski, une interprète LSF qui se cache avec Megan Kateb derrière le compte Instagram Signs’Life. Pourtant, «l’éducation est primordiale pour former la jeunesse et leur donner les outils pour se défendre face à des situations audistes», ajoute sa comparse.

L’audisme -un néologisme attribué à Tom L.Humphries en 1975, désigne la croyance selon laquelle les entendant·es seraient supérieur·es aux sourd·es, ainsi que l’ensemble des situations discriminantes vécues par ces dernier·es.

« Les discriminations et l’audisme, je les ai vécu dès l’adolescence, à l’âge où l’on prend conscience du monde dans lequel on vit », souffle un internaute sourd. C’était plus tôt pour Megan Kateb, dont les parents sont sourds : « Jai rapidement compris, en étant l'aînée, que j’étais lenfant sur lequel on compte, malgré moi et malgré mes parents. Par exemple, les réunions parents-professeurs étaient toujours simples pour les autres. Iels amenaient un papier en cochant la case correspondante ‘ viendra/ne viendra pas’. De mon côté c’était plus chaotique : ‘viendra’ ;  et à coté : ‘Est-ce quil y aura un·e interprète?’ . Je devenais presque le porte parole de mes parents pour défendre le droit que certains établissements leur refusait, sous prétexte que j’étais là. Des situations audiste, il y en a milles. Cest constant, ça ne sarrête jamais. Cest ça qui est terrible ». Ninon Granier Lejewski, elle, se rappelle de son amie d’enfance sourde. « Entre nous, pas de difficulté », commence-t-elle. « Mais avec les autres enfants du quartier, c'était autre chose. J'ai vu des moqueries, des humiliations, des abus. Je me suis documentée sur l'Histoire Sourde et j'ai pu mettre des mots sur un phénomène qui commençait à devenir clair pour moi ».

Une aiguille dans une botte de foin

L’abbé de l’Epée est une figure clef de l’Histoire Sourde en France. Il a milité pour la reconnaissance et l’enseignement de la langue des signes. “Attention, on dit parfois qu’il a récupéré deux pauvres sœurs sourdes dans la rue, qu’il est l’invent…

L’abbé de l’Epée est une figure clef de l’Histoire Sourde en France. Il a milité pour la reconnaissance et l’enseignement de la langue des signes. “Attention, on dit parfois qu’il a récupéré deux pauvres sœurs sourdes dans la rue, qu’il est l’inventeur de la langue des signes etc. Ces deux sœurs sourdes signaient déjà : cela est rarement dit. J’aime parler du Père Vanin lorsqu’on me parle de lui”, glisse le rappeur Erremsi. ©LaMeute - Mes

«J'ai d'abord lu "Le cri de la mouette" d'Emmanuelle Laborit, et regardé tout ce que j'ai pu trouver sur elle sur internet», poursuit-elle en évoquant le récit autobiographique de la première comédienne sourde récompensée par un Molière en 1993 pour un rôle interprété en LSF. « J'habitais en Haute-Loire et il n'y avait pas grand-chose. Alors mes grands-parents m'ont permis d'aller voir du théâtre en LSF dans les grandes villes. J'ai pu me documenter sur la création de l'IVT [l’International Visual Theatre, dans le IXème arrondissement de Paris NDLR]. Le théâtre en LSF m'a permis de comprendre une autre facette de la langue des signes, mais aussi de comprendre ce que veut dire "Culture Sourde" », affirme-t-elle.

« En dehors du vécu, Internet a été ma pierre angulaire, clairement. Puis aussi quelques lectures comme la bande-dessinée « Le Bruit des gens » de Nikesco ou « Paroles de Sourds » de Patrick Belissen. Mais certains ouvrages ne sont pas toujours faciles à trouver en librairie », signale un jeune homme.

Patience pour ceux et celles qui voudraient se renseigner sur le monde des Sourd·es, autrement que sous le prisme de la surdité. « La plupart des textes que l’on trouve sont des sources médicalisées qui ne traitent que de handicap. Cela me blesse quand on nie ma culture et ma langue car cela fait partie de mon identité », précise Megan Kateb.

« L'identité c'est tellement plus vaste !», confirme Ninon. « Il y a une vraie inégalité d'accès aux contenus populaires, comme si la culture n'était pas si importante, comme si le divertissement passait après. Après quoi ? Il y a tellement peu de contenus accessibles », déplore-t-elle. Pour promouvoir le chansigne, un rappeur a, lui aussi, décidé de prendre le taureau par les cornes. Erremsi a ainsi créé une série de vidéos sur Youtube qui déconstruit les idées reçues sur la communauté sourde. « Ces dernières années, j’ai sillonné la France à travers mes concerts qui étaient bilingues -car chansignés en LSF.  L’objectif caché de ces épisodes, c’était d’avoir des supports à envoyer à mes différents interlocuteurs ou collaborateurs pour les sensibiliser rapidement», admet-il. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Mais, « s’impliquer dans la communauté ou dans un métier lié à la LSF est un engagement qui doit être vu à sa juste valeur. Il faut respecter ça», nuance le vidéaste. Ses vidéos, qui mêlent humour et pédagogie, sont toutes sous-titrées et interprétées en LSF.

« C’est un travail bénévole conséquent car le travail est triplé à chaque vidéo ».

Passée sous le micro du podcast Passions médiévistes, Megan Kateb évoquait déjà ce travail d’orfèvre pour trouver des sources concernant les sourd·es lors de la rédaction de son mémoire en histoire médiévale, sous la direction de Yann Cantin. Une rencontre déterminante qui lui a donné « le goût de la recherche, des archives et de ne pas [se] contenter de choses toutes faites ».

Les Études Sourdes sur les bancs de la fac

Enseignée Outre-Atlantique dès le début des années 80, les Deaf Studies sont à l’honneur d’un séminaire mensuel à l’EHESS (Ecoles des Hautes Etudes en Sciences Sociales) depuis 2016. Un champ d’étude interdisciplinaires qui mêle anthropologie, Histoire ou encore la linguistique -suivant le modèle des déjà connues Postcolonial Studies ou Gender Studies. Erremsi voit un double objectif à un tel dispositif : « Il est tout aussi important de restaurer l’Histoire des personnes sourdes que de débattre de questions actuelles, pour que la communauté et la langue restent vivantes».

Ces “Études sourdes” émergent dans l’Hexagone suite à la reconnaissance des chercheur·ses de la LSF comme langue à part entière. L’apport de la linguistique fut ici primordial et contribua à la première vague de recherches universitaires sur le sujet. Néanmoins, les universitaires de la seconde vague déplorent toujours un «isolement académique». Certain·es se sont ainsi regroupé·es au sein du Collectif de Recherche sur les Langues des Signes et les Cultures Sourdes pour promouvoir ce champ d’étude.

« L’apport des Deaf Studies en France est crucial dans la mesure où ils permettront aux associations d’avoir un argumentaire dans la défense (…) de la communauté sourde », tranche le Maître de conférences à Paris 8, Yann Cantin. « Cet argumentaire plus étoffé, plus précis, permet à la reconnaissance d’une communauté sourde, une reconnaissance basée sur des faits, et non sur un argumentaire idéologique branlant ».

Ouvrez vos livres et vos cahiers donc -pour celleux qui en ont la chance.

©LaMeute - Mes

Pour aller plus loin :

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La réalisation de ce reportage a nécessité 1 personne et environ 13h de travail.

- Photos, Texte et Mise en page: Mes

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