8/11 - Ni oubli, ni pardon

« Vive le socialisme, vive l’autogestion, vive la sécu », ce slogan qui clôt la lettre d’adieu de l’étudiant qui a tenté de mettre fin à ses jours est repris par les étudiant•e•s mobilisé•e•s.

Suivi de la lutte contre la précarité étudiante à Lyon suite à la tentative de suicide par immolation d’un étudiant syndicaliste de 22 ans et à la lettre qu’il a laissé derrière lui, désignant les politiques anti-sociales responsables de son geste.

8 novembre 2019. Cette date parsème le campus de la Porte des Alpes de l’Université Lyon 2 à de multiples endroits, accompagnée de la mention « ni oubli, ni pardon ». On la retrouve également sur le bâtiment du CROUS, situé au 59 rue de la Madeleine dans le 7ème arrondissement de Lyon, devant lequel Anas, l’étudiant de 22 ans, s’est immolé - et où a eu lieu un rassemblement à l’initiative de son syndicat, Solidaires étudiant•e•s Lyon, mardi 12 novembre. La tristesse, le désespoir et une colère lancinante percent la voix de ses camarades lorsqu’iels lisent la lettre qui a laissé derrière lui. Celle-ci se suffit à elle-même et ses revendications seront reprises à la fois par le syndicat Solidaire étudiant•e•s et par les assemblées générales qui se sont enchainées depuis ; les 14, 19 et 28 novembre, puis les 5 et 9 décembre.

On y revendique l’augmentation immédiate des bourses et le salaire étudiant ; la simplification de l’accès à l’aide d’urgence ; la diminution du prix du resto U dans l’immédiat, puis sa gratuité ; la gratuité des transports en commun pour les étudiant•e•s et pour tous•tes ; des mesures à court terme pour l’accès au logement des étudiant•e•s (et à long terme plus de places et moins chères) ; l’augmentation des effectifs des services de santé à l’Université ; des baux de droits communs pour les logements étudiants* ; l’arrêt immédiat des recours aux forces de l’ordre et de la présence de sociétés de sécurité privées sur le campus ; et la suppression des hausses de frais d’inscription pour les étudiant•e•s étranger•er•s hors-union européenne, symptôme d’un contexte islamophobe.

À ces revendications qui concernent directement la précarité étudiante, l’assemblée générale rajoute des revendications portées depuis des années contre la destruction de l’enseignement supérieur publique et la dégradation des conditions d’études : suppression de la loi ORE, suppression de ParcourSup, suppression de la sélection à l’entrée des Master, fin du projet délétère de fusion des Universités « Idex »**, menant à la compétition inter-universités et à leur privatisation.

Les assemblées générales comme celle du 19 novembre sont suivies d’une réquisition de l’amphithéâtre utilisé. Les étudiant•e•s y créent des espaces d’organisation de la mobilisation, de parole autour de l’impact psychologique des récents évènements, d’initiation à la protection numérique ou encore de sensibilisation sur les oppressions qui touchent les minorités de genre. Les occupations sont des espaces d’autogestion et de partage des savoirs qui suscitent beaucoup d’enthousiasme et répondent à des questionnements partagés par une génération.

Les assemblées générales sont l’occasion pour les étudiant•e•s mobilisé•e•s de s’accorder sur des revendications générales. Des actions concrètes s’y rajoutent et prennent des formes diverses, spontanées ou préparées, dans le cadre syndical ou pas. Ainsi, le rassemblement du mardi 12 novembre s’est transformé en marche improvisée vers le campus des Berges du Rhône de l’Université Lyon 2 où siège l’administration. A cette occasion, la porte du bureau de la présidente, Nathalie Dompnier, fut forcée et son bureau retourné. La fureur de celles et ceux qui souffrent n’épargnera pas le mobilier, ni le portail du Ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur à Paris. Les étudiant•e•s mobilisé•e•s dénonceront unanimement l’hypocrisie de Frédérique Vidal, ministre de l’Éducation, comme celle de Nathalie Dompnier, présidente de l’Université Lyon 2, plus prompte à condamner des dégradations matérielles que les politiques délétères menées depuis des années qui minent les conditions d’étude et de vie des étudiant•e•s. Une position qui ne fait que réitérer l’exigence généralisée de docilité des foules, éructée par le gouvernement et ses représentants qui tremblent face à la puissance des mouvements sociaux contemporains.

La marche du 12 novembre a fait un détour par le rectorat de Lyon, situé à une centaine de mètres du campus des Berges du Rhône, les policiers sur place se précipitent à l’intérieur de l’enceinte protégée par des grilles, un geste qui en dit long sur le rôle des forces de l’ordre : protéger des institutions qui ne répondent plus aux besoins de la population qu’elles devraient protéger et servir.

Cette exigence de docilité, indécente quand on la met en en perspective avec les faits - soit la dégradation générale des conditions d’étude et de vie des étudiant•e•s qui participent à la détresse étudiante - s’incarne dans une escalade de la répression policière. La présidence de l’Université Lumière Lyon 2 a franchi un nouveau cap dans le recours à l’intervention policière au cours de ces trois dernières semaines de mobilisation. En moins de 12h, les étudiant•e•s qui ont tenté à deux reprises d’occuper le campus Porte des Alpes de l’Université Lyon 2, mercredi 13 novembre au soir, et jeudi 14 novembre au matin, ont été délogé•e•s par des policiers membres de la SRI ainsi que de la Brigade Anti-criminalité.

