« Seule la lutte libère » : POUR LA VERITE POUR GAYE CAMARA CONTRE LE NON-LIEU.
Les 26 années de Gaye Camara, jeune campésien, ont été stoppées par huit balles de police, dont une dans la tête, dans la nuit du 16 au 17 janvier 2018. Le jeune homme ne représentait alors aucune menace.
Ce samedi 2 novembre 2019, alors qu’un non-lieu vient d’être prononcé, la famille, le comité Vérité et Justice pour Gaye et les soutiens appelaient, devant le commissariat d'Épinay s/ Seine, à un rassemblement en réaction à cette injustice. REPORTAGE et PORTFOLIO A LA FIN.
En 2018, 26 personnes sont décédées à la suite d’une intervention avec les forces de l’ordre, rapporte l’enquête de Basta, média indépendant. Gaye Camara est l’une d’entre elles. Il avait 26 ans.
« Je suis prêt à mourir dans ce combat. » Avec beaucoup d’émotion, Mahamadou, le frère de Gaye, prend la parole devant l’hôtel de ville d’Epinay-sur-Seine. À quelques pas de là, des policiers se tiennent devant la Maison de Justice et du Droit, les yeux rivés sur le rassemblement de quelques 200 personnes.
« J’ai la rage aujourd’hui ! Dieu ne nous a pas dit de tolérer l’injustice ! Mon petit frère c’était ma moitié ! J’y laisserai ma vie dans ce combat pour la Vérité. J’insiste. Mais je n’attends rien de la Justice française… J’aimerais dire aux gens d’Épinay que ce combat nous le menons pour tous.tes, pas que pour le collectif ! On a besoin d’être uni.es. » La solidarité. L’union qui fait la force. Le nombre. Ces mots reviendront à plusieurs reprises ce samedi après-midi de novembre.
« On ne peut pas aller sur un non-lieu quand il y a mort d’homme ! »
Revenons sur les faits. Comme dans toute affaire de violences policières dans les quartiers, le processus de criminalisation de la victime se met en marche dès la mort de Gaye : Adama aurait été drogué, tout comme Yacine, Lamine représentait une menace tout comme Ali Ziri, Ibrahima Bha aurait volé sa moto tout comme Gaye Camara aurait volé une voiture… « Ils parlent d’un vol de voiture mais mon petit frère n’était même pas sur le territoire le samedi où cette voiture a été volée ! Il est revenu du Cap Vert le lundi. » dénonce son frère, ce samedi, au micro. Mahamadou revient sur cette nuit où 4 policiers de la BAC tirent sur son petit frère. Lorsque Gaye dépose un ami près du véhicule volé, son petit cousin est à ses côtés dans sa Polo Volkswagen. Cet ami se fait interpeler par la BAC.
« Les policiers avaient donc terminé leur mission ! Ils avaient interpelé la personne suspectée pour le vol de voiture !! » Mais les 4 policiers décident de tirer en invoquant la légitime défense. « Mon petit-cousin explique bien que Gaye a voulu partir, en aucun cas il n’a voulu foncer sur les forces de l’ordre. Il a fait marche arrière car il y avait un passage pour qu’il puisse passer. Et les 4 policiers ont tiré ! Un en face de la voiture et les 3 autres ont canardé par derrière. C’est une pure exécution. » raconte le frère de Gaye, contacté par téléphone.
Gaye est d’abord amené sous X à l’hôpital, alors que les policiers avaient son permis de conduire et sa carte grise à disposition pour l’identifier . La famille ne sera donc informée de l’état de Gaye qu’onze heures plus tard… « La première chose qu’ils nous ont dit en rentrant dans le commissariat, c’est que mon frère aurait soi-disant forcé un barrage, c’est faux ! Les policiers étaient en planque ! Pourquoi y aurait-il eu un barrage ? » ajoute Mahamadou.
La juge d’instruction retient le motif de légitime défense pour justifier le non-lieu. « Voter des lois qui permettent de tirer sur des jeunes non armés c’est permettre de tuer ! » dénonce Mahamdou ce samedi, faisant référence aux modifications de loi de sécurité publique de 2017 qui élargit les conditions de légitime défense pour les forces de l’ordre.
« La peine de mort est abolie depuis 1981 ; en réalité, elle l’est pour certains citoyens mais pas pour nous ! Ils auraient dû arrêter mon frère et laisser la Justice trancher ! Car peu importe ce qu’il s’est passé ce jour-là, les policiers n’ont pas à faire justice seuls ! »
La famille a d’ores et déjà fait appel de cette décision. « Nous n’avons même pas eu accès aux images de vidéosurveillance. Comme par hasard, ce jour-là, les images ne seraient pas exploitables ! » s’indigne Mahamadou.
