Après la mort de Yanis, le quartier de la Plaine réclame le droit de vivre en paix
Cinq mois après la mort de ce jeune, décédé après une course-poursuite avec les forces de l'ordre en avril 2021, les habitant-es du quartier de la Plaine à Saint-Denis (93) se sont rassemblés lors d'une marche ce dimanche 7 novembre, déplorant la lenteur de l'enquête préliminaire. Dans le cortège, ils ont la vingtaine, des rêves pleins la tête, et dénoncent un système qui les condamne à mourir "pour des futilités".
Reportage.
Dimanche 7 novembre 2021, on s'enlace, on papote, ou on tape dans un ballon en attendant le début de la marche en hommage à Yanis, décédé le 3 juin dernier après plusieurs semaines dans le coma. Plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour réclamer "Justice pour Yanis" et retracer le trajet qui lui a coûté la vie. On est surpris par le nombre de personnes qui patientent, en dépit du froid. Des pancartes indiquent la présence de "mères en colère", de jeunes enfants courent en flottant dans des tee-shirt du collectif Justice et Vérité pour Yanis trop grands pour eux, et de jeunes habitant-es du quartier de la Plaine sont venu-es épauler la famille du défunt, tout autant que pour obtenir "Justice pour le quartier".
Du côté de la famille de Yanis également, on court dans tous les sens, on récite une dernière fois les slogans à entamer de peur d'en oublier un, on essaye de faire les choses bien, surtout que "c'est la première fois qu'on médiatise l'affaire", souffle Emilie, belle-sœur du jeune homme.
Deux cent personnes réunis se demandent "Qui a percuté Yanis?"
"On veut les vidéos", "Justice pour Yanis" et "Qui a percuté Yanis?", repris en chœur par les habitant-es de la Plaine et les membres du Réseau Entraide et Vérité viendront rythmer le parcours de la marche.
L'affaire de Yanis a connu deux temps -voir trois. Le 4 avril dernier, le jeune homme de 20 ans rentre chez lui en scooter quand il est poursuivi par une voiture de police. Hospitalisé avec un pronostic vital engagé, il décède de ses blessures 49 jours plus tard, le 3 juin 2021. Le lendemain, la France est alors sous couvre feu et la famille qui a organisé un repas en sa mémoire dans un local associatif du quartier s'apprête à quitter les lieux à 21h. La veillée funéraire bouscule alors dans l'horreur quand la police vient disperser violemment les membres de la famille. Médiapart rend l'affaire publique.
La famille prend peur et se tait dans un premier temps, "mais le silence c'est pire que tout", alerte Emilie. La famille de Yanis dépose plainte début septembre pour "homicide involontaire". Cette dernière craint désormais que la Justice requiert un classement sans suite alors que le Parquet de Bobigny n'a, à ce jour, ni entendu le principal témoin de l'affaire, ni demandé la réquisition des caméras de surveillance situées près des lieux du drame. Le procureur rendra ses réquisitions le 6 décembre 2021. D'ici là,
"on souhaite simplement que cette affaire soit jugée décemment", résume Emilie.
En plus de l'enquête pour déterminer les causes du décès de Yanis, la famille du défunt suit de près le second volet de l'affaire : la répression de la veillée funéraire. Les habitant-es du quartier de la Plaine ont déposé une plainte collective après les violences du 4 juin 2021.
De cette soirée, les souvenirs sont encore vifs, pour les petits comme pour les plus grands. "J'ai des nièces de trois ans qui sont désormais traumatisées et qui sursautent quand elles entendent les sirènes de police. Si j'avais su comment cela allait se terminer, je serais resté pour les protéger", regrette Nassim, le grand frère du défunt.
Avec six autres habitants de la Plaine, Nassim est interpellé à l'issue de la veillée funéraire. Il doit comparaître en janvier prochain devant le tribunal pour outrage et rébellion. Le jeune homme nie pourtant sa présence sur les lieux.