Il fut un temps où envoyer la police sur des étudiant•e•s ayant décidé d’occuper leur université représentait un cap éthique difficilement franchissable. Nathalie Dompnier s’était d’ailleurs faite élire sur son engagement à ne pas faire intervenir les forces de l’ordre dans l’enceinte de l’université, contrairement à son prédécesseur, largement décrié pour cette raison. Le 12 février 2019, il y a bientôt presque un an, d’ancien•ne•s étudiant•e•s écrivaient une lettre ouverte à la présidente sur le site d’information militante locale Rebellyon, pour lui rappeller ces faits. Fin 2017 elle faisait évacuer l’amphi C, amphithéâtre réquisitionné par des étudiant•e•s solidaires pour y loger des personnes migrant•e•s, en avril 2018, un membre du conseil d’administration démissionnait pour dénoncer la politique répressive de la présidence de Lyon 2 envers les étudiant•e•s qui protestaient et occupaient contre la loi ORE et Parcoursup.

Mais la répression policière employée par la présidence se poursuit dans son intensité, vendredi 22 novembre. 19 étudiant•e•s ont envahi le conseil d’administration pour porter leurs revendications et obtenir plus que la compassion insuffisante qui caractérise les messages diffusés à l’ensemble des étudiant•e•s et du personnel administratif de Lyon 2. La réaction de Frédérique Vidal, qui octroie un numéro vert aux étudiant•e•s en détresse et refuse toute réévaluation à la hausse des bourses, affiche la même hypocrisie. Les forces de l’ordre sont immédiatement appelées et les 19 étudiant•e•s partent en garde-à-vue. Trois étudiant•e•s font l’objet d’une plainte par un agent de sécurité pour violence aggravée sans ITT, une violence que les étudiant•e•s concerné•e•s interrogé•e•s à ce sujet réfutent. L’Université Lyon 2 a également décidé de porter plainte en tant que personne morale contre les trois personnes déjà poursuivies.

Une étudiante parmi les trois précédemment évoqué•e•s raconte sa situation : elle dort depuis le début de l’année scolaire sur le canapé d’ami•e•s, faute de moyen. Sa bourse est insuffisante pour qu’elle puisse se loger, ses parents ne peuvent pas l’aider, elle déclare que ces conditions de vie ont un impact direct sur sa scolarité. Pour financer les frais de justice et de défense qu’engendrent la situation, elle hésite à compter sur la solidarité de ses camarades qui partagent aussi sa précarité.

Si l’on doit faire une analyse de la situation, on peut dire qu’elle n’est malheureusement pas exceptionnelle, elle reflète une fois de plus une société où les inégalités progressent sans répit et où les personnes les plus précaires subissent le coût judiciaire de leurs revendications d’un droit à la dignité.

Malgré la répression, les actions de lutte contre la précarité étudiante continuent : il n’y aura pas de trêve tant que tout le monde ne pourra pas vivre dignement, tant que plus personne ne sera poussé•e au suicide par des politiques anti-sociales mortifères. À ce sujet on peut évoquer les actions « CROUS gratuit » comme celles qui ont eu lieu les 15 et 22 novembre, qui, selon le syndicat Solidaires Étudiant•e•s, permettent de nourrir gratuitement environ 1000 personnes.

Charlie*, militant chez Solidaires Étudiant•e•s, prend la parole pour annoncer les prochaines dates de mobilisation dans le réfectoire où des centaines d’étudiant•e•s mangent gratuitement ce midi. Il n’a pas Twitter mais son témoignage aurait sa place parmi ceux qui apparaissent associés au hashtag #laprécaritétue. Il reçoit 250€ de bourse par mois, ses parents lui donnent 200€, son loyer lui coute 313€, avec ce qui lui reste il ne peut pas sortir et peine à varier ses repas. Cette précarité provoque chez lui un sentiment d’angoisse, il nous confie : « c'est difficile de pouvoir réfléchir sur le long terme, pas trop possible de se projeter dans l'avenir, je vis au jour le jour ».

La manifestation contre la précarité étudiante du 26 novembre a réuni 1 500 personnes. Les assemblées générales, au-delà de propos sur la conditions des étudiant•e•s, témoignent d’un intérêt profond et d’engagement fort des étudiant•e•s dans les mouvements sociaux en cours. Elles ont appelé successivement à la participation aux manifestations de Gilets Jaunes, à la marche contre les violences sexistes et sexuelles du 23 novembre, aux rassemblement en soutien à l’Amérique latine, aux manifestations contre l’Islamophobie et pour l’accès au logement pour les plus démuni•e•s. Les étudiant•e•s mobilisé•e•s ont également préparé activement leur participation à la grève du 5 décembre et à sa reconduction. Iels ont participé au cortège de tête de la manifestation unitaire contre la réforme des retraites, qui a comptabilisé entre 21 000 et 35 000 personnes à Lyon. Lundi 9 décembre, le rendez-vous est donné pour bloquer les campus tôt le matin et poursuivre la mobilisation.

Une banderole est confectionnée à l’occasion de l’acte 52 des Gilets Jaunes à Lyon, elle porte la mention « Étudiant•e•s ,Gilets Jaunes, Solidarité »

© LaMeute - Baume

* Les baux d’habitations CROUS sont différent des baux de location les plus répandus et soumettent les étudiant•e•s à des obligations plus nombreuses.

** Le projet est lancé depuis plusieurs années et rencontrait déjà de nombreuses résistances en 2012 https:// www.lemonde.fr/education/article/2012/10/23/paris-diderot-se-rebelle-contre-l-idex_5982118_1473685.html


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