« Ils disent que c’est flouté, qu’il fait nuit, qu’il pleut, qu’on ne voit rien. Mais une caméra, qu’il vente ou qu’il pleuve, ça filme ! »
D’autres éléments de l’enquête ont de quoi révolter Mahamadou : « Les policiers n’ont même pas été placés directement en garde à vue ! Ils ont eu 5h devant eux. 5h pour se concerter sur une version concordante ! Et la chose qui m’a choquée aussi c’est que la juge d’instruction n’a entendu que le policier qui est l’origine du tir mortel qui a touché Gaye en pleine tête. Les autres policiers n’ont pas été entendus durant l’enquête bien que notre avocat, Me Bouzrou ait envoyé des actes pour contester. Mais elle avait déjà pris position. Je savais très bien qu’elle voulait fermer le dossier. Mais on ne peut pas aller sur un non-lieu quand il y a mort d’homme ! »
« Le système est là pour nous broyer : nous, la sous-France »
Si ce rassemblement ne compte que quelques 200 personnes ce samedi, les figures importantes des luttes des quartiers populaires sont, elles, présentes : Mara Kanté (accusé à tord d’avoir tiré sur des policiers lors des révoltes de Villiers-le-Bel en 2007 suite aux morts de Laramy et Moushin), Mohamed Mechmache (Collectif Aclefeu – Clichy sous Bois), Diané Bah (grand frère d’Ibrahima Bah, tué alors qu’il passait à proximité d’une opération de police le 6 octobre dernier- Justice pour ibrahima bah), le comité La vérité pour Adama, le comité Vérité et justice pour zakaria, FUIQP Paris-Banlieue (Front Uni des Immigrations et des Quartiers populaires), Brigade Anti Négrophobie (Brigade Anti-Négrophobie), Samir Elyes (ancien du Mouvement Immigration Banlieues –MIB) ou encore Almamy Mam Kanouté entre autres…
Pour les médias, on compte la présence de Sihame Assbague, de Taha Bouhafs (Là bas si j’y suis), de Nadir Dendoune (Le Monde Diplomatique / Le Courrier de l’Atlas) ou encore de Nawufal Mohamed (@IAQPMEDIA) et d’un média qui réalise une longue interview de Mahamadou Camara avant les prises de paroles.
Répondant à la question « Qu’avez vous à proposer ? » posée à multiple reprise par cet homme qui le filme avec son téléphone portable, Mahamadou s’exclame :
« Déjà, ça serait bien de simplement faire respecter le code de déontologie de la Police Nationale, ce qu’ils ne font pas. Comment ensuite exiger que les jeunes respectent la police ? » Mahamadou fait référence au tutoiement systématique dans les quartiers populaires : « « Que la police respecte ses codes et qu’elle nous respecte quand elle s’adresse à nous ! Si moi j’ai droit à la parole aujourd’hui, c’est parce que des gens se sont battus avant moi ! ».
Pourtant, ce code de la déontologie affirme bien, dans son article R. 434-14 que « le policier ou gendarme est au service de la population. Sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement. Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération. »
Et plus loin, l’article R. 434-27 code évoque des sanctions prévues le cas échéant : « Tout manquement du policier ou du gendarme aux règles et principes définis par le présent code l’expose à une sanction disciplinaire en application des règles propres à son statut, indépendamment des sanctions pénales encourues le cas échéant. » N’oublions pas que le port de l’uniforme donne aussi lieu à des responsabilités accrues.
Que faire usage de la violence sous insigne rend doublement coupable. Être dépositaire de l’autorité publique est une circonstance aggravante.
Rappelons que toute personne appréhendée se retrouve, de facto, sous la protection de la police (selon l’article R. 434-17 du Code de Déontologie de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale qui dispose que « toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers ou des gendarmes et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant.(…) Le policier ou le gendarme ayant la garde d’une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver la vie, la santé et la dignité de cette personne. »)
« C’est l’Etat français qui nous assassine, qui assassine nos frères !» Dénonçant l’absence de prise en compte de ce critère aggravant, Mahamadou cite plutôt les mécanismes avantageux de défense dont dispose les forces de l’ordre : « Les policiers ont eu non seulement 5H pour se concerter mais en plus, ils sont toujours en fonction aujourd’hui ! Ils sont rentrés chez eux, comme si de rien n’était. Comme si Gaye n’était pas mort. Personne n’a le droit d’ôter la vie d’un être humain. »
« Ce qui a réussi, c’est que les quartiers se lèvent ensemble comme en 2005 »
Le comité Vérité et Justice pour Gaye Camara ne lâchera rien et répète, affirme, sa détermination dans ce combat. « C’est pas un individu qu’on combat, c’est un système ! C’est à nous de marcher, de dire stop ! Il ne faut rien attendre des politiques. » Critiquant à la fois l’absence d’action de l’Etat et les devoirs des habitant.es de quartiers populaires, les discours se font écho, se complètent, cet après-midi : « Mon frère avait 22 ans ! Il allait acheter un bail commercial, il allait se marier. C’était une personne qui circulait en bas de chez vous, comme partout ailleurs en province ; et il a croisé les forces de l’ordre. Et plutôt que de faire ce qui leur est enseigné, ils lui sont rentrés dedans avec une fourgonnette ! Les policiers ne sont jamais sanctionnés ! Ce’st une façon de dire que c’est normal ! » souligne Diané, le frère d’Ibrahima.