“Dès les premières détonations, je suis parti en courant un peu comme tout le monde. Je me suis réfugié dans un café un peu plus loin", se rappelle Nassim. Cette fuite, on le devine, tient de l'instinct de survie, pas de la peur. Après des ennuis judiciaires, il a presque tout : une relation amoureuse, une formation, et bientôt un CDI en poche. Un simple pas de côté, et il risque la prison, il le sait. "On nous parle de réinsertion. Mais comment voulez-vous qu'on se réinsère, si l'on nous tend des pièges?".
Allers-retours en prison, amendes abusives : la mort de Yanis ravive les plaies
"Ma famille m’a prévenu que la police me cherchait. J’ai reçu une convocation au commissariat pour le mercredi suivant, je m’y suis rendu sans attendre. On m’a alors placé en garde à vue. Il y avait aussi un autre jeune de mon quartier”, détaille Nassim. “Nous avons été déférés devant le tribunal et nous avons reçu une convocation pour un jugement en janvier 2022. Trois policiers ont porté plainte contre moi”, souffle le frère de la victime.
Parmi les jeunes présents à la marche, certains portent des tee-shirts avec l'inscription "Pino" -le surnom de Yanis. Ce surnom vient-il de sa passion pour la moto ("pilote" déformé au fil du temps) ou du "Tonton Pino" lancé par ses cousins d'Algérie? On sourit à l'évocation du surnom, mais les origines restent mystérieuses. A l'unisson, on se rappelle par contre d'un jeune homme d'un grand soutien, qui après avoir fait "les 400 coups" souhaitait s'en sortir et veillait sur ses amis et ses proches. "J'entends encore sa voix me dire de ne rien lâcher", confie Salim, un ami de Yanis en école de cuisine.
"Il était réservé mais il se faisait entendre quand il le fallait. Il me répétait toujours : 'Fonce, travaille!' ", confirme son petit frère Lofti, qui partageait sa chambre. "Il avait appris de ses erreurs. CV, lettre de motivation : il essayait de s'en sortir petit à petit", glisse le jeune homme, étudiant en cyber-sécurité, alors que résonne derrière lui le slogan "Justice pour le quartier".
"Les jeunes de la Plaine cherchent tous à s'en sortir. C'est tout le contraire de ce que voudrait faire croire la police", poursuit-il. Depuis le Covid-19, les amendes pour non-respect du confinement puis du couvre-feu attribuées abusivement sont venues s'ajouter à la montagne des obstacles à surmonter pour les jeunes de Saint-Denis. "On voudrait économiser pour pouvoir fonder une famille mais avec les amendes, on ne peut pas mettre de sous de côté", confie Salim.
"Les policiers mettent tous les habitants dans le même panier. C'est fatiguant, c'est décevant", souffle le jeune garçon qui a tenu à parler à la presse.
"On est tous mis dans le même sac, pour une couleur de peau ou parce qu'on porte un survêtement. Tout cela, ça n'est pas dit. Mais il est temps d'évoquer la valeur de la jeunesse des quartiers populaires. Malheureusement, on nous fout dans une case et c'est difficile de s'en sortir, surtout avec les amendes. On n'est pas des méchants. On est parfois des enfants turbulents, mais on n'est pas que cela. Moi, quand j'étais petit, je rêvais d'être avocat mais comme j'étais en SEGPA, on m'a dit que ce n'était pas possible. Il y'en a plein ici, qui petits, rêvaient d'avoir un képi sur la tête. On a déjà montré que l'on pouvait ramener une coupe à la maison. Alors pourquoi nous ramener toujours à notre casier judiciaire ou nous tuer pour des histoires de moto, des futilités? Il est temps de donner aux jeunes des quartiers populaires de l'importance, de la valeur".
Alors que la marche pour Yanis est à mi-chemin, famille et membres du Réseau Entraide et Vérité marquent un arrêt pour s'échanger le micro.
"Une lutte sans soutien du quartier, cela ne sert à rien. Sans le quartier, on est rien. Je vous demande de vous applaudir", entonne Landry du collectif pour Gaye Camara à destination des habitant-es de la Plaine.
Jusqu'à la nuit tombante, les manifestant-es répètent le triptyque "Famille en colère, Amis en colère, Quartier en colère". Sur le trajet de nombreuses affiches appelant à la marche ont redécoré la ville de Saint-Denis, signe visible des blessures secrètes de ces habitant-es.
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