« Le système est là pour nous broyer : pas nous personnellement, mais une ensemble de gens particulier. La sous-France. » enchaîne Mara Kanté, beauvillésois accusé à tort d’avoir tiré sur des policiers lors des révoltes de 2007 faisant suite à la mort des deux adolescents Laramy et Moushin. Il évoque les processus mise en place pour tenter de dissuader les gens à se mobiliser: à commencer par les lourdes peines répressives qu’il a subi. « Ma vie ne compte pas. On est des sacrifié.es et ce qu’on a vécu doit servir à tous sinon ca va recommencer. Car ça va recommencer ! » Et de marteler le devoir de fraternité, de solidarité : « Notre devoir c’est ça : faire respecter nos droits, nos vies, nos libertés. La fraternité c’est ce qui fait que le système ne pourra plus rien faire ! »
Samir Elyes prend la parole en ce sens. Après avoir souligné que « lorsqu’on regarde la liste des victimes de violences policières, quasiment aucune n’appartient au grand banditisme ! » (« Depuis 1977, ce sont donc vingt suspects qui ont été abattus dans le cadre d’une opération anti-terroriste, soit 3,5 % des affaires que nous avons recensées. » précise l’enquête de Bastamag) Il rejoint ce qu’un membre de la BAN, après avoir précisé qu’il ne faisait et ne ferait jamais l’apologie de la violence, aura dit précédemment, à savoir : « je n’ai jamais vu autant d’avancées sociales qu’après les révoltes de 2005 ! »
« Si les émeutiers ne deviennent pas manifestant.es dans les premiers jours, on n’a rien ! Laisserons nous encore une génération sacrifiée ? On doit trouver une solution car la violence va monter crescendo. Comment s’organiser face à leur degré de violence qui est très élevé aujourd’hui ?! » Outre son éloge de la solidarité, Samir rappelle l’importance du local, du quartier : « faut qu’on se parle entre nous ! C’est aux gars d’Epinay de prendre en charge les jeunes d’Epinay, à ceux de Beaumont pour les jeunes de Beaumont, et ainsi de suite. Ensuite, on fera des alliances ! Il n’y a qu’avec nous que cette situation changera. On ne doit pas attendre que les gens parlent pour nous : on a certaine manière de parler et elle doit être entendue ! On doit apprendre à soutenir la nouvelle génération ! A transmettre notre histoire : ce qui a réussi, c’est que les quartiers se lèvent ensemble comme en 2005 ! »
« La solidarité entre nous, c’est notre force, notre arme ! On doit la préserver ! »
« On n’est pas des sprinters mais des coureurs de fond ! » ajoutera Mohamed Mechmache au mégaphone, après avoir condamné le mot « émeute », « utilisé pour nous disqualifier. Cette révolte et cette colère sont légitimes par ce qu’on vit au quotidien ! À chaque mort vécue, on est touché dans nos chairs ! Tous les comités doivent converger ensemble ! Le nombre nous donnera raison. »
Les interventions dans son quartier, Mahamadou les enchaîne depuis la mort de son petit frère : « Nous on fait de la prévention, on conseille aux jeunes de s’arrêter même s’ils n’ont rien à se reprocher ; on leur dit aussi d’éviter la confrontation car c’est leur but. Quand il y a interpellation, il faut filmer !! Aujourd’hui, c’est la seule chose qui nous permet de quasiment sauver nos vies ! Si nous ne réagissons pas, nous nous ferons toujours maltraités ! Ne leur donnez pas la chance de se comporter comme avec Gaye. »
Et de finir sur ces mots martelés : « La solidarité entre nous, c’est notre force, notre arme ! on doit la préserver ! » Citant Thomas Sankara, il conclue : « il disait que seule la lutte libère ! Demain si je dois me sacrifier pour que les jeunes puissent avoir une voix dans ce pays je le ferai ! Je ne parle pas pour rien ! J’ai fait mes choix. Pour moi, un jeune sauvé c’est une victoire ! Battons nous avec dignité et honneur. »
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